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le poireau des mers et la plante terrestre; quelques-uns des insectes fluviatiles ressemblent à de petits oiseaux: quand la demoiselle, avec son corsage bleu et ses ailes transparentes, se repose sur la fleur du nénuphar blanc, on croiroit voir l'oiseau-mouche des Florides sur une rose de magnolia. En automne, ces marais sont plantés de joncs desséchés, qui donnent à la stérilité même l'air des plus opulentes moissons; au printemps, ils présentent des bataillons de lances verdoyantes. Un bouleau, un saule isolé où la brise a suspendu quelques flocons de plumes, domine ces mouvantes campagnes; le vent glissant sur ces roseaux incline tour à tour leurs cimes : l'une s'abaisse, tandis que l'autre se relève; puis soudain, toute la forêt venant à se courber à la fois, on découvre ou le butor doré, ou le héron blanc, qui se tient immobile sur une longue patte comme sur un épieu.

CHAPITRE XI.

DES PLANTES ET DE LEURS MIGRATIONS.

Nous entrons à présent dans ce règne où les merveilles de la nature prennent un caractère plus riant et plus doux. En s'élevant dans les airs et sur le sommet des monts, on diroit que les plantes empruntent quelque chose du ciel, dont elles se rapprochent. On voit souvent par un profond calme, au lever de l'aurore, les fleurs d'une vallée immobiles sur leurs tiges; elles se penchent de diverses manières, et regardent tous les points de l'horizon. Dans ce moment même où il semble que tout est tranquille, un mystère s'accomplit: la nature conçoit ; et ces plantes sont autant de jeunes mères tournées vers la région mystérieuse d'où leur doit venir la fécondité. Les sylphes ont des sympathies moins aériennes, des communications moins invisibles; le narcisse livre aux ruisseaux sa race virginale, la violette confie aux zéphyrs sa modeste postérité, une abeille cueille du miel de fleur en fleur, et, sans le savoir, féconde toute une prairie; un papillon porte un peuple entier sur son aile. Cependant les amours des plantes ne sont pas également tranquilles; il en est d'orageuses comme celles des hommes il faut des tempêtes pour marier sur des hauteurs inaccessibles le cèdre du Liban au cèdre du Sinaï, tandis qu'au bas de la montagne le plus doux vent suffit pour établir entre les fleurs un commerce de volupté. N'est-ce pas ainsi que le souffle des passions agite les rois de la terre sur leur trône, tandis que les bergers vivent heureux à leurs pieds?

La fleur donne le miel: elle est la fille du matin, le charme du printemps, la source des parfums, la grâce des vierges, l'amour des poëtes; elle passe vite comme l'homme, mais elle rend doucement ses feuilles à la terre. Chez les anciens, elle couronnoit la coupe du banquet et les cheveux blancs du sage; les premiers chrétiens en couvroient les martyrs et l'autel des catacombes; aujourd'hui, et en mémoire de ces antiques jours, nous la mettons dans nos temples. Dans le monde, nous attribuons nos affections à ses couleurs : l'espérance à sa verdure, l'innocence à sa blancheur, la pudeur à ses teintes de rose; il y a des nations entières où elle est l'interprète des sentiments; livre charmant, qui ne renferme aucune erreur dangereuse et ne garde que l'histoire fugitive des révolutions du cœur!

En mettant les sexes sur des individus différents dans plusieurs familles de plantes, la Providence a multiplié les mystères et les beautés de la nature. Par là la loi des migrations se reproduit dans un règne qui sembloit dépourvu de toute faculté de se mouvoir. Tantôt c'est la graine ou le fruit, tantôt c'est une portion de la plante ou même la plante entière qui voyage. Les cocotiers croissent souvent sur des rochers au milieu de la mer : quand la tempête survient, leurs fruits tombent, et les flots les roulent à des côtes habitées, où ils se transforment en beaux arbres; symbole de la vertu qui s'élève sur des écueils exposés aux orages: plus elle est battue des vents, plus elle prodigue de trésors aux hommes.

