Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

roit, disparoît encore en poussant un petit cri sauvage; elle passe dela simplicité aux grandeurs, de la hutte d'un pauvre Pélage aux douves du château voisin; là elle se plaît à pénétrer dans les lucarnes et les meurtrières, d'où sortent les branches de glaïeul; elle aime à se percher sur les armoiries sculptées en bosse dans les vieux murs; quand elle s'y tient immobile, vous la prendriez elle-même, avec son plumage noir et le cachet blanc de sa tête, pour un oiseau en blason, tombé de l'écu d'un ancien chevalier. Aux approches du printemps, elle se retire à quelque source écartée, et va chercher dans les roseaux une retraite mystérieuse et fragile. Si elle rencontre un saule, de qui le vieux tronc, semblable à un pot de fleurs, laisse échapper les ruelles d'or et les pieds-d'alouette, dont le vent lui apporta les graines, si l'onde a creusé sous les racines de ce saule un antre plein de mousse et de fraîcheur, c'est là qu'elle se dérobe à tous les regards pour accomplir la grande loi de la nature. Les convolvulus, les mauves, les capillaires d'eau, suspendent devant son nid des draperies de verdure, afin de ne donner que des idées riantes à sa maternité; le cresson et la lentille lui fournissent une nourriture délicate; l'eau murmure doucement à son oreille; de beaux papillons occupent ses yeux, et les naïades du ruisseau, pour mieux cacher cette jeune mère, plantent autour d'elle leurs quenouilles de roseaux chargées d'une laine empourprée.

LE SERPENT'.

Il n'y eut qu'une seule voix dans l'assemblée pour qu'on laissât le merveil leux serpent s'échapper...

Voilà pourtant ce que la philosophie du jour rejette avec hauteur. Nos observateurs de cabinet rient quand ils lisent les psaumes (si toutefois ils lisent les psaumes): furor illis (peccatoribus) secundum similitudinem serpentis: sicut aspidis surditas, et obturantis aures

suas.

On voit bien pourquoi ils refusent de croire à ceci; mais, quoi qu'il en soit, David en savoit plus qu'eux. M. de Buffon lui-même ne peut le disputer en science, en grâce et en force, à cette société de naturalistes, les Moïse, les Job, les David, les Salomon, les Isaïe, les Jérémie,

1. Voyez t. II, p. 63, avant-dernière ligne.

les Jésus fils de Sirach; et qu'y a-t-il donc, après tout, de si impossible à la puissance de Dieu dans l'effet de la musique sur plusieurs animaux? Celui qui a donné tant de soupirs aux ondes, aux vents, aux forêts, celui qui tient le soleil comme une lyre d'or entre ses mains, ne pourra-t-il, sans la permission d'un athée, charmer un reptile par des sons, et lui sera-t-il plus difficile de donner une oreille harmonieuse au serpent que d'attacher une sonnette à sa queue?

Que ceux qui regrettent la religion et les mœurs de l'antiquité voient ici d'un coup d'œil les deux vertus, la vertu chrétienne et la vertu païenne, et les deux philosophies, l'une selon Jésus de Nazareth, l'autre selon Zénon du Portique. Le premier se montre à nous dans la condition la moins relevée; le second est placé sur le trône de l'univers. Celui-là est l'humble Juste, mourant pour avoir défendu ses frères, et écrivant cette simple et touchante apologie de la vertu et de la religion; celui-ci est le célèbre Marc-Aurèle, faisant du crime son trésor royal, dictant l'athéisme dans ses sentences, et répandant le sang innocent: qu'on choisisse.

BAILLY'.

Qui pourroit penser que des hommes qui ont vu Bailly, couvert du bonnet funèbre, conduit à la piscine du sang, sur le char de la philosophie qu'escortoit l'enfer et que traînoient l'athéisme et la mort, qui pourroit penser que ces hommes n'ont pas reçu une assez forte leçon? Astronomes! qui, malgré un avertissement si terrible, vous obstinez encore à chasser Dieu du ciel pour y placer le Néant, savez-vous bien ce que vous vous préparez? Vous ressemblez à ces peuples arabes qui marquent les immortelles constellations du pôle d'un grand et d'un petit cercueil.

