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SERMON

POUR UNE PROFESSION.

Quel est le monde auquel il nous faut renoncer. Combien ce renoncement doit être étendu dans une religieuse. Avec quel soin elle doit persévérer dans la guerre qu'elle déclare au monde, et éviter les moindres relâchemens. Obligation que sa vocation lui impose, d'avancer toujours, et de tendre sans cesse à la perfection.

Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat crucem suam quotidie, et sequatur me.

Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soiméme, qu'il porte sa croix tous les jours, et qu'il me suive. Luc. IX. 23.

V

ous avez désiré, ma très-chère Sœur, d'entendre de moi, en ce jour, une exhortation chrétienne, espérant peut-être que ce grand prédicateur des cœurs donneroit par sa vertu quelque prix à mes pensées, parce qu'il les verroit naître d'une charité fraternelle. Il faut, s'il se peut, satisfaire ce pieux désir; et pour faire de mon côté ce qui sera nécessaire, je tirerai des paroles de notre Sauveur, que je vous ai récitées, trois instructions importantes qui vous pourront servir, avec la grâce de Dieu, pour tout le reste de votre vie. Seulement je vous conjure de joindre vos prières aux miennes; afin qu'il plaise

à cet Esprit qui souffle où il veut (1), de répandre sur mes lèvres ces deux beaux ornemens de l'éloquence chrétienne; je veux dire la simplicité et la vérité. Après quoi, pour une plus claire intelligence de cet entretien, je vais tâcher de vous expliquer l'intention de notre bon Maître dans le lieu que je viens d'alléguer.

:

Comme un sage capitaine, se préparant à une expédition difficile, déclare à ceux qui viennent servir sous ses ordres, à quelles conditions il les reçoit dans ses troupes de même le sauveur Jésus étant descendu du ciel pour faire la guerre à Satan, pour inviter tous les hommes à cette entreprise, il pose en peu de mots les qualités nécessaires pour pouvoir être rangés sous ses étendards. «< Quiconque,

pro

dit-il, désire venir après moi, c'est-à-dire, qui>> conque me veut reconnoître pour son capitaine, >> il faut, poursuit-il, qu'il renonce à soi-même »; Abneget semetipsum: « puis, qu'il prenne une gé>>néreuse résolution de porter sa croix tous les » jours», et tollat crucem suam quotidie; « et qu'il >> me suive enfin par mille embarras de périls, de

supplices et d'ignominies »; et sequatur me. C'est en abrégé ce qu'il faut quitter, et ce qu'il faut faire à sa suite: voilà les lois et les ordonnances de cette milice. C'est pourquoi je me suis résolu d'appliquer à l'état que vous allez embrasser les ordres généraux de Jésus-Christ notre chef, et de vous faire voir dans le sens littéral de mon texte, selon le dessein que je vous ai déjà proposé; premièrement, jusqu'à quel point votre condition vous oblige de renoncer au

(1) I. Joan. 111. 8.

monde; en second lieu, comment il vous faut persévérer dans cette sainte résolution; et enfin, comment, non contente de persévérer, vous devez toujours croître, et toujours enchérir par-dessus les actions passées. Ce seront les trois avertissemens que comprendra ce discours, que je prie Dieu de graver pour jamais au fond de votre ame.

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PREMIER POINT.

LORSQU'ON Vous prêche si souvent, ma très-chère Soeur, qu'il faut renoncer, il est nécessaire que vous entendiez que ce monde, auquel il faut renoncer, réside en vous-même. Le disciple bien-aimé vous le montre fort à propos, quand il dit : Nolite diligere mundum, neque ea quæ in mundo sunt : «Gardez-vous bien d'aimer le monde, ni ce qui est » dans le monde »; d'autant, ajoute-t-il peu après, qu'il n'y a dans le monde que concupiscence de » la chair, et concupiscence des yeux, et superbe » de vie »: Omne quod est in mundo, concupiscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et superbia vita (1). Cet orgueil et cette double concupiscence, que peut-ce être autre chose que le trouble de nos passions? Et ce trouble n'est-ce pas le fruit maudit de l'amour aveugle que nous avons pour nousmêmes? Par conséquent, ce monde qu'il nous faut quitter, c'est nous-mêmes? Abneget semetipsum.

