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discours, par une doctrine solide et évangélique, avec le secours de la grâce.

PREMIER POINT.

J'ENTRERAI d'abord en matière, pour abréger ce discours; et afin de vous faire voir, par des raisons évidentes, que pour régler notre liberté il est nécessaire de la contraindre, je remarquerai, avant toutes choses, deux sortes de libertés déréglées : l'une ne se prescrit aucunes limites, et transgresse hardiment la loi : l'autre reconnoît bien qu'il y a des bornes; et quoiqu'elle ne veuille point aller audelà, elle prétend aller jusqu'au bout, et user de tout son pouvoir. C'est-à-dire, pour m'expliquer en termes plus clairs, que l'une se propose pour son objet toutes les choses permises; l'autre s'étend encore plus loin, et s'emporte jusqu'à celles qui sont défendues. Ces deux espèces de liberté sont fort usitées dans le monde, et je vois paroître dans l'une et dans l'autre un secret désir d'indépendance. Il se découvre visiblement dans celui qui passe pardessus la loi, et méprise ses ordonnances. En effet, il montre bien, ce superbe, qu'il ne peut souffrir aucun joug; et c'est pourquoi le Saint-Esprit lui parle en ces termes par la bouche de Jérémie: A sæculo confregisti jugum meum; rupisti vincula mea, et dixisti : Non serviam(1) : « Tu as brisé le joug que » je t'imposois; tu as rompu mes liens, et tu as dis » en ton cœur, d'un ton de mutin et d'opiniâtre : » Non, je ne servirai pas ». Qui ne voit que ce téméraire ne reconnoît plus aucun souverain, et qu'il

(1) Jer. 11. 20,

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prétend manifestement à l'indépendance? Mais quoique l'autre, dont j'ai parlé, qui n'exerce sa liberté qu'en usant de tous ses droits, et en la promenant généralement, si je puis parler de la sorte, dans toutes les choses permises, n'égale pas la rebellion de celui-ci; néanmoins il est véritable qu'il le suit de près car s'étendant aussi loin qu'il peut, s'il ne secoue pas le joug tout ouvertement, il montre qu'il le porte avec peine; et s'avançant ainsi à l'extrémité, où il semble ne s'arrêter qu'à regret, il donne sujet de penser, qu'il n'y a plus que la seule crainte qui l'empêche de passer outre. Telles sont les deux espèces de liberté, que j'avois à vous proposer, et il m'est aisé de vous faire voir, que l'une et l'autre sont fort déréglées.

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Et premièrement, chrétiens, pour ce qui regarde ce pécheur superbe, qui méprise la loi de Dieu; son désordre, trop manifeste, ne doit pas être convaincu par un long discours; et je n'ai aussi qu'un mot à lui dire, que j'ai appris de saint Augustin. Il avoit aimé autrefois cette liberté des pécheurs; mais il sentit bientôt dans la suite qu'elle l'engageoit à la servitude; parce que, nous dit-il lui-même, « en » faisant ce que je voulois, j'arrivois où je ne vou» lois pas » : Volens, quò nollem perveneram (1). Que veut dire ce saint évêque; et se peut-il faire, mes Sœurs, qu'en se laissant aller où l'on veut, l'on arrive où l'on ne veut pas ? Il n'est que trop véritable, et c'est le malheureux précipice où se perdent tous les pécheurs. Ils contentent leurs mauvais désirs et leurs passions criminelles; ils se réjouis(1) Conf. lib. VII, cap. v; tom. 1, col. 149.

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sent, ils font ce qu'ils veulent. Voilà une image de liberté qui les trompe; mais la souveraine puissance de celui contre lequel ils se soulèvent, ne leur permet pas de jouir long-temps de leur liberté licencieuse car en faisant ce qu'ils aiment, ils attirent nécessairement ce qu'ils fuient, la damnation, la peine éternelle, une dure nécessité qui les rend captifs du péché, et qui les dévoue à la vengeance divine. Voilà une véritable servitude que leur aveuglement leur cache. Cesse donc, ô sujet rebelle, de te glorifier de ta liberté, que tu ne peux pas soutenir contre le souverain que tu offenses; mais reconnois au contraire que tu forges toi-même tes fers par l'usage de ta liberté dissolue; que tu mets un poids de fer sur ta tête, que tu ne peux plus secouer; et que tu te jettes toi-même dans la servitude, pour avoir voulu étendre, sans mesure, la folle prétention de ta vaine et chimérique indépendance: telle est la condition malheureuse du pécheur.

