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D'ailleurs est-il vrai que le peuple, même dans son état de misère, ne connoisse pas ce désir de bonheur qui s'étend au delà de la vie? D'où vient cet instinct mélancolique qu'on remarque dans l'homme champêtre? Souvent le dimanche et les jours de fête, lorsque le village étoit allé prier ce Moissonneur qui sépare le bon grain de l'ivraie, nous avons vu quelque paysan resté seul à la porte de sa chaumière : il prêtoit l'oreille au son de la cloche, son attitude étoit pensive, il n'étoit distrait ni par les passereaux de l'aire voisine ni par les insectes qui bourdonnoient autour de lui. Cette noble figure de l'homme, plantée comme la statue d'un dieu sur le seuil d'une chaumière, ce front sublime, bien que chargé de soucis, ces épaules ombragées d'une noire chevelure, et qui sembloient encore s'élever comme pour soutenir le ciel, quoique courbées sous le fardeau de la vie, tout cet être si majestueux, bien que misérable, ne pensoit-il à rien, ou songeoit-il seulement aux choses d'ici-bas? Ce n'étoit pas l'expression de ces lèvres entr'ouvertes, de ce corps immobile, de ce regard attaché à la terre : le souvenir de Dieu étoit là avec le son de la cloche religieuse.

S'il est impossible de nier que l'homme espère jusqu'au tombeau, s'il est certain que les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l'âme et en augmenter le vide, il faut en conclure qu'il y a quelque chose au delà du temps. Vincula hujus mundi, dit saint Augustin, asperitatem habent veram, jucunditatem falsam, certum dolorem, incertam voluptatem, durum laborem, timidam quietem, rem plenam miseriæ, spem beatitudinis inanem. « Le monde a des liens pleins d'une véritable âpreté et d'une fausse douceur, des douleurs certaines, des plaisirs incertains, un travail dur, un repos inquiet, des choses pleines de misère, et une espérance vide de bonheur '. » Loin de nous plaindre que le désir de félicité ait été placé dans ce monde et son but dans l'autre, admirons en cela la bonté de Dieu. Puisqu'il faut tôt ou tard sortir de la vie, la Providence a mis au delà du terme un charme qui nous attire, afin de diminuer nos terreurs du tombeau : quand une mère veut faire franchir une barrière à son enfant, elle lui tend de l'autre côté un objet agréable, pour l'engager à passer.

1. Epist. 30.

CHAPITRE II.

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

La conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraye : il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet; il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage; il découvre le goût du poison dans les mets qu'il a lui-même apprêtés; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et sous les vêtements de son ami, lorsqu'il l'embrasse, il croit sentir un poignard caché.

O conscience! ne serois-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes? Je m'interroge; je me fais cette question: Si tu pouvois par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en sauroit jamais rien, consentirois-tu à former ce désir? J'ai beau m'exagérer mon indigence ; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide en supposant que par mon souhait le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'Etat ; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.

C'est donc une triste nécessité que d'être obligé de nier le remords

pour nier l'immortalité de l'âme et l'existence d'un Dieu vengeur. Toutefois nous n'ignorons pas que l'athéisme poussé à bout a recours à cette dénégation honteuse. Le sophiste, dans le paroxysme de la goutte, s'écrioit : « O douleur ! je n'avouerai jamais que tu sois un mal! » Et quand il seroit vrai qu'il se trouvât des hommes assez infortunés pour étouffer le cri du remords, qu'en résulteroit-il? Ne jugeons point celui qui a l'usage de ses membres par le paralytique qui ne se sert plus des siens; le crime à son dernier degré est un poison qui cautérise la conscience: en renversant la religion on a détruit le seul remède qui pouvoit rétablir la sensibilité dans les parties mortes du cœur. Cette étonnante religion du Christ étoit une sorte de supplément à ce qui manquoit aux hommes. Devenoit-on coupable par excès, par trop de prospérité, par violence de caractère, elle étoit là pour nous avertir de l'inconstance de la fortune et du danger des emportements. Étoitce, au contraire, par défaut qu'on étoit exposé, par indigence de biens, par indifférence d'âme, elle nous apprenoit à mépriser les richesses, en même temps qu'elle réchauffoit nos glaces et nous donnoit, pour ainsi dire, des passions. Avec le criminel surtout, sa charité étoit inépuisable: il n'y avoit point d'homme si souillé qu'elle n'admît à repentir; point de lépreux si dégoûtant qu'elle ne touchât de ses mains. pures. Pour le passé elle ne demandoit qu'un remords, pour l'avenir qu'une vertu : Ubi autem abundavit delictum, disoit-elle, superabundavit gratia: « La grâce a surabondé où avoit abondé le crime'. » Toujours prêt à avertir le pécheur, le Fils de Dieu avoit établi sa religion comme une seconde conscience pour le coupable qui auroit eu le malheur de perdre la conscience naturelle, conscience évangélique, pleine de pitié et de douceur, et à laquelle Jésus-Christ avoit accordé le droit de faire grâce, que n'a pas la première.

