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Qu'il nous seroit aisé d'en trouver d'autres! Non, vous n'êtes point à l'abri des maux qui consument le pauvre, puissances et souverains du monde. « Job repose, dans son sommeil, avec les rois et les consuls de la terre, qui se bâtissent des solitudes. » Cum regibus et consulibus terræ, qui ædificant sibi solitudines '. La nature ne fait pas des rois, elle fait des hommes; vous n'emporterez au cercueil que vos os, et rien de vos grandeurs. « Nus vous êtes sortis du ventre de votre mère; nus vous rentrerez dans son sein 2. » Alors tous vos serviteurs se retireront. La mort seule, comme le grand officier de votre couronne, restera pour vous présenter la coupe du sommeil, et vous étendre sur votre lit d'argile. C'est là que dépouillé par ses mains, l'œil cherchera en vain sur votre chair les marques de votre royauté, jusqu'à ce que la terre vous couvre de son voile, et que l'éternité tire ses rideaux autour de votre dernière couche. Croyez donc en Dieu, puisqu'il faut mourir; soyez donc religieux, puisque vous pouvez être misérables. Prenez garde surtout de vous laisser tenter à la prospérité; ne vous assurez point dans un bonheur qu'un seul instant peut détruire. Souvent ceux qui ont habité les palais en sont sortis les mains liées derrière le dos; les reines ont été vues pleurant comme de simples femmes, et l'on s'est étonné de la quantité de larmes que contiennent les yeux des rois '.

LA FEMME ATHÉE.

O femmes! j'en appelle à vos entrailles maternelles, le système de l'athée ne sera point le vôtre; il n'est fait que pour des cœurs de glace celui qui l'inventa n'avoit jamais aimé. Vous croirez à cette religion qui couvre de lin blanc et de fleurs le cercueil de vos nourrissons, qui chante des cantiques de joie sur leurs aimables tombeaux; qui vous apprend qu'ils ne sont point morts, mais transformés en petits anges. Vous chérirez cette foi divine, qui pour objet d'adoration vous offre une femme de douceur et de joie qui tient dans ses bras son nouveau-né : c'est là le véritable culte des mères.

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3. L'auteur a mis plus tard cette dernière phrase dans la bouche du père Aubry. (Voyez Atala.)

4. Voyez t. II, p. 133.

CORRUPTION DU GOUT'.

Mais la plus funeste des conséquences qui résultent de l'engouement pour les littératures étrangères, c'est la perte irréparable du goût. Il y a des François qui osent maintenant trouver fades les vers de Racine, de ce grand homme qui ressemble si fort à Virgile, que la muse ellemême pourroit les prendre l'un pour l'autre : tels étoient ces deux jumeaux dont parle le cygne de Mantoue, qui trompoient doucement leur mère. On préfère dans les longues descriptions modernes les détails fastidieux et bas aux traits rapides, au beau choix de circonstances de l'auteur des Géorgiques. On dit que cela est dans la nature. Et sans doute cela est dans la nature; mais ne sait-on pas qu'un poëme n'est qu'un tableau où l'on ne demande pas la simple nature, mais la nature ideale? Certes, une enseigne de cabaret et un magot de la Chine sont beaucoup plus dans la nature que la Transfiguration de Raphael et l'Apollon du Belvédère.

Il en est de même du théâtre. Les drames atroces, les monstruosités des étrangers sont vantés aux dépens des Phedre et des Athalie. On s'écrie encore que cela est dans la nature. Un auteur vous demande : << Avez-vous pleuré à ma pièce? - Oui. Eh bien, laissez là donc vos règles éternelles, votre Aristote et votre Racine. Eh bon Dieu! j'ai pleuré à votre pièce, mais j'ai pleuré aussi en me promenant dans cet hôpital, j'ai aussi pleuré en voyant pendre ce scélérat: si l'on me casse un bras, je pleurerai; si on comprime mon cœur, si on le déchire, je verserai des larmes. » Dirais-je que tout cela est beau parce que tout cela est violent, et que le méchant écrivain qui me met à la torture est le plus grand auteur du monde? En ce cas, pourquoi tant chercher l'art? Le bourreau de Paris est le premier auteur dramatique du siècle.

