Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

donner une limite à la place. J'achève la Madeleine, cela va sans dire; je prends sur le pont Louis XVI les colosses qui l'écrasent, et je les aligne en avenue le long de la voie publique qui traverse les ChampsÉlysées. Au point rond j'élève un des deux obélisques qui nous viennent d'Égypte, et je termine l'Arc de Triomphe de l'Étoile. Eh bien, monsieur, je prétends que de cet Arc de Triomphe à l'église SaintGermain-l'Auxerrois, cette foule de monuments, de statues, de jardins, de fontaines, n'auroit rien de pareil dans le monde; et comme d'après ce plan il s'agit moins d'édifier que d'abattre, c'est le plus économique de tous ceux que l'on pourroit adopter. Déjà des fonds ont été faits pour les embellissements de la place Louis XV, et je crois, sauf erreur, qu'un grand nombre des hôtels et des maisons qui obstruent la partie supérieure de la place du Carrousel appartiennent au gouvernement. Les matériaux des démolitions, ou vendus ou employés, serviroient à diminuer les frais des constructions nouvelles.

Je n'ai pas besoin de faire remarquer que les inégalités de niveau et de terrain, les défauts de symétrie et de parallélisme des monuments du Louvre et des Tuileries, s'évanouissent dans les décorations de mes jardins. Celui qui occuperoit la cour actuelle du château des Tuileries devroit être planté en arbres verts; ces arbres se marient bien à l'architecture par leur port pyramidal, et formeroient une promenade d'hiver au centre de Paris.

Vous allez me demander, monsieur, ce que je fais du palais de Philibert Delorme? Un musée de choix, où je dépose nos plus belles statues antiques et les tableaux de l'école italienne. Nous n'aurions plus rien à envier aux Villa-Borghèse et Albani.

Et moi, qui suis architecte ou roi, où me loge-t-on? Architecte, dans une attique de Philibert Delorme; roi, au Louvre.

J'ai l'honneur d'être, etc.

LETTRE SUR LA DÉMOLITION

DE SAINT-GERMAIN-L'AUXERRIOS.

A MADAME ***.

Genève, 11 juillet 1831.

Je vous ai écrit hier, et voici encore une lettre. De quoi s'agit-il ?TM De Saint-Germain-l'Auxerrois. A qui conterois-je mes peines et mes idées, si ce n'est à vous?

On va donc commencer, disent les journaux, la démolition de ce monument, le 14 juillet '. Noble manière d'inaugurer la monarchie élective par la destruction d'une église, d'exécuter de sang-froid, et à tête reposée, ce que le vandalisme révolutionnaire faisoit jadis dans la fièvre et les convulsions! Le chapitre des comparaisons et des considérations seroit ici trop long à parcourir; un mot seulement à ce sujet. La révolution de juillet ignore-t-elle que ce qui lui a le plus nui en Europe a été la dévastation de Saint-Germain-l'Auxerrois? que les peuples, qui tous, sans exception alors, sympathisoient avec nous, ont reculé, et que leurs dispositions favorables ont changé? La non-intervention, si bien gardée, a achevé l'affaire. Une stupide manie de quelques François, depuis quarante ans, est de compter pour rien les idées religieuses et de les croire éteintes partout, comme elles le sont dans leur étroit cerveau. Ils oublient que tous les peuples libres, ou tous ceux qui veulent l'être et qui sont en rapport avec nous, sont religieux. Aux États-Unis, la loi vous force d'être chrétiens. Dans les républiques espagnoles, la religion catholique est la seule reconnue, excepté, je crois, au Mexique, où l'on vient d'essayer quelque chose pour la tolérance. Les cortès d'Espagne avoient décrété le seul exercice de la religion catholique. Si l'Italie s'émancipoit, elle resteroit chrétienne. La Belgique a fait sa révolution pour chasser un roi protestant. Il est vrai que par un merveilleux choix on veut lui donner pour maître un préfet anglois protestant. L'Allemagne, si philosophique, est chrétienne, et les Polonois, que sont-ils? Ils vont au combat ou à la mort en invoquant la sainte Vierge. Skrejineçki porte un scapulaire et

1. Quelques journaux avoient en effet conseillé cette œuvre de destruction : conseil resté heureusement sans effet.

fait des pèlerinages. Nos démolitions religieuses sont donc à la fois une ignorance historique et un contre-sens politique.

