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donnèrent naissance à la mélopée. Cette mélopée se partage elle-même en trois branches; la seconde de ces branches fut affectée au récitatif de la tragédie et aux harmonies funèbres.

Les Romains n'apportèrent aucun changement au génie de la musique: ce ne fut que vers l'an 415 de la fondation de la cité que cet art parut à Rome. Il fut introduit dans les jeux scéniques par des mimes et des joueurs de flûte, que le sénat avoit envoyé chercher en Toscane. Nous ignorons quel étoit le caractère de cette musique. Si les Étrusques étoient Égyptiens d'origine, comme il y a quelque lieu de le croire, il est vraisemblable qu'ils ne connoissoient que le premier système d'Hermès ou Mercure.

Mais Polymnie, avec les autres Muses, envahit dans la suite l'empire des vainqueurs de la Grèce. La seule altération que les Romains se permirent dans l'art d'Olympe fut de substituer l'alphabet latin à l'alphabet grec pour faciliter la lecture de l'échelle musicale.

Ce fut dans cet état que le christianisme trouva la musique sur la terre. Les premiers fidèles, s'apercevant combien l'âme attendrie par les sons s'ouvre plus facilement aux influences religieuses, célébrèrent les louanges de Dieu sur les plus beaux airs de la Grèce. Saint Ambroise et le pape Damase réformèrent dans la suite l'harmonie, que le temps avoit corrompue. Boèce, au retour de ses voyages, l'an 502 de notre ère, fit part à l'Église latine des chants qu'il avoit recueillis à Athènes. Enfin, saint Grégoire le Grand, corrigeant le troisième système des Grecs et des Latins, c'est-à-dire le système d'Olympe, fixa pour toujours la musique sacrée; musique que l'ignorance et l'esprit d'irréligion se sont plu à ravaler, mais qui n'en fait pas moins les délices de tous ceux qui goûtent encore la simplicité, la mélancolie, la majesté, lagrandeur, et qui aiment à égarer leur pensée dans la nuit des temps et dans le vague des souvenirs.

S'il y a quelque chose de médiocre dans la musique sacrée, ce sont en général les chants d'allégresse. Le christianisme est sérieux comme l'homme, et son sourire même est mélancolique. L'O filii et filiæ, les divers alleluia, sont bien inférieurs aux soupirs et aux. prières que nos maux arrachent à la religion : tout l'office des morts est un chef-d'œuvre; les artistes conviennent qu'il est du style le plus sublime, et qu'il fait entendre les sourds retentissements du tombeau. Il reste une tradition dans l'Église, que le chant qui délivre les morts, comme l'appelle un de nos plus grands poëtes, est celui-là même qui servoit aux pompes funèbres des Athéniens, vers le temps de Périclès.

On remarque aussi quelquefois dans les hymnes d'église je ne sais

quel génie à la fois religieux et sauvage. Composées par des solitaires qui vivoient au milieu des bois, ces hymnes ont des silences, des renflements et des dimensions graduelles de sons; vous croiriez reconnoître dans leur murmure monotone le bourdonnement des ifs et des vieux pins qui ombrageoient les cimetières et les cloîtres des abbayes.

Presque tous les chants de la semaine sainte sont parfaits dans le style de la douleur; la passion de saint Matthieu est encore aujourd'hui le désespoir des maîtres; le récitatif de l'historien, les cris de la populace juive, la noblesse des réponses de Jésus, forment un drame pathétique dont la musique moderne n'a point approché. Et quelle est donc cette religion qui, représentant sans cesse une sublime tragédie, compose son culte de la réunion de tous les arts?

FRAGMENT D'UN ÉPISODE'.

L'étranger étoit assis sous un papaya, au bord du lac de Tindaé. Le jour approchoit de sa fin, et tout étoit calme, superbe, solitaire et mélancolique au désert. Les montagnes de Jore, les forêts de cèdres des Chéroquois, les nuages dans les cieux, les roseaux dans les savanes, les fleuves dans les vallées, se rougissoient des feux du couchant. Par delà les rivages du lac, le soleil s'enfonçoit avec majesté derrière les montagnes. On le voyoit encore suspendu à l'horizon entre la fracture de deux hauts rochers: son globe élargi, d'un rouge pourpre mouvant et environné d'une auréole glorieuse, sembloit osciller lentement dans un fluide d'or, comme le pendule de la grande horloge des siècles".

