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grandeur qui ne devoit rien à la fortune. Nous disions avec joie, que le ciel l'avoit arrachée, comme par miracle, des mains des ennemis du Roi son père, pour la donner à la France: don précieux, inestimable présent, si seulement la possession en avoit été plus durable! Mais pourquoi ce souvenir vient-il m'interrompre? Hélas! nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la Princesse, sans que la mort s'y mêlé aussitôt pour tout offusquer de son ombre. O mort, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur, par le souvenir de notre joie. Souvenez-vous donc, Messieurs, de l'admiration que la Princesse d'Angleterre donnoit à toute la Cour. Votre mémoire vous, la peindra mieux avec tous ses traits et son incomparable douceur, que ne pourront jamais faire toutes mes paroles. Elle croissoit au milieu des bénédictions de tous les peuples; et les années ne cessoient de lui apporter de nouvelles grâces. Aussi la Reine sa mère, dont elle a toujours été la consolation, ne l'aimoit pas plus tendrement que faisoit ANNE d'Espagne. ANNE, vous le savez, Messieurs, ne trouvoit rien au-dessus de cette Princesse. Après nous avoir donné une reine, seule capable par sa piété, et par ses autres vertus royales, de soutenir la réputation d'une tante si illustre, elle voulut, pour mettre dans sa famille ce que l'univers avoit de plus grand, que PHILIPPE DE FRANCE, son second fils, épousât la princesse HENRIETTE; et quoique le roi d'Angleterre, dont le cœur égale la sagesse, sût que la Princesse sa sœur, recherchée de tant de rois, pouvoit honorer un trône, il lui vit

remplir avec joie la seconde place de France, que la dignité d'un si grand royaume peut mettre en comparaison avec les premières du reste du monde.

Que si son rang la distinguoit, j'ai eu raison de vous dire qu'elle étoit encore plus distinguée par son mérite. Je pourrois vous faire remarquer qu'elle connoissoit si bien la beauté des ouvrages de l'esprit, que l'on croyoit avoir atteint la perfection, quand on avoit su plaire à MADAME. Je pourrois encore ajouter, que les plus sages et les plus expérimentés admiroient cet esprit vif et perçant, qui embrassoit sans peine les plus grandes affaires, et pénétroit avec tant de facilité dans les plus secrets intérêts. Mais pourquoi m'étendre sur une matière où je puis tout dire en un mot? Le Roi, dont le jugement est une règle toujours sûre, a estimé la capacité de cette Princesse, et l'a mise par son estime au-dessus de tous nos éloges.

Cependant, ni cette estime, ni tous ces grands avantages, n'ont pu donner atteinte à sa modestie. Toute éclairée qu'elle étoit, elle n'a point présumé de ses connoissances, et jamais ses lumières ne l'ont éblouie. Rendez témoignage à ce que je dis, vous que cette grande Princesse a honorés de sa confiance. Quel esprit avez-vous trouvé plus élevé, mais quel esprit avez-vous trouvé plus docile? Plusieurs, dans la crainte d'être trop faciles, se rendent inflexibles à la raison, et s'affermissent contre elle. MADAME s'éloignoit toujours autant de la présomption que de la foiblesse; également estimable, et de ce qu'elle savoit trouver les sages conseils, et de ce qu'elle étoit capable de les recevoir. On les sait bien con

noître, quand on fait sérieusement l'étude qui plaisoit tant à cette Princesse. Nouveau genre d'étude, et presque inconnu aux personnes de son âge et de son rang; ajoutons, si vous voulez, de son sexe. Elle étudioit ses défauts; elle aimoit qu'on lui en fît des leçons sincères : marque assurée d'une ame forte, que ses fautes ne dominent pas, et qui ne craint point de les envisager de près, par une secrète confiance des ressources qu'elle sent pour les surmonter. C'étoit le dessein d'avancer dans cette étude de sagesse, qui la tenoit si attachée à la lecture de l'histoire, qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes. C'est là que les plus grands rois n'ont plus de rang que par leurs vertus, et que, dégradés à jamais par les mains de la mort, ils viennent subir, sans Cour et sans suite, le jugement de tous les peuples et de tous les siècles. C'est là qu'on découvre que le lustre qui vient de la flatterie est superficiel, et que les fausses couleurs, quelque industrieusement qu'on les applique, ne tiennent pas. Là notre admirable Princesse étudioit les devoirs de ceux dont la vie compose l'histoire : elle y perdoit insensiblement le goût des romans, et de leurs fades héros; et soigneuse de se former sur le vrai, elle méprisoit ces froides et dangereuses fictions. Ainsi sous un visage riant, sous cet air de jeunesse qui sembloit ne promettre que des jeux, elle cachoit un sens et un sérieux, dont ceux qui traitoient avec elle étoient surpris.