Il est faux que le premier des arts soit de faire pleurer, dans le sens où l'on entend ce mot aujourd'hui. Les vraies larmes sont celles que fait couler une belle poésie : il faut qu'il s'y mêle autant d'admiration que de douleur. Que si Sophocle me présente OEdipe tout sanglant, mon cœur va se briser; mais tout à coup mon oreille se remplit d'une douce mélodie, mes yeux sont enchantés par un spectacle souverainement beau: j'éprouve à la fois du plaisir et de la peine; je

1. Voyez t. II, chap. v du livre iv, p. 347. Ce fragment est remarquable surtout en ce qu'on le croiroit écrit trente ans plus tard. (Note des Éditeurs.)

pleure, et je voudrois sourire; je vois devant moi une affreuse vérité, et cependant je sens que ce n'est qu'une ingénieuse imitation d'une action qui n'est plus, qui peut-être n'a jamais été alors mes larmes coulent avec délices; mon cœur, loin d'être oppressé, se dilate; je pleure, mais c'est au son de la lyre d'Orphée; je pleure, mais c'est aux accents des Muses. Ces filles célestes pleurent aussi, car il n'y a rien de si poétique que le malheur; mais elles ne défigurent point leurs beaux visages par des grimaces, et leurs larmes sont toujours mêlées de danses et de guirlandes d'hyacinthe. Faire pleurer ainsi est sans doute le premier des arts. Ah! revenons vite à l'étude de l'antique; reprenons l'aimable simplicité du style et des sujets. Tenonsnous toujours dans la région du beau; représentons la nature, mais la nature dans sa grandeur et dans l'idéal de l'art. Alors nos théâtres cesseront d'être des écoles d'infidélité pour les femmes et d'immoralité pour les hommes, lorsque nous en aurons banni toutes ces vertueuses adultères et tous ces honnêtes indigents qui n'apprennent qu'à tromper la couche nuptiale et à voler son voisin.

Une des sources de l'erreur où sont tombés les gens de lettres qui cherchent des routes inconnues vient de l'incertitude qu'ils ont cru remarquer dans les principes du goût. On est un grand homme dans un journal et un misérable écrivain dans un autre, ici un génie brillant, là un pur déclamateur. Les nations entières varient. Tous les étrangers refusent du génie à Racine et de l'harmonie a nos vers. Nous, nous jugeons des Anglois tout différemment des Anglois eux-mêmes. Qui croiroit que Richardson passe pour avoir un style bas, et qu'il est à peine lu; que Le Spectateur est presque abandonné; que Pope, regardé comme un pur versificateur, est mis fort au-dessous de Dryden? On ne sait plus ce que c'est que Hobbes. Locke est médiocrement estimé; il est douteux que les œuvres philosophiques de Hume aient jamais été ouvertes; on rit d'Ossian, qui nous tourne la tête. Il n'y a que les étrangers qui s'obstinent à croire que ces poëmes soient véritablement du barde écossois : toute la littérature angloise est convaincue que c'est l'ouvrage de M. Macpherson. On demandoit à Johnson s'il connoissoit beaucoup d'hommes dans le cas d'écrire comme Ossian : Yes, répondit-il, many men, many women, many children, Beaucoup d'hommes, beaucoup de femmes, beaucoup d'enfants.

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RESURRECTION ET JUGEMENT DERNIER'.

Les enfers des nations infidèles sont aussi capricieux que leur ciel; les récompenses que le christianisme promet à la vertu et les châtiments qu'il annonce au crime se font au premier coup d'œil reconnoître pour les véritables; car le ciel et l'enfer de notre sainte religion ne sont point bâtis, comme ceux des païens, sur les mœurs particulières d'un seul peuple, mais sur des idées générales qui conviennent à toutes les nations et à toutes les classes de la société. Écoutez ce qu'il y a de plus simple et de plus sublime en quelques mots : le bonhenr du chrétien vertueux consistera dans l'autre monde à posséder Dieu avec sa plénitude; le malheur de l'impie sera de connoître les perfections de l'Éternel et d'en être à jamais privé.

