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sang-froid de la France, ignorent les temps où ils vivent: ils voient toujours ce qui s'est passé en 1789; ils comptent pour rien les leçons qu'on a reçues, les expériences qu'on a faites, les luumières qu'on a acquises, la raison politique qui est entrée dans tous les esprits, et surtout le déplacement qui s'est opéré dans les générations et dans les intérêts. Ce n'est plus le peuple qui, ému de passions turbulentes, se forme une idée confuse de ses droits; c'est la partie éclairée de la nation qui sait ce qu'elle veut avec autant de fermeté que de modération. Les mœurs de la société instruite, si j'ose m'exprimer ainsi, sont entrées dans la politique, et l'on prend la patience et le calme de ces mœurs pour de l'impuissance d'action.

Tout se réduit à ce point: Veut-on l'établissement paisible des libertés publiques, en les dirigeant, en se plaçant soi-même dans le mouvement du siècle; où veut-on faire que ces libertés triomphent par leur propre force, en essayant de les détruire? Elles emporteroient alors aussi facilement ce qui seroit devant elles qu'un torrent emporte une digue impuissante.

Quoi qu'il en soit de l'avenir, si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise! des fautes répétées engendroient de nouveaux malheurs, ces malheurs me rencontreroient encore, malgré les années, aux pieds du roi : y trouverois-je ceux qui prétendent aujourd'hui si bien servir la couronne en frappant les plus fidèles sujets de Sa Majesté et en attaquant les libertés publiques? Je l'espère pour eux.

Je vais voter, messieurs, contre le budget. Si la chambre prenoit ce parti, dans quelques jours tout seroit fini: ou les ministres changeroient de marche, ou ils seroient forcés de s'éloigner. L'application du grand moyen constitutionnel dénoueroit sans effort ce que le temps peut briser avec violence. En montant à cette tribune, je ne me suis pas flatté un seul moment d'obtenir un pareil résultat de mes efforts: aussi n'ai-je eu pour but que de remplir un devoir.

On s'irrite contre ces esprits indisciplinés qui viennent troubler un repos agréable, qui se croient le droit de dire tout haut ce que tant d'autres pensent tout bas; contre ces hommes qui sacrifient les succès de leur personne à l'utilité de leurs paroles; mais enfin ce qu'ils peuvent avoir avancé de bon par hasard demeure, et l'avenir en profite.

Au surplus, les contradicteurs du système ministériel sont-ils donc si exigeants? Ils ne disent pas même à leurs adversaires : « Faites quelque chose pour les libertés publiques. » Ils savent bien qu'ils ne seroient pas écoutés. Ils se contentent de leur dire : « Ne faites rien contre ces libertés. Cessez d'attaquer tous les ans ce que la nation a

de plus cher. Revenez sur quelques actes de colère qui ne vous ont été bons à rien. Voilà ce qui suffira pour rendre la couronne légère à cette tête auguste trop longtemps courbée sous le poids de l'adversité, ce qui suffira pour nous donner des élections monarchiques et constitutionnelles, pour dissiper tous les nuages. »

Je ne descendrai pas de cette tribune sans dire le bien avec autant d'impartialité que j'ai dit ce qui m'a paru de mal. J'adresserai des remerciments à M. le ministre des affaires ecclésiastiques pour la tolérance de ses opinions politiques. (Il y a toujours de la générosité dans le talent.) J'offrirai les mêmes remercîments à M. le ministre de la marine pour ses instructions humaines aux chefs de nos escadres dans les mers du Levant; à M. le ministre des affaires étrangères pour les bruits d'un traité favorable à la délivrance d'un peuple. C'est avec un plaisir sincère que j'apprendrois que le noble baron a été plus heureux que moi; qu'il a pu achever l'édifice dont on m'avoit à peine laissé le temps de poser la première pierre.

Il est un peu tard, il est vrai, de s'apercevoir du danger d'enseigner la discipline militaire à des hordes mahométanes; le cri de la religion. et de l'humanité auroit pu monter plus tôt à l'oreille des rois; il étoit parvenu au cœur des peuples; mais enfin il faut encore s'en féliciter si, après cinq années de dévastations et de massacres, on a trouvé que la Grèce étoit assez dépeuplée, que les Arabes y avoient suffisamment établi leurs tentes et leur désert! Dieu veuille seulement qu'on arrive avant les funérailles !

Messieurs, joignez-vous à moi pour solliciter la prompte conclusion d'un traité de miséricorde : les infortunés Hellènes sont devenus vos clients, puisque vous êtes le seul corps politique en Europe qui ait exprimé le vœu de la pitié. Mais il n'y a pas un instant à perdre; de nouveaux gémissements se font entendre; ils ne viennent pas du Péloponèse, où il n'y a plus personne; ils s'élèvent des rivages de l'Attique. La Providence a amené le combat au pied de la cité magna parens virum! comme pour donner ce grand témoin à ce grand effort d'une gloire qui lutte avec la puissance d'un simple nom contre les barbares de trois parties de la terre.

Mais Athènes chrétienne, trop longtemps abandonnée par les chrétiens, la mère de la civilisation trahie par la civilisation elle-même, ne succombera-t-elle point avant d'être secourue? Le coup qui peut tuer la Grèce moderne peut détruire ce qui reste de la Grèce antique. La même explosion qui feroit sauter la garnison héroïque de l'Acropolis disperseroit dans les airs les ruines du temple de Minerve : mémorable destinée ! Le dernier souffle de la liberté de la Grèce seroit-il

attaché aux derniers débris de ses chefs-d'œuvre ? Est-il écrit qu'ik s'évanouira avec eux?