Après avoir parlé au pécheur rebelle, qui ose faire ce qu'on lui défend, maintenant adressons-nous à celui qui s'imagine être en sûreté, en faisant tout ce qui est permis; et tâchons de lui faire entendre, que s'il n'est pas encore engagé au mal, il est bien avant dans le péril. Car en s'abandonnant sans réserve à toutes les choses qui lui sont permises, qu'il est à craindre, mes Sœurs, qu'il ne se laisse aisément tomber à celles qui sont défendues! Et en voici la raison en peu de paroles, que je vous prie de méditer attentivement. C'est qu'encore que la vertu, prise en elle-même, soit infiniment éloignée du vice;

néanmoins il faut confesser, à la honte de notre nature, que les limites s'en touchent de près dans le penchant de nos affections, et que la chute en est bien aisée. C'est pourquoi il importe, pour notre salut, que notre ame ne jouisse pas de toute la liberté qui lui est permise; de peur qu'elle ne s'emporte jusqu'à la licence, et qu'elle ne passe facilement audelà des bornes, quand il ne lui restera plus qu'une si légère démarche. L'expérience nous le fait connoître de là vient que nous lisons dans les saintes Lettres, que Job, voulant régler ses pensées, commence à traiter avec ses yeux : Pepigi fœdus cum oculis meis, ut ne cogitarem (1). Il arrête des regards qui pourroient être innocens, pour empêcher des pensées qui apparemment seroient criminelles : si ses yeux n'y sont pas encore obligés assez clairement par la loi de Dieu, il les y engage par traité exprès : Pepigi foedus: parce qu'en effet, chrétiens, celui qui prend sa course avec tant d'ardeur, dans cette vaste carrière des choses licites, doit craindre qu'étant sur le bord, il ne puisse plus retenir ses pas; qu'il ne soit emporté plus loin qu'il ne pense, ou par le penchant du chemin, ou par l'impétuosité de son mouvement; et qu'enfin il ne lui arrive ce qu'a dit de lui-même le grand saint Paulin: Quod non expediebat admisi, dum non tempero quod licebat (2): « Je m'emporte au-delà de ce que je dois, pendant que je ne prends aucun soin de me modé>> rer en ce que je puis ».

Illustre épouse de Jésus-Christ, la vie religieuse, que vous embrassez, suit une conduite plus sûre : (2) Ad Sever. Ep. xxx, n. 3.

(1) Job. xxxi. I.

elle s'impose mille lois et mille contraintes dans le sentier de la loi de Dieu : elle se fait encore de nouvelles bornes, où elle prend plaisir de se resserrer. Vous perdrez, je le confesse, ma Sœur, quelque partie de votre liberté, au milieu de tant d'observances de la discipline religieuse; mais si vous savez bien entendre quelle liberté vous perdez, vous verrez que cette perte est avantageuse. En effet, nous sommes trop libres; trop libres à nous porter au péché, trop libres à nous jeter dans la grande voie, qui mène les ames à la perdition. Qui nous donnera que nous puissions perdre cette partie malheureuse de notre liberté, par laquelle nous nous dévoyons? O liberté dangereuse, que ne puis-je te retrancher de mon franc arbitre? Que ne puis-je m'imposer moi-même cette heureuse nécessité de ne pécher pas? Mais il ne faut pas l'espérer durant cette vie. Cette liberté glorieuse de ne pouvoir plus servir au péché, c'est la récompense des saints, c'est la félicité des bienheureux. Tant que nous vivrons dans ce lieu d'exil, nous aurons toujours à combattre cette liberté de pécher. Que faites-vous, mes très-chères Sœurs, et que fait la vie religieuse? Elle voudroit pouvoir s'arracher cette liberté de mal faire; mais comme elle voit qu'il est impossible, elle la bride du moins, autant qu'il se peut; elle la serre de près par une discipline sévère : de peur qu'elle ne s'égare dans les choses qui sont défendues, elle entreprend de se les retrancher toutes, jusqu'à celles qui sont permises, et se réduit, autant qu'elle peut, à celles qui sont nécessaires. Telle est la vie des carmélites.

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