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ORAISON FUNÈBRE

DE

HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE,

DUCHESSE D'ORLEANS.

Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes: vanitas vanitatum, et omnia vanitas.

Vanité des vanités, a dit l'Ecclésiaste: vanité des vanités, et tout est vanité. Eccles. 1. 2.

MONSEIGNEUR (*),

J'érois donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à très-haute et très-puissante princesse HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, DUCHESSE D'ORLÉANS. Elle, que j'avois vue si attentive pendant que je rendois le même devoir à la Reine sa mère, devoit être si tôt après le sujet d'un discours semblable; et ma triste voix étoit réservée à ce déplorable ministère. O vanité! ô néant! ô mortels ignorans de leurs destinées! L'eût-elle cru il y a dix mois? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versoit tant de larmes en ce lieu, qu'elle dût si tôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? Princesse, le digne objet de l'admiration de deux grands royau

(*) MONSIEUR le Prince.

BOSSUET. XVII.

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mes, n'étoit-ce pas assez que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre mort? et la France, qui vous revit, avec tant de joie, environnée d'un nouvel éclat, n'avoit-elle plus d'autres pompes et d'autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux, d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles espérances? « Va» nité des vanités, et tout est vanité ». C'est la seule parole qui me reste; c'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les livres sacrés, pour y trouver quelque texte que je pusse appliquer à cette Princesse. J'ai pris, sans étude et sans choix, les premières paroles que me présente l'Ecclésiaste, où, quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas encore assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à tous les événemens de notre vie, par une raison particulière devient propre à mon lamentable sujet; puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes, ni si hautement confondues. Non, après ce que nous venons de voir, la santé n'est qu'un nom, la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.

Mais, dis-je la vérité? L'homme, que Dieu a fait à son image, n'est-il qu'une ombre? Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en la terré, ce qu'il a cru pouvoir, sans se ravilir, acheter de tout son sang, n'est-ce qu'un rien? Reconnoissons notre erreur. Sans doute ce triste spectacle des vanités humaines nous imposoit; et l'espérance publique, frustrée tout-à-coup par la mort de cette Princesse, nous poussoit trop loin. Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, après avoir commencé son divin ouvrage par les paroles que j'ai récitées, après en avoir rempli toutes les pages du mépris des choses humaines, veut enfin montrer à l'homme quelque chose de plus solide, et conclut tout son discours, en lui disant : « Crains Dieu, et garde ses comman» demens; car c'est là tout l'homme et sache : que » le Seigneur examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien et de mal (1) ». Ainsi tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde; mais au contraire, tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois, tout est vain en l'homme, si nous regardons le cours de sa vie mortelle; mais tout est précieux, tout est important, si nous contemplons le terme où elle aboutit, et le compte qu'il en faut

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(1) Deum time, et mandata ejus observa; hoc est enim omnis homo et cuncta quæ fiunt adducet Deus in judicium, pro omni errato, sive bonum, sive malum illud sit. Eccles. XII. 13, 14.

rendre. Méditons donc aujourd'hui, à la vue de cet autel et de ce tombeau, la première et la dernière parole de l'Ecclésiaste; l'une qui montre le néant de l'homme; l'autre qui établit sa grandeur. Que ce tombeau nous convainque de notre néant, pourvu que cet autel, où l'on offre tous les jours pour nous une victime d'un si grand prix, nous apprenne en même temps notre dignité. La Princesse que nous pleurons sera un témoin fidèle de l'un et de l'autre. Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi; voyons ce qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur, lorsque son ame, épurée de tous les sentimens de la terre, et pleine du ciel où elle touchoit, a vu la lumière toute manifeste. Voilà les vérités que j'ai à traiter, et que j'ai cru dignes d'être proposées à un si grand Prince, et à la plus illustre assemblée de l'univers.

<< Nous mourons tous, disoit cette femme dont >> l'Ecriture a loué la prudence au second livre des >> Rois, et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi » que des eaux qui se perdent sans retour (1) ». En effet, nous ressemblons tous à des eaux courantes. De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine; et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots : ils ne cessent de s'écouler; tant qu'enfin après avoir fait un peu plus de bruit,

(1) Omnes morimur, et quasi aquæ dilabimur in terram, quæ non revertuntur. II. Reg. xiv. 14.

les au

et traversé un peu plus de pays les uns que tres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l'on ne reconnoît plus ni princes, ni rõis, ni toutes ces autres qualités superbes qui distinguent les hommes; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l'océan avec les rivières les plus inconnues.

Et certainement, Messieurs, si quelque chose pouvoit élever les hommes au-dessus de leur infirmité naturelle; si l'origine qui nous est commune souffroit quelque distinction solide et durable entre ceux que Dieu a formés de la même terre, qu'y auroit-il dans l'univers de plus distingué que la Princesse dont je parle? Tout ce que peuvent faire nonseulement la naissance et la fortune, mais encore les grandes qualités de l'esprit, pour l'élévation d'une princesse, se trouve rassemblé, et puis anéanti dans la nôtre. De quelque côté que je suive les traces de sa glorieuse origine, je ne découvre que des rois, et partout je suis ébloui de l'éclat des plus augustes couronnes. Je vois la maison de France, la plus grande, sans comparaison, de tout l'univers, et à qui les plus puissantes maisons peuvent bien céder sans envie, puisqu'elles tâchent de tirer leur gloire de cette source. Je vois les rois d'Ecosse, les rois d'Angleterre, qui ont régné depuis tant de siècles sur une des plus belliqueuses nations de l'univers, plus encore par leur courage que par l'autorité de leur sceptre. Mais cette Princesse, née sur le trône, avoit l'esprit et le cœur plus haut que sa naissance. Les malheurs de sa maison n'ont pu l'accabler dans sa première jeunesse; et dès-lors on voyoit en elle une

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