Aussi pouvoit-on sans crainte lui confier les plus grands secrets. Loin du commerce des affaires, et de la société des hommes, ces ames sans force, aussi

bien que sans foi, qui ne savent pas retenir leur langue indiscrète! « Ils ressemblent, dit le Sage (1), » à une ville sans murailles, qui est ouverte de >> toutes parts », et qui devient la proie du premier venu. Que MADAME étoit au-dessus de cette foiblesse! Ni la surprise, ni l'intérêt, ni la vanité, ni l'appât d'une flatterie délicate, ou d'une douce conversation, qui souvent épanchant le cœur, en fait échapper le secret, n'étoit capable de lui faire découvrir le sien; et la sûreté qu'on trouvoit en cette Princesse, que son esprit rendoit si propre aux grandes affaires, lui faisoit confier les plus importantes.

Ne pensez pas que je veuille, en interprète téméraire des secrets d'Etat, discourir sur le voyage d'Angleterre, ni que j'imite ces politiques spéculatifs, qui arrangent suivant leurs idées les conseils des rois, et composent, sans instruction, les annales dé leur siècle. Je ne parlerai de ce voyage glorieux, que pour dire que MADAME y fut admirée plus que jamais. On ne parloit qu'avec transport de la bonté de cette Princesse, qui, malgré les divisions trop ordinaires dans les Cours, lui gagna d'abord tous les esprits. On ne pouvoit assez louer son incroyable dextérité à traiter les affaires les plus délicates, à guérir ces défiances cachées qui souvent les tiennent en suspens, et à terminer tous les différends d'une manière qui concilioit les intérêts les plus opposés. Mais qui pourroit penser, sans verser des larmes, aux marques d'estime et de tendresse que lui donna le Roi son frère? Ce grand Roi, plus capable encore

હૈ

(1) Sicut urbs patens et absque murorum ambitu, ita vir qui non potest in loquendo cohibere spiritum suum. Prov. xxv. 28.

d'être touché par le mérite que par le sang, ne se lassoit point d'admirer les excellentes qualités de MADAME. O plaie irrémédiable! ce qui fut en ce voyage le sujet d'une si juste admiration, est devenu pour ce Prince le sujet d'une douleur qui n'a point de bornes. Princesse, le digne lien des deux plus grands rois du monde, pourquoi leur avez-vous été si tôt ravie? Ces deux grands Rois se connoissent; c'est l'effet des soins de MADAME: ainsi leurs nobles inclinations concilieront leurs esprits, et la vertu sera entre eux une immortelie médiatrice. Mais si leur union ne perd rien de sa fermeté, nous déplorerons éternellement qu'elle ait perdu son agrément le plus doux; et qu'une Princesse si chérie de tout l'univers ait été précipitée dans le tombeau, pendant que la confiance de deux si grands rois l'élevoit au comble de la grandeur et de la gloire.

La grandeur et la gloire! Pouvons-nous encore entendre ces noms dans ce triomphe de la mort? Non, Messieurs, je ne puis plus soutenir ces grandes paroles, par lesquelles l'arrogance humaine tâche de s'étourdir elle-même, pour ne pas apercevoir son néant. Il est temps de faire voir que tout ce qui est mortel, quoi qu'on ajoute par le dehors pour le faire paroître grand, est par son fond incapable d'élévation. Ecoutez à ce propos le profond raisonnement, non d'un philosophe qui dispute dans une école, ou d'un religieux qui médite dans un cloître je veux confondre le monde par ceux que le monde même révère le plus, par ceux qui le connoissent le mieux, et ne lui veux donner, pour le convaincre, que des docteurs assis sur le trône.

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