On nous a montré au bord de l'Yar, petite rivière du comté de Suffolk en Angleterre, une espèce de cresson fort curieux: il change de place et s'avance comme par bonds et par sauts. Il porte plusieurs chevelus dans ses cimes; lorsque ceux qui se trouvent à l'une des extrémités de la masse sont assez longs pour atteindre au fond de l'eau, ils y prennent racine. Tirées par l'action de la plante qui s'abaisse sur son nouveau pied, les griffes du côté opposé lâchent prise, et la cressonnière, tournant sur son pivot, se déplace de toute la longueur de son banc. Le lendemain on cherche la plante dans l'endroit où on l'a laissée la veille, et on l'aperçoit plus haut ou plus bas sur le cours de l'onde, formant, avec le reste des familles fluviatiles, de nouveaux effets et de nouvelles harmonies. Nous n'avons vu ni la floraison ni la fructification de ce cresson singulier, que nous avons nommé MIGRATOR, voyageur, à cause de nos propres destinées.

Les plantes marines sont sujettes à changer de climat; elles semblent partager l'esprit d'aventure de ces peuples insulaires que leur position géographique a rendus commerçants. Le fucus giganteus sort des antres du Nord avec les tempêtes; il s'avance sur la mer en

enfermant dans ses bras des espaces immenses. Comme un filet tendu de l'un à l'autre rivage de l'Océan, il entraîne avec lui les moules, les phoques, les raies, les tortues qu'il prend sur sa route. Quelquefois, fatigué de nager sur les vagues, il allonge un pied au fond de l'abîme et s'arrête debout; puis, recommençant sa navigation avec un vent favorable, après avoir flotté sous mille latitudes diverses, il vient tapisser les côtes du Canada des guirlandes enlevées aux rochers de la Norvège.

Les migrations des plantes marines, qui au premier coup d'œil ne paroissent que de simples jeux du hasard, ont cependant des relations touchantes avec l'homme.

En nous promenant un soir à Brest, au bord de la mer, nous aperçûmes une pauvre femme qui marchoit courbée entre des rochers; elle considéroit attentivement les débris d'un naufrage, et surtout les plantes attachées à ces débris, comme si elle eût cherché à deviner par leur plus ou moins de vieillesse l'époque certaine de son malheur. Elle découvrit sous des galets une de ces boîtes de matelot qui servent à mettre des flacons. Peut-être l'avoit-elle remplie elle-même autrefois, pour son époux, de cordiaux achetés du fruit de ses épargnes; du moins nous le jugeâmes ainsi, car elle se prit à essuyer ses larmes avec le coin de son tablier. Des mousserons de mer remplaçoient maintenant ces présents de sa tendresse. Ainsi, tandis que le bruit du canon apprend aux grands le naufrage des grands du monde, la Providence en annonçant aux mêmes bords quelque deuil aux petits et aux foibles leur dépêche secrètement quelques brins d'herbe et un débris.

CHAPITRE XII.

DEUX PERSPECTIVES DE LA NATURE.

Ce que nous venons de dire des animaux et des plantes nous mène à considérer les tableaux de la nature sous un rapport plus général. Tâchons de faire parler ensemble ces merveilles, qui prises séparément nous ont déjà dit tant de choses de la Providence.

Nous présenterons aux lecteurs deux perspectives de la nature, l'une marine et l'autre terrestre; l'une au milieu des mers Atlantiques, l'autre dans les forêts du Nouveau Monde, afin qu'on ne puisse attribuer la majesté de ces scènes aux monuments des hommes.

Le vaisseau sur lequel nous passions en Amérique s'étant élevé au-dessus du gisement des terres, bientôt l'espace ne fut plus tendu

que du double azur de la mer et du ciel, comme une toile préparée pour recevoir les futures créations de quelque grand peintre. La couleur des eaux devint semblable à celle du verre liquide. Une grosse houle venoit du couchant, bien que le vent soufflât de l'est; d'énormes ondulations s'étendoient du nord au midi, et ouvroient dans leurs vallées de longues échappées de vue sur les déserts de l'Océan. Ces mobiles paysages changeoient d'aspect à toute minute : tantôt une multitude de tertres verdoyants représentoient des sillons de tombeaux dans un cimetière immense; tantôt des lames en faisant moutonner leurs cimes imitoient des troupeaux blancs répandus sur des bruyères ; souvent l'espace sembloit borné, faute de point de comparaison; mais si une vague venoit à se lever, un flot à se courber comme une côte lointaine, un escadron de chiens de mer à passer à l'horizon, l'espace s'ouvroit subitement devant nous. On avoit surtout l'idée de l'étendue lorsqu'une brume légère rampoit à la surface de la mer et sembloit accroître l'immensité même. Oh! qu'alors les aspects de l'Océan sont grands et tristes! Dans quelles rêveries ils vous plongent, soit que l'imagination s'enfonce sur les mers du Nord au milieu des frimas et des tempêtes, soit qu'elle aborde sur les mers du Midi à des îles de repos et de bonheur !