Prête à se livrer au silence, la solitude exécutoit un dernier concert: les forêts, les eaux, les brises, les quadrupèdes, les oiseaux, les monstres, faisoient les diverses parties de ce chœur unique. La nompareille chantoit dans le copalme, l'oiseau moqueur gazouilloit dans le tulipier: on entendoit à la fois et les flots expirants sur leurs grèves et les crocodiles qui rugissoient sourdement. Nichées dans les feuillages des tamarins, des grenouilles d'un vert de porphyre imitoient par un cri singulier le tintement d'une petite cloche; et de beaux serpents, qui vivent sur les arbres, siffloient suspendus aux dômes des

1. Ce morceau rappelle quelques pages des Natchez et d'Atala.

2. Cette phrase se trouve dans René.

bois, en se balançant dans les airs comme des festons de lianes. Enfin de longues bandes de cariboux, d'orignaux, de buffles sauvages, venoient en bramant, en mugissant, se baigner dans les eaux du lac. Toutes ces bêtes défiloient sous l'œil de l'universel Pasteur, qui conduit la chevrette de la montagne avec la même houlette dont il gouverne dans les plaines du ciel l'innombrable troupeau des astres.

Tandis que l'étranger contemploit ce rare spectacle, et les forêts autour de lui, et le soleil dans l'ouest, et le lac à ses pieds, il entendit marcher dans le bois : c'étoit le vieux sauvage son hôte. Outalissi s'avançoit en s'appuyant sur son arc détendu, et ses cheveux, noués sur le sommet de sa tête avec des plumes d'aigle, ressembloient à une touffe de filasse argentée; il salua le jeune Européen selon la coutume du désert en l'agitant légèrement par l'épaule, il lui souhaita un ciel bleu, beaucoup de chevreuils, un manteau de castor et l'espérance. Il poussa la fumée du calumet de paix vers le soleil couchant et vers la terre cela étant fait, il s'assit sous le papaya.

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L'homme des forêts et l'homme des cités s'entretinrent des choses de la solitude; ils louèrent le dieu des fleuves, le dieu des rochers, le dieu des hommes justes; leurs pensées remontèrent vers le berceau du monde, vers ces temps où l'homme de trente années suçoit encore le lait de sa mère, c'est-à-dire qu'il se nourrissoit d'innocence, et l'étranger pria son hôte de lui raconter ce qu'il savoit de l'ancienne parole. « Fils de l'étranger, enfant des mille cabanes, répondit le sauvage, je te parlerai dans toute la sincérité de mon cœur ; mais je ne pourrai mettre dans ma chanson' la cadence que j'y aurois mise autrefois, dans ce temps où nos cheveux ne comptoient encore que deux fois dix chutes de feuilles. J'ai bien changé depuis ces jours: les jarrets du vieux cerf se sont roidis, il a pris sa parure d'hiver, son poil est devenu blanc, et il va bientôt se retirer dans l'étroite caverne. O mon fils! si je fleuris encore aujourd'hui, ce n'est plus que par la mémoire: un vieillard avec ses souvenirs ressemble à l'arbre décrépit de nos bois, qui ne se décore plus de son propre feuillage, mais qui couvre quelquefois sa nudité de la verdure des plantes qui ont végété sur ses antiques rameaux. »

L'ancien des hommes ayant ainsi fait l'apologie de son grand âge, avec cette douce prolixité si naturelle aux vieillards, commença sor chant religieux. Son chef caduc se balançoit sur ses épaules arrondies, comme cette étoile du soir qui paroît trembler sur le dos des mers où elle est prête à s'éteindre.

1. La tradition.

2. La tradition est chantée.

D'abord il raconta les guerres du Grand Esprit contre le cruel Kitchimanitou, dieu du mal. Ensuite il célébra le jour fameux qui commence les temps, jour où le Grand Lièvre, au milieu des quadrupèdes de sa cour, se plut à former l'univers d'un grain de sable, qu'il tira du fond de l'abîme, et à transformer en homme les corps des animaux noyés. Il dit le premier homme et la belle Atahensie, la première de toutes les femmes, précipités pour avoir perdu l'innocence; la terre rougie du sang fraternel; Jouskeka l'impie immolant le juste Tahouitsavon; le déluge descendant à la voix du Grand Esprit pour punir la race de Jouskeka; Massou sauvé seul, dans son canot d'écorce, du naufrage du genre humain; le corbeau envoyé à la découverte de la terre, et ce même corbeau revenant à son maître sans avoir trouvé où se reposer. Plus heureux que le volatile, le rat musqué rapporta à Massou un peu de terre pétrie dont Massou forma le nouvel univers. Ses flèches, lancées contre le tronc des arbres dépouillés, se changèrent en branches verdoyantes. Massou, par reconnoissance, épousa la femelle du rat musqué, et de cet étrange hyménée sortit la nouvelle race des hommes, qui tiennent de leur mère terrestre l'instinct et les passions animales, et se rapprochent de la divinité par l'âme et la raison qu'ils tiennent de leur père.

