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POLÉMIQUE

Paris, ce 7 août 1819.

Lorsque le cardinal de Richelieu alloit passer quelques jours à Rueil, on se demandoit : « A qui va-t-il déclarer la guerre? quelle alliance va-t-il former? quelle tête élevée va-t-il abattre? » Nos ministres ont dîné dernièrement à Mont-Huchet. La Gazette nous a appris cette importante nouvelle. Des personnes très-bien instruites prétendent que les ministres ont renvoyé leurs gens afin de garder un plus parfait incognito, et elles ajoutent qu'un second dîner a dû avoir lieu à Madrid. Que de vastes desseins auront été agités ! que de maires et de sous-préfets foudroyés !

Ne cherchons point à pénétrer des mystères interdits aux profanes; il suffit que la partie vulgaire de ces dîners nous soit connue. Les ministres vont assez habituellement travailler à Madrid, chez le ministre principal; celui-ci a bien voulu aller dîner à Mont-Huchet: on reconnoît là cette politesse de l'homme supérieur, qui fait disparoître les distances, console l'amour-propre, accoutume au joug celui qui seroit tenté de le secouer. La seconde cause vulgaire de ces congrès champêtres est le rapatriage des ministres. En vain on aura montré à M. le ministre des finances qu'il accusoit un déficit de 52 millions, lequel n'existoit pas; en vain on lui aura prouvé qu'il demandoit au moins 21 millions de trop, puisqu'on a fait sur son budget une économie de 21 millions: cette petite erreur de 73 millions auroit coûté à un ministre anglois un peu plus que sa place; mais en France le cœur l'emporte sur la Charte; nous sommes bonnes gens, et nous garderons M. le ministre des finances.

Nous savons bien que les partisans de M. le ministre des finances répondent que les erreurs du budget n'étoient que des erreurs apparentes, provenant d'une certaine manière de compter; qu'en déclarant

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un déficit aujourd'hui, ce déficit auroit été comblé demain : demain, c'est un peu prompt; mais il est certain que le déficit eût été rempli au bout d'un certain temps, puisqu'on auroit tôt ou tard été obligé de rendre compte des recettes. En attendant, les fonds seroient restés dans la caisse de M. le ministre des finances. Les auroit-il laissés dormir, ou les auroit-il fait valoir? Dans le dernier cas, que seroient devenus les intérêts d'une somme énorme et disponible? Conviendroit-il qu'un ministre des finances fit en grand ce que fait en petit un receveur général? Il n'est rien de tel pour les contribuables que de leur présenter un budget franc et net; toute obscurité en finances expose les plus honnêtes gens aux impertinents propos d'une foule oisive alors le peuple parle de boni, de lots, de partages. Heureusement, s'il en étoit besoin, l'honorable médiocrité de nos ministres répondroit victorieusement à la calomnie.

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Mais il est bien qustion de finances, à présent que la session est finie; les ministres ont bien autre chose à penser: il faut que la cor-respondance privée aille son train.

Il est triste d'être né dans ces temps où les gens les plus communs deviennent tout à coup des espèces de personnages. Et que de belles choses ces personnages nous expliqueront! Nous aurons des chaires d'histoire philosophique du droit! Jusque ici on avoit donné des leçons de science, parce que la science est une chose positive; aujourd'hui c'est la philosophie de la science qu'on apprendra, c'est-à-dire que le maître montrera à ses disciples comment on a des idées, si lui-même par hasard a des idées; personne ne saura les lois, mais chacun pourra faire l'Esprit des Lois.

Enseigner la philosophie des lois, c'est enseigner l'incrédulité des iois. Quand, à travers les déclamations accoutumées, vous aurez remonté jusqu'au droit naturel, vous trouverez que l'homme, en sortant du sein de sa mère, n'est ni riche, ni pauvre, ni roturier, ni noble, ni serviteur, ni maître, ni roi, ni sujet; grand secret éloquemment commenté par Marat, Danton et Robespierre. Que conclura la jeunesse de ces leçons sur l'état naturel, si utiles dans l'état social? Que tout gouvernement est une tyrannie; qu'il faut en revenir à la loi agraire, à l'égalité primitive, et bouleverser les constitutions établies, pour les rendre plus conformes aux doctrines philosophiques de M. le professeur.

