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piter, très bon et très grand, valait infiniment mieux que le rationalisme. Mais parce que les cultes polythéistes ne souffraient ni l'examen, ni la critique, il était fatal que partout où elle était cultivée, l'intelligence déconsidérât et supprimât la religion; il était fatal qu'à mesure qu'ils s'éclairaient, qu'ils se civilisaient, les peuples mal contenus, mal disciplinés déjà par des croyances erronnées, ne fussent émancipés du joug de leurs superstitions que pour être livrés par la raison humaine à l'esclavage absolu de l'orgueil et de la sensualité. Voilà ce qui fait que civilisation et décadence morale sont des mots synonymes.

Après s'être corrompus eux-mêmes en se civilisant, les Grecs ont corrompu ensuite tous ceux dont ils ont été les modèles et les maîtres. Chcz les païens, les effets de cette corruption n'avaient, par la nature et par la force même des choses, ni terme, ni remède. La vraie religion a seule résisté à l'esprit grec; elle en a souffert, beaucoup souffert, mais elle lui a victorieusement résisté, d'abord sur le terrain de la Bible seule, ensuite sur celui de l'Ancien et du NouveauTestament.

Les Séleucides firent tout pour dénationaliser la Judée en y introduisant la civilisation grecque; les Machabées les en empêchèrent. L'histoire du ca

tholicisme est l'histoire même de ses luttes avec l'esprit grec. Il le vainquit une première fois dans le néoplatonisme alexandrin; et il ne manque pas de gens qui regardent ce triomphe, et les victoires successives remportées sur les hérésies qui émanaient de la même source, comme le passage de la civilisation à la barbarie dite du moyen âge.

De la rupture définitive du catholicisme avec l'esprit grec, il résulta d'abord, en effet, une nuit qu'éclaira assez longtemps le flambeau de la foi toute seule. Cette nuit fut pour les peuples chrétiens une sorte d'enfance pendant laquelle l'Église créa des mœurs, des institutions, une vie sociale nouvelle. Peu à peu grandirent les germes de la civilisation originale que le catholicisme portait, et dont il devait produire l'expression scientifique, littéraire et artistique, en y employant toutes les ressources et toutes les puissances de l'esprit humain. Il fut démontré, alors, non-seulement que la force morale et la force intellectuelle peuvent s'accorder, mais encore que leur harmonie est l'indispensable moyen de faire avancer l'homme dans la voie des perfectionnements légitimes qu'impliquent sa nature et sa destinée. Le caractère de cette époque, à laquelle préluda la réforme de Cluny au commencement du dixième siècle, et qui déclina dans le quatorzième, fut une prédominence marquée de

l'intérêt religieux sur tous les autres. De là l'universelle acceptation de la suprématie papale. De là aussi, dans toutes les directions, cette sève riche et féconde qui couvrit l'occident de moines, de guerriers, d'artistes, de savants, d'ouvriers incomparables; de là les croisades, les cathédrales, les encyclopédies théologiques et philosophiques, les innombrables poèmes, les créations du génie musical, les chefs-d'œuvre de tout genre des arts libéraux et des arts mécaniques, les découvertes par lesquelles Roger Bacon inaugura les sciences modernes, et cet étonnant programme, non encore entièrement rempli, des inventions dont il voyait la possibilité.

Vers la fin du douzième siècle l'esprit grec toucha cette civilisation, mais ce fut pour la fortifier. Corrigés dans ce qu'ils avaient eu de faux, d'incomplet et de radicalement impuissant pour le bien en vertu même de leurs principes rationalistes, Aristote et Platon devinrent les auxiliaires et les serviteurs de la théologie chrétienne. Et pour qu'il fût bien établi que la vraie religion avait seule ce pouvoir, au moment où l'esprit grec fournissait des armes au catholicisme, les Arabes en tiraient une philosophie qui ruina en très peu de temps l'autorité des vicaires de Mahomet.

La décadence du mouvement civilisateur d'origine purement chrétienne donna ouverture aux

plus mauvaises influences de l'esprit grec. Ce fut comme un retour du paganisme que l'on salua du nom de Renaissance, et qui eut en Italie son siècle. des Médicis, et en France celui de Louis XIV. Le mercantilisme, l'adoration de l'argent, laquelle n'est au fond que l'adoration de soi-même, l'intérêt temporel mis au-dessus de tout par le machiavélisme, un immense besoin de luxe, un amour effréné du plaisir, décuplés par la prostitution philosophique, littéraire et artistique empruntée à la civilisation païenne, tels furent en substance ces deux siècles fameux dont l'un orna les murailles du Vatican des amours de Psyché, et dont l'autre peupla les jardins de Versailles de tous les dieux de l'Olympe. Aussi, avec l'un se leva la Réforme, et avec l'autre le philosophisme révolutionnaire, double négation qui aurait depuis longtemps emporté le dernier débris social dans notre occident, si au lieu de s'attaquer à Celle contre qui ne doivent point prévaloir les portes de l'enfer, elle avait eu affaire à une fausse tradition religieuse.

Les principes de la mauvaise civilisation ont été cyniquement affichés et réduits en théorie par deux hommes dont les écrits sont, à bien prendre, une satyre sanglante des mœurs et des tendances de leur époque. Mandeville, au commencement du dix-huitième siècle, Fourrier, de notre temps, n'ont

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êté l'un et l'autre que les apologistes des vices cn honneur. Le premier écrivit un livre intitulé : a la Fable des abeilles ou les Fripons derenus honnêtes gens, avec le commentaire où l'on prouve que les vices des particuliers tendent à l'avantage du public. Selon cet habile homme la morale est un fléau pire que la peste, la famine et la guerre. Fourrier a fulminé, de nos jours, le même anathême, en préconisant comme ressort de haute harmonic les sept péchés capitaux, pourvu qu'on les fasse fonctionner dans un mécanisme qu'il a inventé ad hoc. En érigeant le vice en système, ces deux hommes n'ont malheureusement fait autre chose que de convertir en règle la dissolution pratique dont ils étaient les témoins.

Nous concluons de ce qui précède, que la vraie religion est mère de la vraie civilisation ; que celleci ne va point sans celle-là; qu'avec la première tous les progrès réels dont l'esprit humain est susceptible tournent au bien des individus, à la force, à la grandeur, à la prospérité des empires; que sans elle la raison est d'autant plus malfaisante qu'elle acquiert plus de puissance; qu'en un mot, et pour étendre une pensée célèbre, la vraie religion est l'arôme qui empêche la civilisation de se corrompre.

Il y en a qui pensent tout le contraire. A leurs

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