Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Une question obligeante m'a été faite à diverses reprises dans les feuilles publiques. On a demandé pourquoi je refusois de servir une révolution qui consacre des principes que j'ai défendus et propagés.

Je n'avois pas oublié cette question, mais je m'étois déterminé à n'y pas répondre; je voulois sortir en paix du monde politique, comme je sors en paix du monde littéraire dans la Préface du grand ouvrage qui termine mes OEuvres complètes, et qui paroîtra dans quelques jours. « A quoi bon, me disois-je, armer de nouveau les passions contre moi ? Ma vie n'a-t-elle pas été assez agitée? Ne pourrois-je trouver quelques heures de repos au bord de ma fosse? » Une proposition faite à la chambre des députés est venue changer ma résolution. Je serai compris des gens de cœur. A peine délivré d'un long et rude travail, il m'en coûte de troubler le dernier moment qui me reste à passer dans ma patrie; mais c'est une affaire d'honneur, je ne puis l'éviter.

Depuis les journées de juillet, je n'ai point fatigué le pouvoir de mes doléances. J'ai parlé de la monarchie élective aux pairs de France avant qu'elle fût formée, j'en parle maintenant aux François après huit mois d'existence de cette monarchie. Une grave occasion, la chute

1. Études ou Discours historiques.

VIII.

31

:

des trois souverains, m'avoit obligé de m'expliquer; une occasion tout aussi grave, la proscription de ces rois, ne me permet pas de rester muet. Dans cet opuscule (réfutation indirecte de la proposition faite aux chambres législatives, et développement de mes idées sur ce qui est) les partis se trouveront plus ou moins froissés je n'en caresse aucun; je dis à tous des vérités dures. Je n'ai rien à ménager : dépouillé du présent, n'ayant qu'un avenir incertain au delà de ma tombe, il m'importe que ma mémoire ne soit pas grevée de mon silence. Je ne dois pas me taire sur une restauration à laquelle j'ai pris tant de part, qu'on outrage tous les jours, et que l'on proscrit enfin sous mes yeux. Sans coterie, sans appui, je suis seul chargé et seul responsable de moi. Homme solitaire, mêlé par hasard aux choses de la vie, ne marchant avec personne, isolé dans la restauration, isolé après la restauration, je demeure, comme toujours, indépendant de tout, adoptant des diverses opinions ce qui me semble bon, rejetant ce qui me paroît mauvais, peu soucieux de plaire ou de déplaire à ceux qui les professent. Au moyen âge, dans les temps de calamités, on prenoit un religieux, on l'enfermoit dans une petite tour où il jeûnoit au pain et à l'eau pour le salut du peuple. Je ne ressemble pas mal à ce moine du xe siècle : à travers la lucarne de ma geòle expiatoire, je vais prêcher mon dernier sermon aux passants, qui ne l'écouteront nas.

Les raisons qui m'ont empêché de prêter foi et hommage au gouvernement actuel sont de deux sortes les unes générales, les autres particulières ou personnelles; parlons d'abord des premières.

Si la restauration avoit eu lieu en 1796 ou 1797, nous n'aurions pas eu la Charte, ou du moins elle eût été étouffée au milieu des passions émues. Buonaparte écrasa la liberté présente, mais il prépara la liberté future en domptant la révolution et en achevant de détruire ce qui restoit de l'ancienne monarchie. Il laboura tout ce champ de mort et de débris: sa puissante charrue, traînée par la Gloire, creusa les sillons où devoit être semée la liberté constitutionnelle.

Survenue après l'empire, la restauration auroit pu se maintenir à l'aide de la Charte, malgré la défiance dont elle étoit l'objet, malgré les succès étrangers dont elle n'étoit que l'accident, mais dont elle paroissoit être le but

La légitimité étoit le pouvoir incarné; en la saturant de libertés, on l'auroit fait vivre en même temps qu'elle nous eût appris à régler ces libertés. Loin de comprendre cette nécessité, elle voulut ajouter du pouvoir à du pouvoir; elle a péri par l'excès de son principe.