Voilà sans doute une conception digne de la religion révélée. On dira que les philosophes de l'antiquité ont enseigné les mêmes dogmes. Outre que cette assertion n'est pas rigoureusement vraie, car Platon et Pythagore n'ont jamais rien avancé de si clair ni de si positif, il y a une grande différence entre un dogme renfermé dans un cercle étroit de disciples choisis ou une vérité qui est devenue la manne commune du petit peuple. Ce que les plus beaux génies de la Grèce ont trouvé par un dernier effort de raison de pensée s'enseigne publiquement aux carrefours des cités chrétiennes; et le manœuvre achète tous les jours pour quelques deniers, dans le catéchisme de ses enfants, les secrets les plus sublimes des écoles antiques. Bénissons cette religion merveilleuse qui réunit les vérités métaphysiques les plus profondes aux dogmes moraux les plus purs, aux mystères les plus ineffables, à la doctrine et au culte les plus poétiques.

Feuilletez toutes les annales du monde, parcourez tous les livres sacrés des prêtres égyptiens, grecs, romains, indiens, persans, et montrez-nous quelque chose de plus frappant que ce moment de la fin des siècles, annoncé par la religion de nos pères?

L'univers est un immense vaisseau. Dieu, pilote souverain, assis à la poupe de l'arche merveilleuse, tient dans sa main le sablier qui marque les minutes de sa route; l'éternité est contenue dans les deux verres opposés de l'horloge, et le temps, qui passe sans cesse d'un globe à l'autre, comme un vain sable découlant de l'éternité, tombe dans l'éternité. Mais tout à coup l'heure de la course de l'univers finit, le

1. Voyez le même sujet, fort abrégé, t. II. p. 141-42.

temps s'arrête, l'horloge se brise, le soleil et les astres sanglants se détachent de leur voûte, se plongent dans la nuit primitive; tout ce qui naquit par le temps meurt avec lui, et l'éternité envahit son empire.

Alors les quatre trompettes se font entendre aux quatre points de ce qui fut jadis les régions de la terre absente. Une poussière épaisse s'élève subitement de l'abîme produit par le genre humain, qui sort à la fois du tombeau. Les justes revivent, avec un corps tout lumineux de l'éclat de leurs vertus; les méchants traînent des membres hideux et rouges des ulcères du crime. Mais la vaste coupole d'un ciel sans horizon abaisse lentement sa hauteur dans les espaces, et voici apparoître le Fils de l'Homme, sur les nuées, accompagné de l'armée de ses saints et des anges. L'enfer remonte en même temps du puits de l'abîme, et vient assister à ce dernier arrêt prononcé sur les siècles: le partage des boucs et des brebis s'opère. Oh! qu'alors ils désireront vainement pour les ensevelir, ces masses qui pesoient sur la terre, ces montagnes qui ne seront plus, tous les philosophes qui verront Dieu face à face, après l'avoir renié pendant leur vie! Il les foudroiera de sa présence, il leur criera: «Troupe impie, niez donc à présent mon existence, venez m'attaquer sur mon trône! Comment s'est dissipée dans un instant toute votre audace? » En disant ces mots, il les couvrira de tels épanchements de lumière, qu'ils se sentiront remplis de la divinité jusqu'aux extrémités de leurs doigts, que leurs cheveux même prendront douloureusement la parole pour confesser l'existence de Dieu; et cette conviction sera l'éternel tourment, le tourment épouvantable de ces cœurs incrédules.

Tel sera le terrible jugement du Créateur sur les infidèles. Tous les crimes porteront en eux-mêmes la nature de leur punition : l'impureté se trouvera condamnée aux plus infâmes souillures, en souhaitant alors l'innocence dont elle connoîtra toute la beauté; les oreilles du fourbe qui aura faim et soif de la vérité ne retentiront que de mensonges; l'homicide verra avec un cœur tendre les spectacles les plus cruels, et sentira par là les mêmes maux qu'il aura causés; l'honnête homme en apparence, ces hommes profondément orgueilleux qui, sauvant les dehors, se contentent de n'avoir point de vices sans avoir de vertus, seront rejetés du troupeau des fidèles. Le souverain juge dira à ces philanthropes: « Vous ne fites point de mal, mais vous ne fîtes point de bien. Qu'il passe à ma droite, cet homme qui fut foible, mais qui secourut et aima véritablement ses frères, cet homme qui tomba, mais qui vêtit l'orphelin, protégea la veuve, réchauffa le vieillard et donna à manger au Lazare; car c'est ainsi que j'en agissois,

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