Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

tifes! leur criait le poète, à quoi bon l'or dans les choses saintes? Et moi je répète, en gardant le sens et non la mesure du vers: dites-moi, simples et pauvres moines, si tant est que vous soyiez pauvres, à quoi bon l'or dans les choses saintes ? et prenez garde, la situation des évêques n'est pas la même que celle des religieux. Nous savons, en effet, qu'ils ont des devoirs à remplir envers les fous comme envers les sages, et qu'ils excitent la dévotion charnelle du peuple par des ornemens corporels, parce qu'ils ne peuvent l'émouvoir par les choses spirituelles; mais nous qui nous sommes séparés du peuple, nous qui avons quitté pour le Christ tout ce qui a du prix et de la beauté dans le monde; nous qui, pour gagner le Christ, avons regardé comme un vil fumier tout ce qui brille, tout ce qui flatte les yeux, tout ce qui est doux à voir, à goûter, à sentir, à toucher, en un mot, tout ce qui caresse le corps et les sens, de qui avons-nous à exciter la piété par de telles choses? et quel fruit espérons-nous en retirer ? est-ce l'admiration des sots, ou le plaisir des simples ? pour avoir été mêlés jadis aux nations, avons-nous par hasard appris leurs œuvres, et sommes-nous encore les serviteurs de leurs arts et de leur luxe?

« Et, pour parler ouvertement, tout cela n'est-il pas œuvre d'avarice et d'idolâtrie, et ne cherchons-nous pas plutôt à recevoir qu'à produire ? en quoi donc, direz-vous? en vérité, d'une façon merveilleuse. On dépense ses richesses avec tant d'art qu'elles se multiplient. On les dissipe pour les augmenter; et la prodigalité amène l'abondance. A la vue de ces vanités somptueu

ses, mais admirables, les hommes s'enflamment à la libéralité plus qu'à la prière. Ainsi les richesses épuisent les richesses, l'argent attire l'argent car, je ne sais pourquoi, on donne plus volontiers là où l'on aperçoit déjà plus de splendeur. Les yeux sont éblouis de reliques couvertes d'or, et les bourses s'ouvrent. On expose les magnifiques représentations d'un Saint ou d'une Sainte; et plus elles éclatent en couleurs, plus on croit à leur sainteté. Les populations courent embrasser les reliques, et sont excitées à faire des dons; elles admirent bien plus les belles choses, qu'elle ne vénèrent les choses sacrées. Puis, on expose dans les églises, non plus seulement des couronnes précieuses, mais des roues entourées de lampes ardentes, plus éclatantes encore par l'éclat des pierreries. Nous voyons s'élever en candélabres comme des arbres de pesant airain, d'un admirable travail, bien moins étincelans par les flambeaux qui les surmontent que par les diamans qui les décorent. Que pensez-vous qu'on recherche en tout cela : les contritions de la pénitence, ou les admirations de la curiosité ? ô vanité des vanités, mais moins vaine encore qu'insensée ! L'église est brillante dans ses murailles, mais elle est besogneuse dans ses pauvres. Elle revêt d'or ses pierres, et elle laisse ses enfans nus. On prend sur la nourriture des nécessiteux pour flatter les yeux des riches. Les curieux trouvent à se charmer, et les malheureux ne trouvent pas à se nourrir. Et ne poussons-nous pas notre vénération pour les images des Saints jusqu'à en couvrir le pavé que nous foulons aux pieds? On crache souvent sur la face d'un Ange, et

souvent le visage d'un saint est heurté par la chaussure des passans. Si vous ne ménagez pas mieux ces images sacrées, ménagez du moins vos belles couleurs. Pourquoi ornez-vous ce qui va bientôt être souillé ? pourquoi chargez-vous de peintures ce qui sera nécessairement foulé aux pieds? à quoi bon toutes ces belles figures, destinées à être continuellement tachées de poussière? et enfin, quel rapport tout cela a-t-il avec les pauvres, avec les moines, avec les hommes de l'esprit? Au vers du poète que je vous ai cité, vous répondrez peut-être par ces mots du prophète : « Seigneur, j'ai chéri la beauté de ton temple, et l'habitation de ta gloire. » J'y consens encore: souffrons que cela se passe ainsi dans les églises; car si cela est dangereux pour les ames vaniteuses et cupides, cela peut ne pas l'être pour les cœurs simples et pieux.

