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Lécuy était déjà plus que quinquagénaire quand il se trouva dans cette position difficile. Il déploya une activité juvénile, donna des leçons de grammaire, de littérature. En 1801, il vint s'établir à Paris, où il retrouva des amis. Il rédigea de nombreux articles littéraires dans le Journal de l'Empire, fit des cours de littérature dans un pensionnat de demoiselles de la rue de Harlay au Marais, que venait de fonder une femme du plus grand mérite, Madame de Mauclère, ci-devant abbesse du couvent des Filles du Calvaire, qui conserve une célébrité traditionnelle grâce à une ligne d'omnibus. Cette institution, l'une des plus renommées de Paris du temps du premier Empire, comptait parmi ses pensionnaires des jeunes filles appartenant à l'ancienne et à la nouvelle noblesse, des filles de banquiers, de grands manufacturiers (entre autres la fille unique du célèbre Richard Lenoir), d'autres appartenant à la haute bourgeoisie. Toutes vénéraient et chérissaient l'abbé Lécuy. L'une d'elles (la mère de celui qui écrit ces lignes) avait reçu de lui un exemplaire de l'un de ses meilleurs ouvrages, le Manuel d'une mère chrétienne, « par un ancien religieux, docteur en Sorbonne ». L'auteur s'était dissimulé sous cette modeste qualification, mais en tête de cet exemplaire se trouve une longue et affectueuse dédicace, signée Lécuy, abbé de Prémontré. Ce livre avait été originairement composé, ainsi qu'un abrégé de la Bible ou Bible de la jeunesse, pour l'instruction religieuse des filles de Marie-Julie Clary, femme de Joseph Napoléon, dont Lécuy était devenu aumônier en 1806. En cette qualité, il était chargé de la distribution des aumônes de cette charitable princesse, et ce n'était pas une sinécure! Chanoine honoraire de Notre-Dame depuis 1803, Lécuy fut nommé en 1824 chanoine titulaire avec le titre de vicaire général. Il était alors plus qu'octogénaire; cette position était bien modeste en comparaison de ses splendeurs passées, mais au moins elle le mettait à l'abri du besoin. Il ne mourut qu'en 1834, à 94 ans, ayant con

toujours, bien que confiné dans sa chambre depuis six ans par suite d'une chute qu'il avait faite dans la sacristie de Notre-Dame. Conformément à ses dernières volontés, son cœur a été porté à Prague, et déposé dans l'église de l'abbaye de Strahow, sous les reliques de saint Norbert, fondateur de l'Ordre de Prémontré. Son œuvre, des plus considérables, comprend un grand nombre de livres d'éducation, des traductions de l'anglais, de l'italien; des discours sur différents sujets. Parmi ses travaux les plus importants nous citerons : une traduction des œuvres de Franklin en 2 vol. in-4, Paris, 1773; — un Recueil de pièces sur la prise de Constantinople, pour faire suite à l'histoire byzantine, 1823, in-fol., volume imprimé aux frais des ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre en France, et tiré seulement à 60 exemplaires; un Essai sur la vie de Gerson, Paris, 1832, 2 vol. in-8. Son Manuel d'une mère chrétienne (2 vol. in-12), recueil d'homélies sur les épîtres et évangiles des dimanches et fêtes, est écrit avec beaucoup d'onction, et atteste une connaissance approfondie de l'Ecriture et des Pères. Il a été, pendant plus de vingt ans, l'un des collaborateurs les plus assidus de la Biographie Michaud; il a, de plus, rédigé une partie du supplément du Dictionnaire ecclésiastique de Feller, fourni des articles littéraires et biographiques au Journal des Débats, au Journal de Paris, à l'Ami de la Religion, etc. La vie de ce vénérable et laborieux ecclésiastique offre un exemple bien remarquable des consolations et des ressources qu'offrent, dans les plus rudes épreuves de la vie, le travail et l'amour des livres.

LE COUP D'ÉTAT DU 18 FRUCTIDOR

RACONTÉ PAR TALLEYRAND

(DOCUMENT INÉDIT)

Après la journée du 18 fructidor, Talleyrand, alors ministre des relations extérieures, adressa, aux principaux agents diplomatiques de la République française à l'étranger, la curieuse circulaire qu'on va lire. Il y faisait l'apologie et même le panégyrique du coup d'Etat, et leur prescrivait le langage qu'ils devraient tenir dans cette occasion. Cette circulaire, absolument confidentielle, ne fut pas imprimée. Il en fut seulement adressé des copies, signées du ministre, à ceux de ses agents dont il était le plus sûr. La suite des événements, et en particulier les péripéties ultérieures de l'existence du futur prince de Bénévent, donnent un intérêt de haute curiosité à ce document, qui avait échappé à tous les historiens de la Révolution. Nous l'avons trouvé dans les papiers d'un de ces agents, qui était alors chargé d'affaires de la République auprès d'un des petits princes d'Allemagne.