LE SINAI 2.

Voyez ce mont embrasé, dont le sommet vomit des foudres. Voyez cet homme qui descend de ces hauteurs brûlantes; ses mains sou

1. Ce paragraphe a été retranché du chapitre in, t. II, p. 80.

2. Variante du dernier paragraphe de la p. 54, t. II.

tiennent une table de pierre sur sa poitrine; son front est orné de deux cornes de feu, son visage resplendit encore des gloires du Seigneur, dont pourtant il n'a vu que le dos dans la nue. Des faces sublimes volent autour de lui comme des roues vivantes, et la terreur de Jéhovah le précède; le tableau représente un site vaste et solitaire ; à l'horizon, c'est la chaîne du Liban, avec ses crêtes nues, ses éternelles neiges, ses cèdres fuyant dans le ciel, ses gazelles et ses ânes sauvages appendus dans des abîmes; on y découvre sous de rares palmiers le camp des Hébreux et leurs tentes de peaux de brebis noires; les chameaux paissent çà et là les plaines de sable; et la postérité de Jacob, tremblante au pied de la sacrée montagne, se voile et ferme les yeux de toute sa force, dans la crainte de voir Dieu et de mourir. Cependant les tonnerres font tout à coup un grand chœur de silence, et voici venir une voix : Écoute, Israël, etc.

LE DÉLUGE'.

Alors fut reconnue la vanité de ce qu'on tient pour grand entre les hommes le guerrier, le poëte, le savant, l'artiste, l'orateur, firent retentir de leurs hurlements les carrefours des cités comme les plus simples et les plus timides. . Les eaux, sur

montant de trente coudées le sommet des plus hautes montagnes, fondirent dans la bouche des volcans qui s'éteignirent en vomissant de tumultueuses fumées, tandis que leurs flancs creusés se remplirent avec un bruit affreux ainsi que des bouteilles immenses. Les colonnes d'eaux atteignirent des régions si raréfiées que les poissons même furent suffoqués dans leur propre élément; et leurs corps, ballottés par les vagues, flottèrent pêle-mêle avec les autres débris de ce grand naufrage du monde. . Le ciel même ne paruc plus qu'une onde cristallisée qui se fond en rosée fertile durant la fraîcheur des nuits. Le souvenir de la destruction des races se perpétua dans les hauts lieux, où l'on ne voit plus que de rares animaux errant par des montagnes inconnues.

1. Variante de la fin du chapitre Iv, p. 82, t. II.

[ocr errors]
[ocr errors]

SPECTACLE GÉNÉRAL DE L'UNIVERS'.

Il est un Dieu : les herbes de la vallée et les cèdres de la montagne le bénissent; l'insecte bourdonne ses louanges et l'éléphant le salue au lever du jour; l'oiseau le chante dans le feuillage, la foudre fait éclater sa puissance et l'Océan déclare son immensité; l'homme seul a dit : Il n'y a point de Dieu!

Il n'a donc jamais celui-là, dans ses infortunes, levé les yeux vers le ciel, ou, dans son bonheur, abaissé ses regards sur la terre? La nature est-elle si loin de lui qu'il ne l'ait jamais pu contempler? Il n'a pas besoin de courir à l'extrémité du globe, de s'enfoncer dans les déserts; qu'il aille, vers le milieu de la nuit, se promener dans les plaines, autour de ces métropoles, séjour de l'orgueil et de l'athéisme; que d'un côté il prête l'oreille au murmure confus qui sort de ces remparts, et que de l'autre il écoute le silence des étoiles; qu'il nous dise si cette matière emprisonnée dans ce firmament et dans ces mers est partout sans maître, ou si c'est la même force qui l'a domptée dans cette ville et dans le ciel ! L'homme ne peut rien, tout lui résiste; s'il courbe une roue, la roue se révolte et gémit; il semble attacher ses soupirs et son cœur tumultueux à tous ses ouvrages. Il n'en est pas ainsi de Dieu : il a parlé, le chaos s'est tu; les étoiles, saisies de frayeur, se sont dérobées, à pas légers, dans les ombres. Dans l'œuvre du Créateur, tout est muet parce qu'il n'y a point d'efforts, tout est silencieux parce que tout est soumis. Les puissances unies de la matière sont à une seule parole de Dieu comme rien est à tout, comme les choses créées sont à la nécessité. O différence du pouvoir humain et du pouvoir divin! le petit char d'un homme fait seul plus de bruit que toute la machine des mondes.