<< Mais dans les cloîtres, devant des frères occupés de lectures, à quoi bon ces ridicules monstruosités, ces admirables beautés difformes, ou ces difformités si belles? que font là ces figures de singes immondes, de lions féroces, de monstrueux centaures, de moitié d'hommes, de tigres tachetés, de guerriers combattans, de chasseurs sonnant de la trompette? vous pourriez y voir plusieurs corps sous une seule tête, puis plusieurs têtes sur un seul corps; là un quadrupède avec une queue de serpent, ici un poisson avec une tête de quadrupède : là, une bête affreuse, cheval par-devant, chèvre par-derrière; ici, un animal à cornes qui porte la croupe d'un cheval. C'est enfin un tel nombre, une telle variété de formes bizarres ou merveilleuses, qu'on a plus de plai

pas

sir à lire dans les marbres que dans les livres, et à ser tout le jour à admirer ces œuvres singulières qu'à méditer la loi divine. Grand Dieu! si l'on n'a pas honte de ces misères, que ne se repent-on du moins des dépenses qu'elles entrainent ! >>

Mais en même temps que saint Bernard se livrait à sa fougue native, dans ses controverses avec l'Ordre de Cluny et Pierre-le-Vénérable, il avait besoin de s'excuser de s'être fait le détracteur emporté des Clunistes. Il se défendait de tout esprit d'exagération, d'orgueil, d'hypocrisie, d'injustice: il était même juste envers Cluny, dans ces belles pages, adressées à Guillaume, abbé de Saint-Théoderic, de l'institut clunisois :

« Jusqu'ici, quand vous m'avez commandé d'écrire, ou je ne vous ai obéi qu'à regret, ou je ne me suis point rendu à vos désirs: non que je misse de la mauvaise volonté à vous complaire, mais je ne voulais pas traiter présomptueusement des matières que j'ignorais. Aujourd'hui une raison nouvelle me presse, je mets de côté ma crainte ancienne; la nécessité me rend la confiance en moi-même ; et je me vois forcé, habile ou non, de laisser parler mon chagrin. Car comment voulezvous que je me taise, alors que je vous entends me traiter comme le dernier des hommes, qui, sous ses vêtemens misérables et sa chétive ceinture, s'arroge le droit de juger le monde, du fond de sa cellule, attaque de la façon la plus intolérable votre Ordre illustre, se prend impudemment aux saints personnages qui vivent pieusement dans les monastères de Cluny, et, du sein de sa profonde obscurité, ose insulter aux grandes lumières

de l'univers ? Suis-je donc, caché sous des vêtemens de brebis, non-seulement un loup ravisseur, mais un vil insecte rongeant en secret la vie des hommes pieux que je n'ose ouvertement attaquer, me livrant à de lâches et calomnieux bourdonnemens, et n'osant pas du moins crier au grand jour mes accusations? S'il en est ainsi, pourquoi, chaque jour, me mortifier sans cause, et me regarder comme la brebis du sacrifice? Si, par une jactance de pharisien, je jette le mépris sur le reste des hommes et, ce qui serait d'un orgueil pire encore, sur ceux qui valent mieux que moi, que me sert-il d'être si frugal et si sévère à moi-même dans mes repas, si humble et si vil dans mes vêtemens? A quoi bon mes sueurs de tous les jours dans le travail des mains, ma pratique constante du jeûne et des veilles incessantes, et les habitudes austères et spéciales de toute ma vie? à moins que je n'agisse ainsi qu'afin d'être remarqué par les hommes. Mais le Christ a dit : en vérité, ceux-là ont reçu leur récompense. Ne suis-je pas mille fois plus malheureux que les autres hommes, si mes espérances dans le Christ se bornent à cette vie ! Et ne suisje point plus malheureux encore, si, portant au-delà des temps mes espérances chrétiennes, je ne recherche au service du Christ qu'une gloire temporelle !

<< Et moi, pauvre moine, qui mets tous mes efforts à ne point ressembler, ou à ne paraître pas ressembler au reste des hommes, je ne serais donc pas mieux traité, que dis-je? je serais donc plus sévèrement puni que les autres hommes! Ainsi donc je ne pouvais trouver une plus douce voie pour descendre aux enfers! s'il était néces

« ZurückWeiter »