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frêle barque au milieu de l'Océan. Quelle tempête ne va-t-il pas élever! quels périls ne menacent pas les jours d'Henri IV! Ne craignez rien; notre siècle est plus judicieux, il n'admet pas ces extravagances homériques, par qui un dieu arrive en trois pas au bout de la terre. Soufflez, enfant d'Orythie! mais que la philosophie vous rappelle que Bourbon s'est embarqué à Dieppe, et que conséquemment il est dans la Manche; donnez-vous de garde d'égarer le héros dans les poétiques solitudes d'Amphitrite. La raison doit toujours vous guider; la vérité, qui n'étoit autrefois que dans l'ivresse de Bacchus, est maintenant dans celle des Muses. D'après cette apostrophe, que l'auteur de l'épopée dédiée à la Vérité semble avoir faite à sa muse, les vents furieux ont conduit Bourbon par delà les portes du jour, dans des lieux vagues, couverts de ténèbres, à une île lointaine, inconnue, à Jersey enfin.

Telle est cependant l'influence des idées philosophiques; il n'y a pas de si heureux génie qu'elle n'étouffe : les seuls endroits où M. de Voltaire se soit élevé dans La Henriade sont ceux-là même où il a cessé d'être philosophe pour devenir chrétien. Aussitôt qu'il a touché à la source de toute poésie, la religion, la source a immédiatement coulé. Le serment des Seize dans le souterrain, l'apparition du fantôme de Guise qui vient armer Clément d'un poignard, sont de belles choses et des choses fort épiques, puisées dans les opinions du XVIe siècle. Voyez comme le poëte s'est trompé lorsqu'il a voulu transporter la philosophie dans les cieux. Son Éternel est sans doute un dieu fort juste, qui juge le bonze et le derviche; mais ce n'est pas cela qu'on attendoit de la muse, on lui demandoit de la poésie, un ciel chrétien, des cantiques, Jéhovah enfin, le mens divinior, la religion.

Il nous semble que M. de Voltaire a repoussé fort mal à propos cette milice sacrée, cette armée des martyrs et des anges qui lui auroit fourni de fort belles choses; et parmi nos saintes il eût pu trouver des puissances aussi grandes que celles des déesses antiques, et des noms aussi doux que ceux des Grâces. Une bergère apparoît sur un nuage d'or; ses tempes ne se couronnent plus des roses fugitives qu'elle glanoit jadis au champ des hommes, mais des roses durables qu'elle cueille maintenant sur la montagne du Seigneur. Son vêtement est un tissu de vapeur azurée, sa chevelure est formée du plus beau rayon de l'aurore. A travers sa brillante immortalité on reconnoît encore les lieux qui l'ont vue naître et les charmes d'une vierge de France. En vérité, il nous semble que si nous étions poëte, nous trouverions quelque chose à dire sur ces bergères transformées par leurs vertus en bienfaisantes divinités; sur ces Geneviève, qui du haut du

ciel protègent avec une houlette le sceptre des Clovis et des Charlemagne. Est-ce donc qu'il n'y a point d'enchantement pour les Muses à voir le peuple le plus spirituel et le plus brave du monde consacré par la religion à la fille de la simplicité et de la paix? Et de qui les gentilles Gaules tiendroient-elles leurs troubadours, leur parler naïf et leur penchant aux grâces, si ce n'étoit du chant pastoral, de l'innocence et de la beauté de leur patronne!

Vicieuse par le plan, par les caractères, par le merveilleux, il ne restoit plus à La Henriade que de pécher encore par la poésie; or, on convient que M. de Voltaire faisoit mal les vers épiques. On trouve dans son épopée de beaux vers, quelques tirades entières que tout le monde sait par cœur, une superbe image (Henri s'éloignant de Paris, comparé au soleil qui paroît plus grand en se retirant à l'horizon)'; enfin, le style de La Henriade est correct, la narration parfaite et la diction généralement pure; mais, après tout, il y a au moins une moitié des chants écrite à la hâte en prose rimée. N'est-ce pas se moquer des lecteurs que de leur dire dans une épopée :

Sur les bords fortunés de l'antique Idalie,

Lieux où finit l'Europe et commence l'Asie.