LA CRÉATION'.

Si le monde n'eût été à la fois jeune et vieux, le grand, le mélancolique, le moral, disparoissoient de la nature, car ces sentiments tiennent par essence aux choses antiques. Chaque site eût perdu ses mer

1. Variante du chapitre portant le même titre, t. II, p. 86.

2. Voyez le même tableau, plus correct sans doute, mais affoibli de couleurs, t. II, p. 82.

veilles. Le rocher en ruine n'eût plus pendu sur l'abîme avec ses longues graminées; les bois, dépouillés de leurs accidents, n'auroient point montré ce touchant désordre d'arbres brisées ou morts sur leurs tiges, de troncs abattus sur le cours des fleuves, et tout rongés de fongus, de mousses et de lierre. Les pensées inspirées, les bruits vénérables, les génies, les voix magiques, la sainte horreur des forêts, se fussent évanouis avec les voûtes sombres qui leur servent de retraites, et les solitudes de la terre et du ciel seroient demeurées nues et désenchantées en perdant ces colonnes de chênes qui les unissent. Le jour même où l'Océan répandit ses premières vagues sur ses rives, il baigna, n'en doutons point, des écueils déjà rongés par les flots, des grèves festonnées d'algues et pavées de débris de coquillages, des baies mugissantes et des caps décharnés qui soutenoient contre les eaux les rivages croulants de la terre.

D'une autre part, que fût devenue la pompe du soir si le premier coucher du soleil ne s'étoit fait sur la croupe de quelques vieilles montagnes, parmi des cimes de rochers, de bois chenus et de nuages de pourpre? Et la lune qui, comme une blanche et timide vestale, se lève au milieu de la nuit pour chanter les louanges du Seigneur, auroit-elle osé confier à de jeunes arbrisseaux et de naissantes fontaines ce grand secret de mélancolie qu'elle ne raconte qu'aux vieux sapins et aux rivages antiques des mers? Ah! il falloit que le cercueil du monde fût placé pour ainsi dire auprès de son berceau, afin qu'on ressentît dans les déserts ces douces et puissantes émotions qui résultent des contrastes de la mort et de la vie.

En enlevant la beauté aux paysages, cette foible création l'eût aussi ravie aux plantes qui les décorent. Les fleurs sans parfums, sans couleurs, sans penchants, sans habitudes, n'auroient eu aucun rapport ni avec les vierges ni avec les zéphyrs, et dans leurs hiéroglyphes secrets on n'eût point retrouvé l'histoire mystérieuse de l'homme. La liane barbue, à peine sortant de la terre, ne se fût point détournée des autres arbres américains pour s'attacher au copalme, comme le véritable amour, qui n'embrasse qu'un seul objet. La rose naissante eût pu ressembler encore à la jeune fille, mais auroit-elle exprimé la touchante aventure que raconte sa corolle fanée? Et vous aussi, merveilleuse agave', vous n'eussiez point nourri votre rejeton dans votre sein, pour le laisser tomber à terre tout formé : image d'une mère qui porte son enfant dans ses bras, jusqu'à ce qu'il puisse jouer seul sur la verdure. Enfin, l'étonnante sarracenia, qui dans les marais

1. Agave viviparia.

VIII.

35

« ZurückWeiter »