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désirs des divertissements et des promenades, que la santé donnoit, et qui sont incompatibles avec les nécessités de la maladie. La nature donne alors des passions et des désirs conformes à l'état présent. Ce ne sont que les craintes que nous nous donnons nous-mêmes, et non pas la nature, qui nous troublent; parce qu'elles joignent à l'état où nous sommes les passions de l'état où nous ne sommes pas.

XX.

Les discours d'humilité sont matière d'orgueil aux gens glorieux, et d'humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme et du doute sont matière d'affirmation aux affirmatifs. Peu de gens parlent d'humilité humblement; peu de la chasteté chastement; peu du doute en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariétés. Nous nous cachons, et nous nous déguisons à nous-mêmes.

XXI.

Les belles actions cachées sont les plus estimables. Quand j'en vois quelques-unes dans l'histoire, elles me plaisent fort. Mais enfin elles n'ont pas été tout-à-fait cachées, puisqu'elles ont été sues; et ce peu par où elles ont paru en diminue le mérite; car c'est là le plus beau, d'avoir voulu les cacher (49).

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XXIII.

Le moi (*) est haïssable : ainsi ceux qui ne l'ôtent pas, et qui se contentent seulement de le couvrir, sont toujours haïssables. Point du tout, direz-vous; car en agissant, comme nous faisons, obligeamment pour tout le monde, on n'a pas sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssoit dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu'il est injuste, et qu'il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu'il se fait centre de tout; il est incommode aux autres, en ce qu'il veut les asservir car chaque moi est l'ennemi, et voudroit être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l'incommodité, mais non pas l'injustice; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l'injustice : vous ne le rendez aimable qu'aux injustes, qui n'y trouvent plus leur ennemi; et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu'aux injustes.

XXIV.

Je n'admire point un homme qui possède une vertu dans toute sa perfection, s'il ne possède en même temps, dans un pareil degré, la vertu opposée, tel qu'étoit Épaminondas, qui avoit l'extrême valeur jointe à l'extrême bénignité;

(*) L'amour-propre.

car autrement ce n'est pas monter, c'est tomber. On ne montre pas sa grandeur pour être en une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l'entre-deux. Mais peutêtre que ce n'est qu'un soudain mouvement de l'âme de l'un à l'autre de ces extrêmes, et qu'elle n'est jamais en effet qu'en un point, comme le tison de feu que l'on tourne. Mais au moins cela marque l'agilité de l'âme, si cela n'en marque l'étendue.

XXV.

Si notre condition étoit véritablement heureuse, il ne faudroit pas nous divertir d'y penser. Peu de chose nous console, parce que peu de chose nous afflige.

XXVI.

J'avois passé beaucoup de temps dans l'étude des sciences abstraites; mais le peu de gens avec qui on peut en communiquer m'en avoit dégoûté. Quand j'ai commencé l'étude de l'homme, j'ai vu que ces sciences abstraites ne lui sont pas propres, et que je m'égarois plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant; et je leur ai pardonné de ne point s'y appliquer. Mais j'ai cru trouver au moins bien des compagnons dans l'étude de l'homme, puisque c'est celle qui lui est propre. J'ai été trompé. Il y en a encore moins qui l'étudient que la géo

métrie.

XXVII.

Quand tout se remue également, rien ne se remue en apparence: comme en un vaisseau. Quand tous vont vers le déréglement, nul ne semble y aller. Qui s'arrête, fait remarquer l'emportement des autres comme un point fixe.

XXVIII.

Les philosophes se croient bien fins, d'avoir renfermé toute leur morale sous certaines divisions. Mais pourquoi les diviser en quatre plutôt qu'en six? Pourquoi faire plutôt quatre espèces de vertus que dix (50)? Pourquoi la renfermer en abstine et sustine plutôt qu'en autre chose? Mais voilà, direz-vous, tout renfermé en un seul mot. Oui; mais cela est inutile, si on ne l'explique; et dès qu'on vient à l'expliquer, et qu'on ouvre ce précepte qui contient tous les autres, ils en sortent en la première confusion que vous vouliez éviter : et ainsi, quand ils sont tous renfermés en un, ils y sont cachés et inutiles; et lorsqu'on veut les développer, ils reparoissent dans leur confusion naturelle. La nature les a tous établis chacun en soi-même; et quoiqu'on puisse les enfermer l'un dans l'autre, ils subsistent indépendamment l'un de l'autre. Ainsi toutes ces divisions et ces mots n'ont guère d'autre utilité que d'aider la mémoire, et de servir d'adresse pour trouver ce qu'ils renferment.

XXIX.

Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu'il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose (car elle est vraie ordinairement de ce côté-là), et lui avouer cette vérité. Il se contente de cela, parce qu'il voit qu'il ne se trompoit pas, et qu'il manquoit seulement à voir tous les côtés. Or on n'a pas de honte de ne pas tout voir; mais on ne veut pas s'être trompé ; et peut-être que cela vient de ce que naturellement l'esprit ne peut se tromper dans le côté qu'il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

XXX.

La vertu d'un homme ne doit pas se mesurer par ses efforts, mais par ce qu'il fait d'ordinaire.

XXXI (51).

Les grands et les petits ont mêmes accidents, mêmes fâcheries et mêmes passions; mais les uns sont au haut de la roue, et les autres près du centre, et ainsi moins agités par les mêmes

mouvements.

XXXII.

Quoique les personnes n'aient point d'intérêt à ce qu'ils disent, il ne faut pas conclure de là absolument qu'ils ne mentent point; car il y a des gens qui mentent simplement pour mentir.

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