Les peuples comme les individus ont leur jour fatal. Puisse ma belle patrie conserver la liberté et le génie de la Grèce, dont elle semble fille, et puisse-t-elle en éviter les malheurs! Mais qui ne trembleroit en nous voyant sortir des routes faciles qui mènent au salut pour nous jeter dans des chemins scabreux qui aboutissent à l'abîme! Cet aveuglement tient-il à quelque dessein caché de la Providence? Je l'ignore; mais je ne puis me défendre, pour le trône, pour les libertés publiques, pour mon pays, pour vous-mêmes, messieurs, d'un sentiment d'inquiétude dont je vous prie de ne voir la source que dans le cœur d'un bon François et d'un honnête homme.

DISCOURS

SUR LA

DÉCLARATION FAITE PAR LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

LE 7 AOUT 1830,

PRONONCE A LA CHAMBRE DES PAIRS LE MÊME JOUR,
DANS LA SÉANCE DU SOIR.

Messieurs, la déclaration apportée à cette chambre est beaucoup moins compliquée pour moi que pour ceux de messieurs les pairs qui professent une opinion différente de la mienne. Un fait dans cette déclaration domine à mes yeux tous les autres, ou plutôt les détruit. Si nous étions dans un ordre de choses régulier, j'examinerois sans doute avec soin les changements qu'on prétend opérer dans la Charte. Plusieurs de ces changements ont été par moi-même proposés. Je m'étonne seulement qu'on ait pu entretenir cette chambre de la mesure réactionnaire touchant les pairs de la création de Charles X. Je ne suis pas suspect de foiblesse pour les fournées, et vous savez que j'en ai combattu même la menace; mais nous rendre les juges de nos collègues, mais rayer du tableau des pairs qui l'on voudra, toutes les fois que l'on sera le plus fort, cela ressemble trop à la proscription. Veut-on détruire la pairie? soit mieux vaut perdre la vie que de la demander.

Je me reproche déjà ce peu de mots sur un détail qui, tout important qu'il est, disparoît dans la grandeur de l'événement : la France est sans direction, et j'irois m'occuper de ce qu'il faut ajouter ou retrancher aux mâts d'un navire dont le gouvernail est arraché! J'écarte donc de la déclaration de la chambre élective tout ce qui est d'un intérêt secondaire, et m'en tenant au seul fait énoncé de la vacance vraie ou prétendue du trône, je marche droit au but.

Une question préalable doit être traitée : si le trône est vacant, nous sommes libres de choisir la forme de notre gouvernement.

En général, messieurs, il faut améliorer le sort des gens de lettres, des savants et des artistes; il faudroit leur donner cette indépendance sans laquelle l'esprit préoccupé ne peut arriver à la perfection qu'il entrevoit et qu'il n'a pas le temps d'atteindre. Aujourd'hui on demande un retranchement sur la somme fixée pour l'École des Beaux-Arts; hier on a fait des observations sur le logement des artistes; mais, messieurs, n'allons pas croire que ce soit une prodigalité, une suite de nos innovations. Il faut toujours remonter à nos rois quand il s'agit des arts et des lettres : c'est Charles V qui a établi la Bibliothèque du Roi; c'est François Ier qui a reçu dans ses palais le Primatrice, Benvenuto, Léonard de Vinci; c'est Louis XIII qui a fondé l'Académie françoise; c'est Louis XIV qui a établi à Rome l'École des Beaux-Arts; et l'Opéra même d'aujourd'hui n'est qu'une tradition de ses fêtes.

Je sais qu'il y a des esprits peu touchés des arts; ils voudroient nous reporter à des époques où la gravité des mœurs tenoit lieu de tout et où les plaisirs de la famille remplaçoient les pompes publiques: mais, messieurs, il faut prendre les siècles tels qu'ils sont; le temps ne s'arrête ni ne recule. On peut regretter les anciennes mœurs, mais on ne peut pas faire que les mœurs nouvelles n'existent pas. Les arts ne sont pas la base de la société, mais ils en sont l'ornement; chez les vieux peuples, ils remplacent souvent les vertus, et du moins ils en reproduisent l'image au défaut de la réalité. Les arts et les lettres ne sont plus, comme autrefois, confinés dans un petit nombre d'hommes qui ne se mêloient pas à la société : les savants, les gens de lettres, les artistes, forment aujourd'hui une classe immense, que l'on retrouve partout et qui exerce un grand empire sur l'opinion. Rien de plus facile que de vous attacher ces hommes qui font tant d'honneur à la patrie; car enfin, messieurs, c'est autant à la supériorité de nos arts qu'à la renommée de nos armes que nous devons notre prépondérance en Europe. Il est juste, convenable et politique d'environner d'estime, de bienveillance et de considération des hommes dont les noms connus des étrangers font une partie de la richesse de notre pays. Honorons-les, recherchons-les, montrons-leur la gloire : ils se laisseront prendre à cette amorce, à laquelle ils n'ont jamais pu résister. Que nous en coûtera-t-il? Pas grand'chose; un peu d'admiration, qu'il est si naturel d'accorder aux talents et au génie.

Vous pardonnerez, messieurs, ces observations: il m'étoit impossible d'oublier mes anciens amis et de ne pas plaider leur cause à votre tribunal.

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