Je la regrette parce qu'elle étoit plus propre à achever notre éducation que toute autre forme gouvernementale. Encore vingt années de

l'indépendance de la presse sans secousses, et les vieilles générations auroient disparu, et les mœurs de la France se seroient tellement modifiées, et la raison publique auroit fait de si grands progrès, que nous eussions pu supporter toute révolution sans péril.

Le chemin que l'on a suivi est plus court: est-il meilleur? est-il plus sûr?

Il existe deux sortes de révolutionnaires ; les uns désirent la révolution avec la liberté : c'est le très-petit nombre; les autres veulent la révolution avec le pouvoir : c'est l'immense majorité. Nous nous faisons illusion; nous croyons de bonne foi que la liberté est notre idole ; erreur. L'égalité et la gloire sont les deux passions vitales de la patrie. Notre génie, c'est le génie militaire; la France est un soldat. On a voulu les libertés tant qu'elles ont été en opposition à un pouvoir qu'on n'aimoit pas, et qui sembloit prendre à tâche de contrarier les idées nationales: ce pouvoir abattu, ces libertés obtenues, qui se soucie d'elles, si ce n'est moi et une centaine de béats de mon espèce? A la plus petite émeute qui n'est pas dans le sens de son opinion, à la plus légère égratignure dans un journal, le plus fier partisan de la liberté de la presse invoque tout haut ou tout bas la censure. Croyezvous que ces docteurs qui jadis nous démontroient l'excellence des lois d'exception, puis qui devinrent épris de la liberté de la presse quand ils furent tombés, qui se vantent aujourd'hui d'avoir toujours combattu en faveur des libertés, croyez-vous qu'ils ne soient pas enclins à revenir à leur première tendresse pour une sage liberté, ce qui dans leur bouche vouloit dire la liberté à livrée ministérielle, chaîne et plaque au cou, transformée en huissier de la chambre? Ne les entend-on pas déjà répéter l'ancien adage de l'impuissance qu'il est impossible de gouverner comme cela?

Je l'ai prédit dans mon dernier discours à la tribune de la pairie : la monarchie du 29 juillet est dans une condition absolue de gloire ou de lois d'exception: elle vit par la presse, et la presse la tue; sans gloire elle sera dévorée par la liberté; si elle attaque cette liberté, elle périra. Il feroit beau nous voir, après avoir chassé trois rois avec des barricades pour la liberté de la presse, élever de nouvelles barricades contre cette liberté! Et pourtant que faire? L'action redoublée des tribunaux et des lois suffira-t-elle pour contenir les écrivains? Un gouvernement nouveau est un enfant qui ne peut marcher qu'avec des lisières. Remettrons-nous la nation au maillot? Ce terrible nourrisson qui a sucé le sang dans les bras de la Victoire à tant de bivouacs ne brisera-t-il pas ses langes? Il n'y avoit qu'une vieille souche profondément enracinée dans le passé qui pût être battue impunément des

vents de la liberté de la presse. Il y eut liberté en France pendant les trois premières années de la révolution, parce qu'il y eut légitimité: depuis la mort de Louis XVI, que devint cette liberté jusqu'à la restauration? Elle tua tout sous la république, et fut tuée sous l'empire.. Nous verrons ce qu'elle deviendra sous la monarchie élective.

Les embarras de cette monarchie se décèlent à tous moments : elle est en désaccord avec les monarchies continentales absolues qui l'environnent. Sa mission est d'avancer, et ceux qui la conduisent n'osent avancer : elle ne peut être ni stationnaire ni rétrograde; et dans la crainte de se précipiter, ses guides sont stationnaires et rétrogrades.. Ses sympathies sont pour les peuples; si on lui fait renier ces peuples, il ne lui restera aucun allié. Elle marche entre trois menaces : le sceptre révolutionnaire, un enfant qui joue au bout d'une longue file de tombeaux, un jeune homme à qui sa mère a donné le passé et son père l'avenir.

