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voir, obtiendroit l'estime de l'Europe et les bénédictions de la France. Ici l'on n'a qu'une réponse à nous faire : on nous dira que les royalistes ne suivroient pas le plan que nous venons de tracer. A cette réponse nous n'opposerons que le silence, en remarquant seulement que les royalistes ont toujours été fidèles à leur parole, et que c'est du moins une présomption en faveur de leur bonne foi.

Nous avions souvent expliqué notre pensée sur la Charte et sur l'ordre actuel des choses: il ne nous restoit qu'à examiner l'assertion de ces docteurs si grands par leurs œuvres, lesquels affirment que les royalistes perdroient tout s'ils parvenoient au pouvoir. Le public connoît maintenant nos principes. Qu'il prononce; au reste, les royalistes ne désirent ni ne demandent le ministère : ils ne sont pas au-dessous des places, comme le disent leurs ennemis, ils sont au-dessus.

Il y avoit à Rome, au temps de la dépravation de l'empire, des citoyens qui conservoient l'intégrité et la piété romaines. Ces graves personnages ne s'affligeoient que des maux de leur patrie; quant à leur sort particulier, ils se résignoient à la volonté des dieux. Lorsque la tyrannie, importunée de leur vertu, se fatiguoit de les laisser vivre, ils s'en alloient à petit bruit, jugeant qu'il étoit inutile de faire tout le fracas de Caton et de se déchirer les entrailles pour une liberté qui n'existoit plus.

Paris, le 14 janvier 1820.

Il y a près de deux mois que nous nous taisons sur la politique. Nous avons regardé, écouté, attendu; non que nous ayons jamais été dupe de nos ennemis; mais si nous avions parlé plus tôt, on nous auroit peut-être accusé d'avoir dérangé des combinaisons heureuses. Il étoit question, disoit-on, de revenir à un système monarchique. Nous n'en croyions rien; mais nous devions respecter la fortune de la France, et même accorder aux promesses sinon de la confiance, du moins un délai pour se démentir.

Aujourd'hui que toute espérance s'évanouit, il est temps de rompre le silence et de reconnoître notre position.

Avertie d'abord par Le Conservateur, et ensuite par les journaux royalistes devenus libres, la France s'épouvanta de ses périls. Elle éleva la voix et appela les honnêtes gens à son secours. Le ministère, qui ne croyoit plus rencontrer d'obstacles, fut obligé de reculer devant les conséquences des principes qu'il avoit posés et les résultats des lois qu'il avoit faites.

Trois ministres sont renvoyés; trois autres leur succèdent, et paroissent vouloir agir d'après un système monarchique. On annonce que la loi des élections sera changée; la désorganisation de l'armée est arrêtée. Il n'est question que de fusion et de conciliation; des paroles de paix sont colportées çà et là par des personnes officieuses : on s'endort sur la foi ministérielle,

Deux mois s'écoulent, et la France, alarmée, ne voit rien paroître. La maladie d'un ministre est le prétexte d'une inaction si funeste. Les royalistes, qui avoient suspendu le combat, s'aperçoivent qu'on s'est encore une fois servi de leur loyauté pour désarmer leur victoire.

Il étoit impossible au ministère de suivre exactement sa première route. L'abîme où aboutissoit cette route paroissoit trop à découvert. Mais comment faire en apparence un sacrifice à l'opinion sans le faire en réalité? Comment revenir ostensiblement sur ses pas sans cependant changer de but? Un merveilleux expédient se présente on se détermine à s'emparer des principes des royalistes, en continuant de repousser les royalistes, à professer l'amour des choses et à garder la haine des hommes. Retour aux lois monarchiques, éloignement des hommes monarchiques, tel est le nouveau sophisme. Par ce moyen, le ministère prétend se substituer à la primitive opposition monarchique et devenir le seul champion de la royauté contre l'opposition démocratique.

Mais qu'on y prenne garde : dans ce système, tout absurde qu'il est, il n'y pas même encore de vérité; il n'est pas vrai que l'on veuille sincèrement des lois monarchiques, on se flatte seulement de faire croire à la France qu'on les veut.

