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lutter, de s'entre-dévorer, et que les jalousies plé→ béiennes, qui ont combattu pendant de longs siècles pour donner à la royauté une prépondérance décisive sur les élémens sociaux et résistans de l'ancienne France, ont fini par se trouver face à face avec le pouvoir royal souverain, en qui tout s'était absorbé de complicité avec elles, et par faire rendre à la royauté tout ce qu'elles lui avaient donné, plus même qu'elles ne lui avaient donné, et jusqu'à son propre sang. Aussi cette centralisation, instrument vigoureux des civilisations contemporaines, est-elle la fille de tous les régimes que nous avons subis des rois comme des juges de rois. On la voit prôner également par les admirateurs de l'ancienne monarchie, par les séides de la Convention et les serviteurs de l'Empire: elle survit même, parmi nous, au régime représentatif qui devrait lui résister, et en de venir le correctif et le remède. Chaque pouvoir qui passe la recueille, en use, en abuse, et la transmet entière au pouvoir qui le suit. Il n'est si mince écrivain de journal, ou si petit parleur de tribune, qui ne croie trancher du Napoléon, ou tout au moins du Richelieu, en prônant sans limites les merveilles de la centralisation moderne. Tous passent, à ce sujet, par les mêmes phrases formulées, par les mêmes pensées toutes faites. On est convenu d'abandonner à un faux esprit de parti, sans avenir et sans franchise, le rêve des libertés et des institutions locales. Monarchie, république, empire, gouvernement constitutionnel; tous s'accordent à mailler et remailler l'immense et invariable réseau d'unité qui de toutes parts nous enserre,

nous enveloppe et nous étouffe. Et pourtant, sans méconnaître ce qu'il y a de grand, d'utile et même de fatal, dans ce vaste système unitaire qui tient dans sa main, rassemblées comme un seul homme, les populations les plus nombreuses, qui ne voit ce qu'il y a de fausse grandeur à traiter tout un peuple comme un régiment, sorte d'automate collectif, habillé des mêmes habits, obéissant aux mêmes signes, partant du même pied et cédant à des mouvemens uniformes bien moins intelligens que mécaniques? Qui ne voit que la vraie grandeur est la variété dans l'unité, et non pas cette uniformité aplatie qui éteint la vie morale, abaisse les caractères, décourage les nobles cœurs, fait une révolution avec un coup de main et un télégraphe, et traite la science du gouvernement comme une immense machine à vapeur? Je ne sais si je m'abuse : mais je crois qu'il n'y a point de vraie liberté, de vrai régime représentatif, dans ces idées étroites qui ne laissent à nulle chose sa force légitime d'expansion, qui compriment et ne dirigent point, paralysent plutôt qu'elles n'excitent, apauvrissent sans fin la circonférence sans ennoblir le centre, et font de la France entière une capitale, et de la capitale un point unique où toutes les ambitions aspirent, se pressent, se heurtent, se bouleversent, au risque de faire éclater à chaque instant la force gouvernementale trop condensée, tandis que les provinces s'éteignent et meurent sans énergie, sans espoir, vivant d'imitation et d'emprunt, laissant s'étioler de plus en plus ce qui végète au milieu d'elles, perdant sans cesse le goût et l'ambition des

belles et bonnes choses, des lettres, des sciences, des arts; s'endormant sans dignité dans leur inaction morale, et livrant périodiquement aux perditions de la grande Babylone le peu d'ames d'élite qui n'ont pu s'assoupir tout-à-fait dans une existence sans aliment et sans but. Y a-t-il une guérison à tant de mal dans les destinées du gouvernement représentatif? Ne sommesnous pas déjà trop énervés et trop individualisés par la vieille habitude de regarder, les bras pendans, le pouvoir qui fait tout, de quelque nom qu'il se nomme; par l'absence funeste de toute croyance, de tout principe, de tout sentiment fécond; et, plus que tout le reste, par les préjugés d'ignorance et d'égalité démocratiques? Grave problême qui décidera de l'avenir du pays! Question profonde, hors de laquelle il n'y a point de solution possible pour nos mœurs nationales, notre éducation politique et le balancement réel du pouvoir!