Les hommes supérieurs retournent souvent à la religion par l'incrédulité leur pensée vigoureuse, arrivée au néant, ne s'arrête pas au bord de ce vide immense; elle s'y plonge, le traverse, et va trouver Dieu de l'autre côté de l'abîme. Ces mâles esprits concluent l'existence

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d'un Être suprême de la difficulté même de la preuve rigoureuse; ils sentent que l'univers doit avoir un principe, et que si ce principe est inexplicable, il faut s'en tenir aux mystères de la religion. Ainsi Newton, Leibnitz, Clarke, Pascal, Bossuet, descendent des hauteurs de leur génie à la foi du charbonnier. Mais de petits philosophes, tout embarrassés dans les objections communes, regardent les difficultés qu'ils ont apprises comme le plus haut point de la raison; et trop foibles qu'ils sont pour reconnoître l'insuffisance de la science dans l'excès même de la science, ils restent pitoyablement athées.

Pareille chose vous arrivera pour le code, au moyen des chaires philosophiques : les Cujas, les Barthole, les Pothier, les Domat, les d'Aguesseau, croiront à l'ordre social, après en avoir touché le néant dans l'état de nature; comme le vulgaire, ils s'inclineront devant le mystère des lois; mais des milliers d'écoliers, frappés des imperfections qu'ils auront entendu professer par un docteur idéologue, seront les athées des lois, en attendant qu'ils en deviennent les sanglants réformateurs.

Mais voici bien un autre mécompte on a déterré une brochure ultra-royaliste que l'on soupçonne être l'ouvrage d'un professeur qui vient d'être jugé. Messieurs de la révolution en croyant voler au secours d'un libéral n'auroient-ils sauvé qu'un ultra? Quelle effroyable mystification! Depuis trois semaines nous connoissions cette brochure, que Le Drapeau blanc vient d'exhumer; nous y avions lu les conseils pour épurer avec hardiesse, dans un sens peu agréable à la révolution, les injures à la majorité de l'ancien sénat, qui auroit voulu chasser à jamais le roi légitime, et les anathèmes contre le jury qui, dit l'auteur, ne pourra jamais s'acclimater parmi nous, et les raisonnements contre les machines à rouages, c'est-à-dire contre le gouvernement constitutionnel. Nous y avions lu ce passage et plusieurs autres « Croit-on que si Alexandre, Guillaume, François et le gouvernement d'Angleterre, n'eussent pas eu à un très-haut degré l'affection et l'attachement de leur nation, ils eussent pu obtenir tous les grands et si utiles résultats dont nous venons d'être les témoins? »

Maintenant, si la brochure est du professeur, à quelle opinion appartient-il? Les libéraux ne doivent plus l'admettre dans leurs rangs; nous autres royalistes, nous le repoussons également, et pour sa première brochure, et pour ses derniers discours : quant à la brochure, nous déclarons que nous avons horreur du despotisme, que nous voulons le gouvernement constitutionnel et le jugement par jurés; nous déclarons que nous respectons les souverains étrangers, mais que nous ne nous réjouissons qu'avec mesure des grandes choses qu'ils ont faites.

lorsque ces grandes choses les ont amenés deux fois dans la cour du Louvre; quant aux discours de M. le professeur, ils nous sont odieux, car nous détestons la démocratie autant que le despotisme. Il n'y a donc que les ministériels qui puissent maintenant s'arranger de lui.

Les pédants autrefois avoient au moins de l'instruction: Vadius savoit du grec autant qu'homme de France: aujourd'hui les pédagogues ne savent rien, et ils n'en sont pas moins lourds. Soyez un jeune ou un vieux commis; ayez barbouillé quelques pages que personne n'a lues; mettez sur votre tête un bonnet de docteur; armez-vousd'une férule et prononcez un galimatias métaphysico-politique en voilà assez pour mépriser le genre humain et pour daigner gouverner ce petit royaume de saint Louis. Le reste des hommes s'abîme devant vous à peine, du sommet de votre cerveau, apercevez-vous le stupide vulgaire qui se traîne dans les routes de la vieille sagesse.