Quel bonheur pour le ministère, mais quel malheur pour la France, s'il pouvoit régner avec une chambre qui auroit violé la Charte en prorogeant ses pouvoirs, avec une chambre avilie par une solde accordée à ses membres (car il entre dans le plan ministériel de faire accepter 10,000 fr. par an à chaque député)! Une telle chambre seroit nécessairement un instrument servile du ministre dictateur. La censure rétablie par cette chambre étoufferoit nos plaintes. La révolution, entrée dans la domesticité du ministre, nous tueroit moins violemment la France s'éteindroit dans une longue agonie; elle mourroit de mépris comme on meurt de la gangrène.

Sans doute on ne se flatte pas d'obtenir de pareilles concessions des royalistes aussi n'est-ce pas avec eux qu'on prétend faire une loi des élections. On cherche à former une majorité avec des ministériels, s'il en reste, et un certain nombre des membres de la gauche. On fait voir à cette gauche le danger de sa position; on l'invite à se sauver

en se perpétuant, en recevant d'honorables salaires, en ôtant aux royalistes la liberté de la presse, qui resteroit de fait aux amis du ministre. Ainsi l'on transforme la politique en une sorte d'escroquerie, au moyen de laquelle on espère tantôt dérober un homme, tantôt filouter une majorité. Lorsqu'il s'agit de créer de nouveau la monarchie, de replacer la pierre angulaire du temple, de raffermir les colonnes de la justice sur leurs bases éternelles, on en est aux tours d'adresse des jongleurs et aux équilibres des funambules. Jadis la France eut de plus nobles destinées, et l'urne du sort n'étoit pas pour elle le sac d'un escamoteur.

Quant à la censure, qu'on voudroit obtenir sous une forme quelconque, et sans laquelle la dictature seroit impossible, les royalistes se souviendront des discours qu'ils ont prononcés depuis trois ans contre cette censure: ils ne seront pas inconséquents et ingrats; ils n'oublieront pas que c'est à la liberté de la presse qu'ils doivent leur existence politique tant en France qu'en Europe. Il y a sans doute des choses horribles dans les pamphlets du jour; mais qu'on relise les feuilles révolutionnaires et ministérielles de l'époque de la censure, et l'on y trouvera les mêmes blasphèmes. Il est vrai que du bon temps de la censure les ministres étoient épargnés; ils pouvoient fabriquer des conspirations, insulter les hommes qu'ils avoient fait jeter dans les cachots, gouverner arbitrairement la France, destituer à tort et à travers, tomber dans toutes les fautes de l'incapacité sans avoir de comptes à rendre à l'opinion publique. Alors ils ne se scandalisoient pas des impiétés que laissoit passer une libérale censure: il ne s'agissoit que de la religion et de la monarchie! Mais aujourd'hui on ose dire à nos hommes d'État qu'ils ne sont pas les premiers hommes du monde; on ose les attaquer comme on attaquoit les royalistes sous la censure! Cette liberté de la presse est une vraie peste vite des censeurs! sauvons... Qui? le roi? bagatelle! Le ministère.

En votant pour la censure, les royalistes détruiroient le gouvernement constitutionnel et se remettroient dans la position où ils étoient en 1816 or ils ne veulent ni violer la Charte ni passer sous le joug. Si la loi actuelle ne suffit pas pour réprimer les délits de la presse, à qui la faute, si ce n'est aux ministres, qui n'ont pas même voulu y placer le nom de la religion? Et d'abord, la font-ils exécuter, cette loi? Non. Est-elle foible, cette loi, est-elle timide, incomplète, onpeut en augmenter les pénalités; on peut imiter l'exemple que vient de nous donner l'Angleterre. Des hommes d'État, amis de l'ordre, sans avoir recours à des mesures d'exception, toujours odieuses, auroient bientôt trouvé le moyen d'arrêter ce débordement d'écrits

impies, séditieux et calomniateurs. Mettez à la tête du ministère une vertu active et vigoureuse, et vous verrez s'évanouir devant elle l'audacieuse lâcheté du crime.

Ne nous berçons point de chimères, le ministère n'est point changé : son retour sincère aux principes et aux hommes monarchiques seroit sans doute un grand bonheur pour la France; mais une politique pratique et applicable doit raisonner dans l'ordre naturel et peut compter sur les miracles. Le ministère a été injuste, et dès lors il ne pardonnera pas aux royalistes. On déteste dans l'homme que l'on a persécuté non l'homme lui-même, mais le mal qu'on a fait, et c'est un châtiment de la Providence: notre haine pour nos victimes n'est que le tourment de nos remords.