Nous avons beau être fiers de nos guerres populeuses, de nos immenses armées et de nos champs de bataille couverts de milliers de morts; nous avons beau montrer nos trentre-trois millions de Français parlant la même langue, du nord au midi, de l'est à l'ouest, sans égard aux climats, aux fleuves et aux montagnes; obéissant à une législation unique, systé matiquement serrés dans l'égalité du même habit noir; il n'est pas sûr que ces prodiges d'unité ne soient pas les symptômes d'une décadence imminente; il n'est pas que nous ne ressemblions point à ces anciens peuples que l'histoire nous montre, commençant à tomber

sûr

pas

en dissolution, au moment même où ils paraissent toucher à leur plus immense développement de centralisation et de soldats, et alors surtout que se perdent les croyances et les vieilles mœurs de la patrie; il n'est sûr que nous ne soyions pas condamnés à subir la destinée de Rome, de la Rome de Justinien peut-être, qui, après avoir répandu dans l'univers ses armées, sa langue, l'uniformité de ses lois, devait perdre sa nationalité gigantesque, en perdant ses mœurs et ses dieux.

Nous avons beau nous enorgueillir, et nous défendre contre les périls qui assiégèrent le Bas-Empire, par le spectacle des belles formes de notre liberté moderne. Hélas! cette liberté elle-même, universelle, indéfinie, sans nom et sans aïeux, mal comprise, plus mal pratiquée, sans souvenirs et sans point d'appui, quelles racines a-t-elle dans nos esprits, dans nos mœurs? Je ne vois encore que des formes et point de fond, des ambitions et point de croyances, des intérêts matériels et nuls intérêts moraux, une éducation nationale sans foyers, sans lien, sans portée, sans suite, gouvernée de quelques centaines de lieues de distance, comme une inspection de cavalerie; une législation politique, civile et administrative, assemblage incohé rent de l'esprit jaloux de la révolution, du despotisme gouvernemental de l'empire, et des généreuses illusions d'une constitution libérale, et qui, sans le clairvoyant égoïsme d'une industrie toujours croissante, et d'une propriété toujours divisée, ne pourrait longtemps résister à son incohérence même.

Comment veut-on que le travail de nivellement, qui use et décompose notre pays depuis tant de siècles, laisse encore comprendre ce qu'il y avait de fort et de beau dans les diverses institutions qui couvraient autrefois notre territoire? Hors quelques esprits curieux et tristes qui aiment à fouiller les débris et le passé, il est peu d'hommes parmi nous qui se soucient des choses anciennes, ou qui s'en occupent autrement que par esprit de mode, à peu près comme on parle aujourd'hui des cathédrales et du moyen-âge, et comme on se fait des meubles gothiques. L'esprit des masses est séparé mille siècles de nos souvenirs nationaux.

par

Je n'ignorais pas ces choses, quand l'idée me vint de faire successivement quelques recherches sur des puissances bien inconnues aujourd'hui, l'évêché, le monastère, la commune, le parlement, les états provinciaux. Je devais naturellement consacrer môn travail de préférence à l'étude de la Bourgogne. J'ai commencé par le monastère : j'attendrai, sur le reste, l'avis du public.

Je me souvenais d'avoir joué, tout enfant, dans les ruines d'une vieille abbaye. Nous montions témérairement dans les escaliers interrompus et dans les combles croulans. Nous nous inclinions et nous frissonnions de peur sous les arceaux de la grande voûte ouverts et tremblans au-dessus de nos têtes. On nous racontait que, dans ces hautes niches où les hirondelles nourrissaient aujourd'hui leurs petits, il y avait autrefois les douze Apôtres et les Prophètes en argent massif. On nous disait les noms des grands clochers et des plus grosses

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