Nous ne parlons que du style, et nous ne demandons pas ce que M. de Voltaire a voulu dire par ce palais de l'Amour, dont l'art, ornant depuis la simple architecture,

Par ses travaux hardis surpassa la nature.

Certainement l'auteur ne s'est jamais bien entendu quand il s'est enfoncé dans un pareil galimatias.

Concluons :

« Un poëme excellent, où tout marche et se suit,
■ N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit.
Il veut du temps, des soins; et ce pénible ouvrage
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage. »

De tout ce que nous avons dit sur La Henriade, il résulte que si M. de Voltaire a échoué dans l'épopéc, ce n'est pas parce qu'il l'a tenté sur un sujet pris dans le christianisme, comme on nous le voudroit faire croire, mais, au contraire, parce qu'il n'a pas lui-même été chrétien. Toutefois, en traitant si rigoureusement La Henriade, nous

1. Imitée même du P. Lemoine.

ne nions pas que son auteur n'eût reçu de la nature les talents nécessaires pour faire un beau poëme épique. S'il a manqué son sujet, la faute en est tout entière à la philosophie.

CHRYSÈS OU LE PRÊTRE'.

Il n'y a peut-être pas de tableau plus chaste dans toute L'Iliade que cet endroit du premier livre où Homère représente Chrysès, prêtre d'Apollon, venant redemander sa fille aux Grecs devant Troie. On voit cet antique serviteur des dieux arriver seul au camp des Atrides : une couronne de laurier est dans ses cheveux blancs, et il tient à la main un rameau vert entouré des sacrées bandelettes de laine. Menacé par Agamemnon et forcé de quitter les vaisseaux, il reprend le chemin de Chrysa; il marche en silence le long des flots bruyants de la mer. Lorsqu'il est à quelque distance du camp, il s'arrête, et étendant ses bras vers les eaux, il prie Apollon le sagittaire de venger l'injure de son prêtre. Ne semble-t-il pas que tout cela se passe sous vos yeux?

Mais voici un solitaire chrétien qui peut lutter de beauté avec Chrysès lui-même. Guelfe et Ubalde sont allés chercher le jeune héros qu'Armide retient dans les déserts des îles Fortunées; les deux guerriers arrivent au bord d'un fleuve.

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■ Soudain apparoît un vieillard d'un aspect simple et vénérable. Son front est couronné de feuilles de hêtre, une longue draperie de lin blanc flotte autour de lui. Sa main agite une baguette, et il foule à pied sec la surface du fleuve, en remontant contre son cours. »

Tantôt cet anachorète habite les antres de la terre et le sein des fleuves; tantôt il fixe sa demeure sur les sommets aériens (au Ramagion) du Carmel et du Liban; ici il contemple les astres et mesure leur course; là, pénétrant dans les trésors de la foudre, il suit les pas insidieux des vents. La montagne n'a point de fossiles dans ses flancs, point de végétaux sur ses cimes, dont le solitaire ne connoisse les vertus. Dans le fol orgueil de son savoir, cet habitant des solitudes

4. Ce morceau devoit appartenir au t. II, p. 182-83; il a été entièrement supprimé.

s'étoit jadis épris de lui-même; mais l'eau du baptême éclaira son âme, et il connut que toutes les lumières des hommes ne sont que de trompeuses ténèbres : voilà le trait chrétien, le trait admirable.

LE GUERRIER ATHÉE'.

Qu'un capitaine rassemble ses soldats, et leur dise la veille d'une bataille : « Mes amis, le boulet qui vous tranchera demain par le milieu du corps ne laissera rien de vous dans ce monde. On vous jettera dans une fosse avec les chevaux où vous pourrirez pêle-mêle, parce que vous ne valez pas mieux qu'eux. La fatigue que vous avez éprouvée, les dangers que vous avez courus, les privations que vous avez souffertes, ont été très-bien payés par douze sous que la patrie vous a donnés par jour. Quant à Dieu et à un monde meilleur, n'y comptez pas, c'est une pure rêverie de vos prêtres : tout se réduit à vous faire casser la tête pour ma propre gloire. Fantassins obscurs, vous serez oubliés ; je recueillerai seul le fruit de votre mort. »

Que ce capitaine mène ses soldats à la charge après ce beau discours, et le premier coup de canon de l'ennemi dispersera toutes ses légions philosophiques.