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La doctrine de la nation nouvelle, en supposant qu'elle signifie quelque chose, veut apparemment dire ceci : que les siècles ne rétrogradent point; que chaque génération amène des changements dans la société; qu'aujourd'hui, par exemple, l'ancien gouvernement est détruit sans retour; qu'on ne peut plus imposer par le rang et la naissance, si les vertus ou les talents n'ajoutent leurs avantages naturels à ces avantages politiques; que l'éducation, descendue dans les classes inférieures de la société, établit entre les hommes une sorte d'égalité qu'aucune puissance ne peut détruire; que ce nouvel ordre de choses a produit une nation nouvelle, qui, loin de renoncer aux droits acquis, bouleverseroit le monde si on lui refusoit ce qu'elle est faite pour obtenir.

Tout cela est juste, très-juste; nous l'avons dit nous-même cent fois, et nous sommes loin de le contester : nous avons prêché la Charte, expliqué la Charte avant tous les garçons philosophes qui la recommandent aujourd'hui. Nous avons voulu en tous temps l'égalité des droits, la liberté, le gouvernement constitutionnel. Il est probable que sur tous ces points nous sommes de meilleure foi que nos adversaires libéraux et ministériels. N'importe; ils diront toujours que nous voulons l'esclavage, la féodalité, l'extinction des lumières : quoiqu'on lise le contraire à chaque page, et pour ainsi dire à chaque ligne de nos écrits, ils n'auront pas une seule fois la sincérité d'en convenir.

On voit donc que la doctrine de la nation nouvelle se réduit à la vérité exprimée dans cette phrase banale : nous sommes enfants de notre siècle. Si l'on se contentoit de poser en fait qu'il existe une nation nouvelle qui a besoin d'un nouvel ordre politique, il n'y auroit.

rien de plus simple, et nous serions tous d'accord. Mais l'on conclut de l'existence de cette nation nouvelle qu'il faut mettre à l'écart tout ce qui a tenu à l'ancienne société, pour introduire partout, ou de vieux jacobins ou des philosophes imberbes; que les vertus, les talents, les services des royalistes doivent être soigneusement écartés; que l'incapacité parjure est préférable à la capacité fidèle, par cela seul qu'elle est parjure; en un mot, que le présent doit être absolument détaché du passé. Quant à ce pauvre passé, on parle de le mettre à l'hôpital ou aux Invalides, de lui faire une pension alimentaire, et de le laisser radoter dans un coin jusqu'à ce qu'il soit mort, tout à fait mort.

La grande et misérable erreur de ce système est tantôt de séparer l'ordre moral de l'ordre politique, tantôt de supposer que le premier est variable comme le second. Lorsqu'on raisonne d'après la première idée, on dit qu'il est indifférent qu'un homme ait gardé ou violé ses serments; qu'il ait été dans le cours de la révolution innocent ou criminel; qu'il suffit à cet homme de comprendre et de soutenir les nouveaux intérêts politiques pour être utile à la société, laquelle n'a besoin ni de vertus morales ni de vertus religieuses.

Lorsqu'on argumente d'après la seconde idée, c'est-à-dire lorsqu'on suppose que l'ordre moral varie comme l'ordre politique, on soutient qu'il y a des temps où ce qui étoit vice devient vertu, où ce qui étoit injustice devient justice. De là les révolutionnaires n'ont fait que suivre la marche des siècles; de là les hommes des Cent Jours n'ont point été des ingrats, des parjures, des traîtres : ils ont servi leur patrie, qui est autre chose que le roi s'il est malheureux, que le gouvernement s'il tombe; de là ceux qui combattent depuis trente ans pour le trône n'ont aucun mérite, parce que la morale n'est plus ce qu'elle étoit jadis et que le devoir a changé.

Si l'on disoit aux inventeurs de ce système qu'ils dégradent la nature humaine en substituant, sans s'en douter, la société physique à la société morale; si on leur disoit que le présent ne peut sortir que du passé, qui est sa racine; que la liberté politique ne se peut établir que sur la morale qui en est la base (comme la religion est le fondement de la morale); que toujours l'ingratitude sera ingratitude, la trahison trahison, l'injustice injustice, et que des hommes pervers ne feront jamais de bons citoyens, ces vérités reconnues du genre humain feroient sourire de pitié les docteurs de la nouvelle science. Mais nous ne rirons pas, nous, quand la France aura été replongée dans l'abîme par quelques révolutionnaires, aidés de six têtes pens intes, de trois hommes forts et d'un ou deux génies spéciaux.

Et pourtant, qu'il seroit aisé de faire justice! Renvoyez ces grands

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