1re DIVISION POLITIQUE.

Paris, le 27 fructidor, an V.

Le ministre des relations extérieures au Citoyen..

Un grand événement vient de se passer, citoyen, le 18 fructidor. Il doit nécessairement avoir la plus énergique influence sur les destinées de la République, et tout ce qui, en France, a le sentiment de la liberté, pense qu'il en affermira la durée. Mais comme la perfidie pourrait

fixer dès ce moment vos idées en vous transmettant les principaux détails ainsi que les proclamations du Directoire. Je me réserve de vous faire parvenir successivement les pièces, actes et décrets subséquents.

Vous lirez dans les proclamations qu'une conspiration véritable et tout au profit de la royauté se tramait depuis longtemps contre la constitution de l'an III. Déjà même elle ne se déguisait plus ; elle était visible aux yeux les plus indifférens; le mot patriote était devenu une injure. Toutes les institutions républicaines étaient avilies; les ennemis les plus irréconciliables de la France, accourus en foule dans son sein, y étaient accueillis, honorés. Un fanatisme hipocrite nous avait transporté tout à coup au xvIe siècle. Les héros de nos armées n'étaient que des brigands; les vaincus se demandaient entr'eux quels étaient ceux des vainqueurs à qui ils pouvaient faire grâce. Enfin, la Republique française couverte de gloire au dehors, et commandant le respect aux puissances de l'Europe, commençait à devenir un problème en France.

Tout cela eût pu n'être qu'un égarement passager de l'esprit public; ou plutôt tout cela n'eût pas existé un seul jour, si les deux premières autorités constituées s'étaient montrées unanimes dans la résolution de maintenir la République. Mais la division était au Directoire; mais dans le corps législatif figuraient des hommes visiblement élus d'après les instructions du Prétendant, et dont toutes les motions respiraient le royalisme ; mais déjà, sous prétexte de police intérieure, s'était élevé dans ce corps un monstrueux pouvoir exécutif qui menaçait le gouvernement, et autour duquel se rangeaient les royalistes les moins déguisés qu'on enrôlait en foule. Enfin, tout était prêt pour dissoudre la Constitution, lorsque le Directoire, par une de ces mesures vigoureuses que commandait le salut de la patrie, se rappelant que le dépôt de la Constitution avait été spécialement commis à sa fidélité par l'ar

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sûreté intérieure ou extérieure de la République ; que (suivant l'art. 112) les membres du Corps législatif euxmêmes peuvent être saisis en flagrant délit ;- considérant aussi qu'au moment où une conspiration armée allait éclater, et où les points de rassemblement étaient dans les salles mêmes du Corps législatif, les moyens ordinaires n'étaient plus en son pouvoir; soutenu par un grand nombre de députés fidèles qui bientôt ont formé la majorité de la législature, et muni de pièces authentiques qui montraient jusqu'au plan de la conspiration; lorsque le Directoire, fort de toutes ces circonstances, a fait saisir dans un lieu étranger à celui où s'étaient réunis les représentants du peuple en majorité, des individus qui osaient se dire députés, en distribuant des cartes de ralliement aux conspirateurs à qui ils faisaient distribuer aussi des

armes.

Cette conduite ferme a reçu l'assentiment général : aucune résistance ne l'a laissée un instant douteuse; aucun désordre ne l'a souillée. Les gardes du Corps législatif ont obéi à la voix d'Augereau, et gardent maintenant les deux Conseils avec un zèle qui n'est plus inquiet. Les patriotes n'ont pas laissé égarer leur enthousiasme; aucun cri de vengeance ne s'est fait entendre; enfin, la confiance dans le gouvernement est unanime, et le peuple est satisfait et tranquille. Les députés ont délibéré avec le plus grand calme; ils ont secondé puissamment les mesures du Directoire, et lui ont prêté l'appui de la loi. Eclairés par lui sur l'existence de la conspiration, ils ont remonté rapidement à sa source, et ont rendu plusieurs décrets fermes et rassurants que vous connaîtrez. Mais, ennemis de tout ce qui pouvait rappeler le règne affreux de la Terreur, ils ont voulu que le sang même le plus coupable ne fût pas répandu; que toute la punition pour ceux qui avaient voulu déchirer la République fût de ne pas vivre dans son sein; et c'est ce qui distinguera dans l'histoire cette époque

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