Mais si quelque antique solitaire, aumônier de l'armée, qui depuis trente ans chante le Te Deum sur le champ de bataille, et célèbre le sacrifice de paix sur un autel formé de tambours; si ce père, à barbe blanche, qui tant de fois a fait descendre le Dieu fort sur un camp françois, qui tant de fois, étalant les humbles vertus chrétiennes au milieu des nobles vertus militaires, a invoqué le Jésus des petits enfants au lit de mort d'un grenadier et pratiqué les choses de l'ermitage sous une tente; si cet homme pieux dit aux soldats : « Mes enfants, voilà l'ennemi; défendez votre religion. Ceux qui tomberont dans cette ! cause sacrée seront reçus par leurs pères, qui les regardent du haut du ciel. Pour une vie d'un moment et pleine de trouble, ils jouiront d'une vie éternelle et pleine de délices. Toutes leurs peines seront finies, et nous les regarderons comme des saints. Leurs os reposeront dans une terre bénite, et le ciel répandra ses grâces sur leur famille. Marchez donc, je vous remets tous vos péchés, marchez à la voix de votre Dieu, qui vous commande : la victoire est entre ses mains, il vous la donnera.

1. Ceci appartenoit aussi au chapitre sur l'Athéisme, t. II, p. 133.

Nous parierons que l'aumônier aura raison contre le capitaine, et qu'en effet les soldats du prêtre battront les soldats du philosophe.

L'AMOUR'.

Ce que nous appelons proprement amour parmi nous est un sentiment dont la haute antiquité a ignoré jusqu'au nom. Ce n'est que dans les siècles modernes qu'on a vu se former des sens et de l'âme cette espèce d'amour dont l'amitié est la partie morale. C'est encore au christianisme que l'on doit ce sentiment perfectionné; c'est lui qui, tendant sans cesse à épurer le cœur, est parvenu à jeter la spiritualité jusque dans le penchant qui en paroissoit le moins susceptible. Voici donc un nouveau moyen de situations poétiques que nos auteurs doivent à ce culte qu'ils s'épuisent à décrier : on peut voir dans une foule de romans les beautés que cette passion demi-chrétienne a fait naître. Le caractère de Clémentine 2, par exemple, est un chef-d'œuvre dont l'antiquité n'offre point de modèle. Mais pénétrons un peu dans ce sujet : considérons d'abord l'amour passionné, nous verrons ensuite l'amour champêtre.

Nous examinons donc à présent cette sorte d'amour qui n'est ni aussi saint que la piété conjugale, ni aussi gracieux que le sentiment des bergers, mais qui, plus poignant que l'un et l'autre, dévaste les âmes où il règne. Ne s'appuyant point sur la religion du mariage ou sur l'innocence des mœurs champêtres, et ne mêlant aucun autre prestige au sien, il est à soi-même sa propre illusion, sa propre folie, sa propre substance; ignorée de l'artisan, trop occupé, et du laboureur, trop simple, cette passion n'existe que dans ces rangs de la société où l'oisiveté nous laisse surchargés de tout le poids de notre cœur, avec son immense amour-propre et ses éternelles inquiétudes. C'est alors que, presque seul au milieu du monde avec une surabondance de vie, on sent en soi une force dévorante qui consomme l'univers sans être rassasiée. On cherche quelque chose d'inconnu, l'idéal objet d'une flamme future; on l'embrasse dans les vents, on le saisit dans les gémissements du fleuve : tout est fantôme imaginaire, et les globes dans l'espace, et le principe même de vie dans la nature.

1. Variante du chapitre intitulé Didon, t. II, p. 196.

2. GRANDISON.

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