Il nous arrivoit souvent de nous lever au milieu de la nuit et d'aller nous asseoir sur le pont, où nous ne trouvions que l'officier de quart et quelques matelots qui fumoient leur pipe en silence. Pour tout bruit on entendoit le froissement de la proue sur les flots, tandis que des étincelles de feu couroient avec une blanc écume le long des flancs du navire. Dieu des chrétiens! c'est surtout dans les eaux de l'abîme et dans les profondeurs des cieux que tu as gravé bien fortement les traits de ta toute-puissance : des millions d'étoiles rayonnant dans le sombre azur du dôme céleste, la lune au milieu du firmament, une mer sans rivages, l'infini dans le ciel et sur les flots! Jamais tu ne m'as plus troublé de ta grandeur que dans ces nuits où, suspendu entre les astres et l'Océan, j'avois l'immensité sur ma tête et l'immensité sous mes pieds!

Je ne suis rien : je ne suis qu'un simple solitaire. J'ai souvent entendu les savants disputer sur le premier Être, et je ne les ai point compris; mais j'ai toujours remarqué que c'est à la vue des grandes scènes de la nature que cet Être inconnu se manifeste au cœur de l'homme. Un soir (il faisoit un profond calme) nous nous trouvions dans ces belles mers qui baignent les rivages de la Virginie; toutes les voiles étoient pliées; j'étois occupé sous le pont, lorsque j'entendis la cloche qui appeloit l'équipage à la prière: je me hâtai d'aller mêler

mes vœux à ceux de mes compagnons de voyage. Les officiers étoient sur le château de poupe avec les passagers; l'aumônier, un livre à la main, se tenoit un peu en avant d'eux; les matelots étoient répandus pêle-mêle sur le tillac : nous étions tous debout, le visage tourné vers la proue du vaisseau, qui regardoit l'occident.

Le globe du soleil, prêt à se plonger dans les flots, apparoissoit entre les cordages du navire au milieu des espaces sans bornes. On eût dit, par les balancements de la poupe, que l'astre radieux changeoit à chaque instant d'horizon. Quelques nuages étoient jetés sans ordre dans l'orient, où la lune montoit avec lenteur; le reste du ciel étoit pur: vers le nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe, brillante des couleurs du prisme, s'élevoit de la mer comme un pilier de cristal supportant la voûte du ciel.

Il eût été bien à plaindre, celui qui dans ce spectacle n'eût point reconnu la beauté de Dieu. Des larmes coulèrent malgré moi de mes paupières, lorsque mes compagnons, ôtant leur chapeau goudronné, vinrent à entonner d'une voix rauque leur simple cantique à NotreDame de Bon-Secours, patronne des mariniers. Qu'elle étoit touchante, la prière de ces hommes qui sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemploient le soleil couchant sur les flots! Comme elle alloit à l'âme, cette invocation du pauvre matelot à la Mère de Douleur! La conscience de notre petitesse à la vue de l'infini, nos chants s'étendant au loin sur les vagues, la nuit s'approchant avec ses embûches, la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles, un équipage religieux saisi d'admiration et de crainte, un prêtre auguste en prière, Dieu penché sur l'abîme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune dans l'orient, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la voix de sa créature: voilà ce qu'on ne sauroit peindre, et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir.

Passons à la scène terrestre.

Un soir je m'étois égaré dans une forêt, à quelque distance de la cataracte de Niagara; bientôt je vis le jour s'éteindre autour de moi, et je goûtai, dans toute sa solitude, le beau spectacle d'une nuit dans les déserts du Nouveau Monde.

Une heure après le coucher du soleil la lune se montra au-dessus des arbres, à l'horizon opposé. Une brise embaumée, que cette reine des nuits amenoit de l'orient avec elle, sembloit la précéder dans les forêts, comme sa fraîche haleine. L'astre solitaire monta peu à peu dans le ciel tantôt il suivoit paisiblement sa course azurée, tantôt il reposoit sur des groupes de nues qui ressembloient à la cime de hautes

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