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ENOX LIBRAR

NEW YORK

STELLO.

CHAPITRE PREMIER.

CARACTÈRE DU MALADE.

Stello est né le plus heureusement du monde et , protégé par l'étoile du ciel la plus favorable. Tout lui a réussi, dit-on, depuis son enfance. Les grands événements du globe sont toujours arrivés à leur terme, de manière à seconder et à dénouer miraculeusement ses événements particuliers, quelque embrouillés et confus qu'ils se trouvassent; aussi ne s'inquiète-t-il jamais lorsque le fil de ses aventures se mêle, se tord et se noue sous les doigts de la Destinée; il est sûr qu'elle prendra la peine de le disposer elle-même dans l'ordre le plus parfait, qu'elle-même y emploiera toute l'adresse de ses mains, à la lueur de l'étoile bienfaisante et infaillible. On dit que, dans les plus petites circonstances, cette étoile ne lui manqua jamais, et qu'elle ne dédaigne pas d'influer, pour lui, sur le caprice même des saisons. Le soleil et les nuages lui viennent quand il le faut. Il y a des gens comme cela.

Cependant il se trouve des jours dans l'année où

il est saisi d'une sorte de souffrance chagrine que la moindre peine de l'âme peut faire éclater, et dont il sent les approches quelques jours d'avance. C'est alors qu'il redouble de vie et d'activité pour conjurer l'orage, comme font tous les êtres vivants qui pressentent un danger. Tout le monde, alors, est bien vu de lui et bien accueilli; il n'en veut à qui que ce soit, de quoi que ce soit. Agir contre lui, le tyranniser, le persécuter, le calomnier, c'est lui rendre un vrai service; et, s'il apprend le mal qu'on lui a fait, il a encore sur la bouche un éternel sourire indulgent et miséricordieux. C'est qu'il est heureux comme les aveugles le sont lorsqu'on leur parle; c'est qu'aux approches de sa crise de tristesse et d'affliction, la vie extérieure avec ses fatigues et ses chagrins, avec tous les coups qu'elle donne à l'âme et au corps, lui vaut mieux que la solitude, où il craint que la moindre peine de cœur ne lui donne un de ses funestes accès. La solitude est empoisonnée pour lui, comme l'air de la Campagne de Rome. Il le sait, mais s'y abandonne cependant, tout certain qu'il est d'y trouver une sorte de désespoir sans transports, qui est l'absence de l'espérance. Puisse la femme inconnue qui l'aime ne pas le laisser seul dans ces moments d'angoisse!

Stello était, hier matin, aussi changé en une heure qu'après vingt jours de maladie, les yeux fixes, les lèvres pâles, et la tête abattue sur la poitrine par les coups d'une tristesse impérissable.

Dans cet état, qui précède des douleurs nerveuses auxquelles ne croient jamais les hommes robustes et rubiconds dont les rues sont pleines, il était couché tout habillé sur un canapé, lorsque, par un grand bon

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heur, la porte de sa chambre s'ouvrit, et il vit entrer le Docteur-Noir.

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CHAPITRE II.

SYMPTÔMES.

Ah! Dieu soit loué! s'écria Stello en levant les yeux, voici un vivant. Et c'est vous, vous qui êtes le médecin des âmes, quand il y en a qui le sont tout au plus du corps, vous qui regardez au fond de tout, quand le reste des hommes ne voit que la forme et la surface!

Vous n'êtes point un être fantastique, cher Docteur; vous êtes bien réel, un homme créé pour vivre d'ennui et mourir d'ennui un beau jour. Voilà, pardieu, ce que j'aime de vous, c'est que vous êtes aussi triste avec les autres que je le suis étant seul. Si l'on vous appelle Noir dans notre beau quartier de Paris, est-ce pour cela, ou pour l'habit et le gilet noir que vous portez? — Je ne le sais pas, Docteur, mais je veux dire ce que je souffre, afin que vous m'en parliez; car c'est toujours un grand plaisir pour un malade que de parler de soi et d'en faire parler les autres : la moitié de la guérison gît là-dedans.

Or, il faut le dire hautement, depuis ce matin j'ai le spleen, et un tel spleen, que tout ce que je vois, dcpuis qu'on m'a laissé seul, m'est en dégoût profond. J'ai le soleil en haine et la pluie en horreur. Le soleil est si pompeux, aux yeux fatigués d'un malade, qu'il

semble un insolent parvenu; et la pluie! ah! de tous les fléaux qui tombent du ciel, c'est le pire à mon sens. Je crois que je vais aujourd'hui l'accuser de ce que j'éprouve. Quelle forme symbolique pourrais-je donner jamais à cette incroyable souffrance? Ah! j'y entrevois quelque possibilité, grâce à un savant. Honneur soit rendu au bon docteur Gall (pauvre crâne que j'ai connu !). Il a si bien numéroté toutes les formes de la tête humaine, que l'on peut se reconnaître sur cette carte comme sur celle des départements, et que nous ne recevrons pas un coup sur le crane sans savoir avec précision quelle faculté est menacée dans notre intelligence.

Eh bien! mon ami, sachez donc qu'à cette heure où une affliction secrète a tourmenté cruellement mon âme, je sens autour de mes cheveux tous les diables de la migraine qui sont à l'ouvrage sur mon crâne pour le fendre; ils y font l'œuvre d'Annibal aux Alpes. Vous ne les pouvez voir, vous: plût aux docteurs que je fusse de même! Il y a un Farfadet grand comme un moucheron, tout frêle et tout noir, qui tient une scie d'une longueur démesurée, et l'a enfoncée plus d'à moitié sur mon front; il suit une ligne oblique qui va de la protubérance de l'Idéalité, no 19, jusqu'à celle de la Mélodie, au devant de l'œil gauche, no 32, et là, dans l'angle du sourcil, près de la bosse de l'Ordre, sont blottis cinq diablotins, entassés l'un sur l'autre comme de petites sangsues, et suspendus à l'extrémité de la scie pour qu'elle s'enfonce plus avant dans ma tête; deux d'entre eux sont chargés de verser, dans la raie imperceptible qu'y fait leur lame dentelée, une huile bouillante qui flambe comme du punch, et qui

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