Tel fut le chant du vieux sauvage, qui remplit d'étonnement l'Européen en retrouvant dans le plus profond des déserts, dans un monde séparé des trois autres parties de la terre, les traditions de notre sainte religion. Cependant la nuit américaine sortant de l'orient s'avançoit sur les forêts du Nouveau Monde, dans toute la pompe de son costume sauvage, et l'on n'entendoit plus que le roucoulement de la colombe de la Virginie. L'Indien et le voyageur se levèrent pour retourner à la cabane; ils passèrent près d'un tombeau qui formoit la limite de deux nations dans la solitude: c'étoit celui d'un enfant ! On l'avoit placé au bord du sentier public, afin que les jeunes femmes, en allant à la fontaine, pussent recevoir dans leur sein l'âme de l'innocente créature, et la rendre à la patrie. Il s'y trouvoit alors une mère, toute semblable à Niobé, qui, à la clarté des étoiles, arrosoit de son lait le gazon sacré et y déposoit une gerbe de maïs et des fleurs de lis blanc. On y voyoit aussi des épouses nouvelles, qui, désirant les douceurs de la maternité, venoient puiser les semences de la vie à un tombeau, et cherchoient, en entr'ouvrant leurs lèvres, à recueillir l'âme du petit enfant, qu'elles croyoient voir errer sur les fleurs. J'admirai avec des pleurs dans les yeux ces mœurs très-merveilleuses et ces dogmes attendrissants d'une religion qui sembloit avoir été inventée par des mères...

Humbles monuments de l'art des Indiens, vous n'invitez point une science fastueuse à vos tombes inconnues. Vous n'avez d'autres portiques que ceux des forêts, d'autres pilastres que le granit des rochers, d'autres ciselures que les guirlandes des vignes et des scolopendres. L'Ohio, silencieux et rapide, coule nuit et jour à votre base; un bois de sapins conduit à vos sépulcres, et ses colonnes, marbrées de vert et de feu, forment le péristyle de ce temple de la mort. Dans ce bois règne sans cesse un bruit solennel, comme le sourd mugissement de l'orgue; mais lorsqu'on pénètre au fond du sanctuaire, on n'entend plus que le chant des oiseaux, qui célèbrent à la mémoire des morts une fête éternelle.

ESQUISSE'.

Au jour de nos calamités, la patrie en travail de la révolution jeta un cri de douleur, comme une femme qui enfante un fruit mort-né dans son sein. En ce temps-là l'exil s'avança au-devant de ses nouvelles tribus, et les absorba dans sa dévorante solitude. L'esprit de Dieu s'étant retiré du milieu du peuple, il ne resta de force que dans la tache originelle, qui reprit tout son empire comme aux jours de Caïn et de sa race. Quiconque vouloit être raisonnable sentoit en lui je ne sais quelle impuissance du bien; quiconque étendoit une main pacifique voyoit cette main subitement séchée. Le drapeau rouge flotte aux remparts de toutes les cités; la guerre est déclarée à tous les potentats de la terre; les os des rois de Juda, les os des prêtres, les os des habitants de Jérusalem sont jetés hors de leurs sépulcres, le sang ruisselle de toutes parts, les âmes deviennent dures, les yeux secs et arides. Sacrilége envers les souvenirs, on efface toutes les institutions antiques; sacrilége envers les espérances, on ne fonde rien pour la postérité : les tombeaux et les enfants sont également profanés. Dans cette ligne de vie, qui nous fut transmise par nos ancêtres, et que nous devons prolonger au delà de nous, on ne saisit que le point présent, et chacun se consacrant au débordement de ses mœurs, comme à un sacerdoce abominable, vit comme si rien ne l'eût précédé et que rien ne le dût suivre!

1. Variante du chap. 1, livre m, troisième partie, t. II, p. 219.

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