Au reste, qu'un misérable système soit plus ou moins repoussé, à peine cet accident s'apercevra-t-il dans la grande catastrophe qui nous menace. L'état dans lequel nous vivons depuis six semaines est étrange un silence profond a succédé au discours du roi. Deux chambres sont inutilement convoquées; une espèce d'interrègne semble advenu; la nation est comme licenciée : on se demande si ce qui étoit est fini, si l'on va commencer une autre monarchie. Tout languit, tout expire: le mouvement cesse; quelque chose d'usé, une impuissance d'être se fait sentir. La religion, âme des institutions humaines, abandonne nos lois athées, nos mœurs perverties, notre politique révolutionnaire, et ne nous laisse en se retirant que le cadavre de la société.

Et comment cette société ne se dissoudroit-elle pas? Jamais la vertu fut-elle exposée à un tentation plus rude? C'est du gouvernement même que descend la corruption; c'est le ministère du prince légitime qui exige, pour ainsi dire, qu'on ait trahi son roi, qu'on ait fait preuve d'impiété, qu'on ait soutenu toutes les illégitimités, pour obtenir la faveur. Que sous le règne d'un fils de saint Louis on demande, on recommande exclusivement tout ce qui étoit en honneur sous la terreur et l'usurpation, n'est-ce pas porter l'anarchie dans les esprits, l'abomination dans les cœurs, le mal jusque dans la moelle des os? Le ministère, qui, par un jeu cruel de la fortune, dispose aujourd'hui de nos destinées; le ministère, qui pourroit acquérir tant de gloire et qui se prépare tant de malheurs; le ministère, qui pourroit nous sauver et qui s'obstine à nous perdre, cet imprudent ministère, au lieu de comprendre sa position et la nôtre, au lieu de revenir sur ses pas, s'enfonce de plus en plus dans le précipice: il continuera d'intriguer jusque dans l'abîme, et cet abîme se refermera sur lui.

Paris, le 20 janvier 1820.

Le profond silence dans lequel nous étions plongés a été interrompu : nous avons donné quelques signes de vie. A la vérité, ce n'est pas le ministère qui s'est ranimé par sa propre force, le mouvement lui est venu du dehors.

Le système ministériel a rallumé au milieu de nous le volcan révolutionnaire dans les intervalles des éruptions, comme on n'entend rien, on oublie le danger; mais tout à coup la terre tremble et l'abîme élève la voix. Laissons le langage de la Bible et parlons sans figures. Des pétitions adressées à la chambre des députés, et demandant qu'aucun changement ne soit fait à la loi des élections, ont amené deux séances orageuses. La discussion s'ouvrit le 14. Le rapporteur de la commission évita adroitement de choquer diverses opinions de la chambre, et conclut à l'ordre du jour. Un député se préparoit à monter à la tribune, lorsque le ministre des finances demanda à être entendu pour présenter un projet de loi sur les douanes. Un autre député fit observer qu'on ne pouvoit pas introduire dans une affaire commencée un objet étranger à cette affaire. Que prétendoit-on? refroidir les combattants? Mais cette ruse de guerre, si c'en étoit une, ne pouvoit servir qu'à les échauffer.

Lecture du projet de loi étant faite, un député obtint enfin la parole, et renoua la discussion interrompue. Il s'étonna de voir le ministère repousser ceux qui réclamoient le maintien de la loi des élections, quand le même ministère avoit accueilli les pétitionnaires qui demandèrent l'an dernier le rejet de la proposition de M. Barthélemy.

Un ministre, ne pouvant répondre à cet argument ad hominem, se jeta sur la Charte. Après lui un député déclara que dix-neuf millions, que trente millions de signatures allaient incessamment revêtir des milliers de pétitions. En vain on lui objecta que le nombre des habitants de la France ne s'élève pas au-dessus de vingt-huit millions. Il n'en voulut point démordre, et continua de faire signer femmes, enfants et vieillards: « Oui, répéta-t-il, trente millions! >>

M. le général Foy établit très-bien le principe général du droit de pétition. Il parla d'une dictature perpétuelle, et fit entendre que l'on en vouloit à la liberté de la presse : c'est la pure vérité. La séance fut ajournée au lendemain.

Samedi 15, nouveau combat. M. Lainé, dans un discours logique, digne et éloquent, répond à tout: il repousse les pétitions, non parce qu'elles sont inconstitutionnelles, mais parce qu'elles sont de nature

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