Que si vous me demandez d'où nous vient cette dure nécessité, que notre adversaire nous soit si proche, et que nous soyons, pour ainsi dire, si fort amis de notre ennemi; qu'il vous souvienne de ce

(1) I. Joan. 11. 15.

bienheureux état d'innocence, où la partie supérieure conduisoit si paisiblement les mouvemens inférieurs, où le corps se trouvoit si bien du gouvernement de l'esprit; parce que l'homme tout entier conspiroit à la même fin. En ce temps-là, on n'entendoit point parler de ces fâcheux termes de renoncer à soi-même. Mais la vanité, fille et mère du désordre, pervertit bientôt cette douce disposition, et ayant fait révolter l'esprit contre Dieu, souleva par un même coup la chair contre la raison. La désobéissance est vengée par la désobéissance : l'homme, ainsi que l'enseigne saint Paul (1), veut en même temps ce qu'il ne veut pas; et sentant en soi deux volontés discordantes, il ne sauroit plus reconnoître laquelle est la sienne : si bien que, dans cette incertitude et cette impuissance, il faut nécessairement qu'il se perde pour se sauver (2). On ne lui dit plus, comme auparavant, qu'il commande à toutes les créatures (3); mais on l'avertit de se défier de toutes les créatures. Pour le punir d'avoir voulu se satisfaire contre la loi de son Dieu, il est ordonné à jamais qu'il renoncera à ses propres inclinations, s'il şe veut bien remettre en ses bonnes grâces. Et Iui qui croyoit se pouvoir faire plus de bien qu'il n'en avoit reçu de la main de son Créateur, sera condamné, par une juste vengeance, à être lui-même son plus cruel et irréconciliable ennemi.

C'est pourquoi je vous en conjure, ma très-chère Sœur, par ce Dieu que vous servez; après avoir compris combien il est nécessaire de quitter le monde, considérez attentivement la hauteur de cette entre

(c) Rom. vii. 19. — (2) Luc. 1x, 24. -- (3) Genes. 1. 28.

prise.

prise. Le monde qu'il faut mépriser, ce n'est ni le ciel, ni la terre; ce ne sont ni les compagnies, ni cette vaine pompe, ni les folles intrigues des hommes: certes, il ne seroit pas d'une si prodigieuse difficulté de s'en séparer. Mais quand il s'agit de se diviser de soi-même, de quitter, dit saint Grégoire (1), non ce que nous possédons, mais ce que nous sommes, où trouverons-nous une main assez industrieuse ou assez puissante, pour délier ou pour rompre un nœud si étroit? Quelles chaînes assez fortes pourront jamais contraindre cet homme animal, qui règne en nos membres, à subir le joug de l'homme spirituel? Sans doute il retournera toujours à ses inclinations corrompues. Comme une personne que l'on attache contre son gré à quelque sorte d'emploi, dans le temps que vous l'y croyez la plus occupée, s'entretient souvent dans des conceptions creuses et extravagantes : de même ce vieil Adam, quand vous lui aurez arraché ce qu'il poursuit avec plus d'ardeur, quand vous aurez tenté toutes sortes de voies pour lui faire suivre la raison, il n'y aura ni erreur ni chimères où il ne s'amuse plutôt; «< d'autant, dit » saint Paul, qu'il est incapable de goûter ce qui » est de Dieu » : Animalis homo non percipit ea quæ sunt spiritus Dei (2).

Et ne vous tenez point assurée sur votre vertu; car il se sert contre nous de la vertu même, Ceux qu'il n'a pu vaincre par un combat opiniâtre, souvent il les renverse par l'honneur de la victoire; et lorsqu'ils s'imaginent être devenus extrêmement

(1) In Evang. l. 11, Hom. xxxii, n. 1 et seq. tom. 1, seq. (2) I. Cor. 11. 14.

BOSSUET. XVII.

col. 1586 et

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