Sous le rapport des arts la chose n'est pas moins déplorable. Quoi ! renouveler le vandalisme de 93! Que ne fait-on ce que j'ai proposé? Que ne masque-t-on l'église par des arbres, en la laissant subsister en face du Louvre, comme échelle et témoin de la marche de l'art? Saint-Germain-l'Auxerrois est un des plus vieux monuments de Paris; il est d'une époque dont il ne reste presque rien. Que sont donc devenus vos romantiques? On porte le marteau dans une église, et ils se taisent! O mes fils! combien vous êtes dégénérés? faut-il que votre grand-père élève seul sa voix cassée en faveur de vos temples? Vous ferez une ode, mais durera-t-elle autant qu'une ogive de Saint-Germain-l'Auxerrois ? Et les artistes ne présentent point de pétitions contre cette barbarie! Comme le plus humble de leurs camarades, je suis prêt à mettre ma signature à la suite de leurs noms. Détruire est facile, on l'a dit mille fois; et je ne connois pas au monde d'ouvriers qui aillent plus vite en cette besogne que les François; mais reconstruire! qu'ont-ils bâti depuis quarante ans?

On veut percer une rue! très-bien commencez les abatis par le côté opposé au Louvre, par la place de Grève, cela vous donnera du temps; vous serez deux ou trois ans, peut-être davantage, à tracer votre voie, alors, quand vous arriverez à Saint-Germain, vous aurez mûri vos réflexions, vous jugerez mieux de l'effet même du monument à l'extrémité de l'ouverture. S'il gêne trop, s'il ne peut être conservé, vous l'abattrez en connoissance de cause et sans remords; voilà ce que la raison conseille. Pourquoi se hâter de raser un édifice qu'un Jour on pourra regretter? Si vous n'achevez pas votre ouvrage, s'il survient des changements, des révolutions, même de simples variations de place, vous en serez pour la perte d'une architecture séculaire, sans compensation aucune. Vous laisserez des décombres contre lesquels s'amasseront des immondices ou des échoppes. On a abattu la Bastille et l'on a bien fait. La Bastille étoit une prison. Je ne sache pas qu'on ait enfermé personne à Saint-Germain-l'Auxerrois; mais même sur l'emplacement de la Bastille, qu'a-t-on élevé? D'abord un arbre de la liberté que le sabre de Buonaparte a coupé, pour faire place à un éléphant d'argile; et puis après l'éléphant que va-t-il survenir? Et tout cela, vous le savez, étoit à toujours, pour les siècles, pour l'éternité, comme nos serments. Quand Napoléon ordonna les travaux du Carrousel et de la rue de Rivoli, il croyoit bien voir la fin de son entreprise; la rue de Rivoli a vu passer l'empire et la restauration sans être achevée. Qui vous répond que la nouvelle monarchie ira jus

qu'au bout de la rue qu'elle va ouvrir par une ruine? Nous autres François, nous sommes trop conséquents dans le mal et pas assez logiques dans le bien : parce qu'une imprudence taquine a produit à Saint-Germain une vengeance sacrilége, est-il de toute nécessité de continuer la dernière? Les Parisiens ne peuvent-ils s'amuser sans jeter les meubles par les fenêtres ou sans abattre les monuments publics? On honoreroit mieux les héros de juillet en leur donnant à enlever les places fortes bâties contre nous avec notre argent qu'en livrant à leur courage une église ravagée où ils ne trouveront pas même le curé pour la défendre. N'enfoncerons-nous plus notre chapeau sur notre tête que pour marcher contre un vicaire ou pour monter à l'assaut d'un clocher, et aurons-nous encore longtemps le chapeau bas devant l'insolence étrangère? Il seroit triste qu'on apprît l'entrée des Russes à Varsovie le jour où notre gouvernement entreroit à SaintGermain-l'Auxerrois.

Vous rirez de ma grande colère, vous me direz : « Qu'est-ce que cela vous fait, vous, exilé, qui ne reverrez peut-être jamais la France? D Ne le prenez pas là, je suis François jusque dans la moelle des os. Que la France entre dans un système politique généreux, et si la guerre survient, vous me verrez accourir pour partager le sort de ma patrie. J'aurois cent ans que mon cœur battroit encore pour la gloire, l'honneur et l'indépendance de mon pays. Déchiffrez, si vous pouvez ce griffonnage écrit ab irato, une heure avant le départ du courrier.

VIN DES FRAGMENTS.

« ZurückWeiter »