Aujourd'hui, c'est une chose convenue, que la restauration étoit un temps d'oppression, l'empire une époque d'indépendance: deux flagrantes contre-vérités. Il seroit bien étonné de sa couronne civique s'il revenoit à la vie, le libéral de la conscription, qui mitrailloit le peuple au 13 vendémiaire sur les marches de Saint-Roch, et faisoit sauter à Saint-Cloud la représentation nationale par les fenêtres. La liberté de la presse, la liberté de la tribune et la royauté dans la rue, lui paroîtroient d'étranges éléments de son empire. On va jusqu'à immoler notre réputation nationale à celle de Napoléon; il semble que nous n'étions rien sans lui. En nous vantant de notre indépendance, ne tombons pas en extase devant le despotisme; sachons mettre l'honneur de la patrie au-dessus de la gloire d'un homme, quelque grande qu'elle soit.

Quant à la restauration, les quinze années de son existence avec leurs inconvénients, leurs fautes, leur stupidité, leurs tentatives de despotisme par les lois et par les actes, le mal-vouloir de l'esprit qui les dominoit; ces quinze années sont, à tout prendre, les plus libres dont aient jamais joui les François depuis le commencement de leurs annales.

Nous avons sous les yeux depuis six mois un miracle : tout pouvoir est brisé; obéit qui veut; la France se gouverne et vit d'elle-même par le seul progrès de sa raison. Sous quel régime a-t-elle fait ce progrès ? Est-ce sous les lois de la Convention et du Directoire, ou sous l'absolutisme de l'empire? C'est sous le régime légal de la Charte; c'est pendant le règne de la liberté de la tribune et de la liberté de la presse. Ce que j'ose dire aujourd'hui blessera les passions du moment:

tout le monde le redira quand l'effervescence réactionnaire sera calmée.

Ces quinze années de la restauration n'ont pas même été sans éclat; elles ont laissé pour monuments de beaux édifices, des statues, des canaux, de nouveaux quartiers dans Paris, des halles, des quais, des aqueducs, des embellissements sans nombre, une marine militaire recréée, la Grèce délivrée, une vaillante colonie dans le repaire des anciens pirates que l'Europe entière pendant trois siècles n'avoit pu détruire, un crédit public immense, une propriété industrielle dont l'état florissant ne se peut mieux attester que par les banqueroutes générales, l'effroyable ruine de nos manufactures et de nos places de commerce, depuis l'établissement de la monarchie élective.

J'entends parler de l'abaissement où languissoit la France en Europe pendant la restauration. Ceux qui s'expriment ainsi affrontoient apparemment les balles de la garde royale à la tête de la jeunesse, dans les trois mémorables journées: marchant sans doute aujourd'hui dans le sens de la révolution opérée, ils ont nargué les Cosaques et les Pandoures, secouru les peuples qui répondoient à notre cri de liberté, et poussé jusqu'aux rives du Rhin nos générations belliqueuses. Ces fières insultes à la restauration m'ont fait croire un matin que Buonaparte avoit secoué sa poussière, abîmé dans la mer l'île qui lui servoit de tombe, et étoit revenu en trois pas par les Pyramides, Austerlitz et Marengo. J'ai regardé : qu'ai-je aperçu? De nobles champions sensibles au dernier point à notre déshonneur national, mais au fond les meilleures gens du monde. Ils ont obtenu la paix de l'Europe en laissant assommer les peuples assez sots pour avoir pris au sérieux les déclarations de non-intervention. Cette pauvre légitimité s'avisoit quelquefois d'avoir du sang dans les veines. Elle osa aller de la Bidassoa à Cadix, malgré l'Angleterre ; elle arma, combattit en faveur de la Grèce; elle s'empara d'Alger, sous le canon de Malte; elle déclara qu'elle ne rendroit cette conquête que quand et comment il lui plairoit. Le gouvernement actuel brave une autre autorité: il refuse la Belgique malgré la nation; il laisse égorger les Polonois malgré la nation; il laisse ou va laisser l'Autriche occuper Parme, Plaisance, Modène, peut-être Bologne et le reste, malgré la nation. Qu'il continue à se conduire de la sorte, et les cabinets de l'Europe le préféreront à la monarchie passée; il gagnera sa légitimité auprès des gouvernements légitimes, comme un chevalier gagnoit jadis ses éperons, non la lance au poing, mais le chapeau bas.

Si des personnes froissées par la restauration en parlent avec colère, je les comprends; si d'autres personnes, ennemies du sang des Capets,

« ZurückWeiter »