Après avoir parlé du remords qui suit le crime, il seroit inutile de parler de la satisfaction qui accompagne la vertu. Le contentement intérieur qu'on éprouve en faisant une bonne œuvre n'est pas plus une combinaison de la matière que le reproche de la conscience lorsqu'on commet une méchante action n'est la crainte des lois.

Si des sophistes soutiennent que la vertu n'est qu'un amour-propre déguisé, et que la pitié n'est qu'un amour de soi-même, ne leur demandons point s'ils n'ont jamais rien senti dans leurs entrailles après avoir soulagé un malheureux, ou si c'est la crainte de retomber en enfance qui les attendrit sur l'innocence du nouveau-né. La vertu et les larmes sont pour les hommes la source de l'espérance et la base

4. Rom., c. v, v. 20.

:

de la foi or, comment croiroit-il en Dieu, celui qui ne croit ni à la réalité de la vertu ni à la vérité des larmes?

Nous penserions faire injure aux lecteurs en nous arrêtant à montrer comment l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu se prouvent par cette voix intérieure appelée conscience. « Il y a dans l'homme, dit Cicéron', une puissance qui porte au bien et détourne du mal, non-seulement antérieure à la naissance des peuples et des villes, mais aussi ancienne que ce Dieu par qui le ciel et la terre subsistent et sont gouvernés car la raison est un attribut essentiel de l'intelligence divine; et cette raison, qui est en Dieu, détermine nécessairement ce qui est vice ou vertu. »

CHAPITRE III

QU'IL N'Y A POINT DE MORALE S'IL N'Y A POINT D'AUTRE VIE. PRÉSOMPTION EN FAVEUR DE L'AME,

TIRÉE DU RESPECT DE L'HOMME POUR LES TOMBEAUX.

La morale est la base de la société; mais si tout est matière en nous, il n'y a réellement ni vice ni vertu, et conséquemment plus de morale. Nos lois, toujours relatives et changeantes, ne peuvent servir de point d'appui à la morale, toujours absolue et inaltérable; il faut donc qu'elle ait sa source dans un monde plus stable que celui-ci, et des garants plus sûrs que des récompenses précaires ou des châtiments passagers. Quelques philosophes ont cru que la religion avoit été inventée pour la soutenir; ils ne se sont pas aperçus qu'ils prenoient l'effet pour la cause. Ce n'est pas la religion qui découle de la morale, c'est la morale qui naît de la religion, puisqu'il est certain, comme nous venons de le dire, que la morale ne peut avoir son printipe dans l'homme physique ou la simple matière; puisqu'il est certain que quand les hommes perdent l'idée de Dieu, ils se précipitent dans tous les crimes en dépit des lois et des bourreaux.

Une religion qui a voulu s'élever sur les ruines du christianisme, et qui a cru mieux faire que l'Évangile, a déroulé dans nos églises ce précepte du Décalogue : Enfants, honorez vos pères et mères. Pourquoi les théophilanthropes ont-ils retranché la dernière partie du précepte, afin de vivre longuement? C'est qu'une misère secrète leur a appris que l'homme qui n'a rien ne peut rien donner. Comment auroit-il promis

1. Ad. Attic., XII, 28, trad. de D'OLIVET

des années, celui qui n'est pas assuré de vivre deux moments? Tu me sais présent de la vie, lui auroit-on dit, et tu ne vois pas que tu tombes en poussière? Comme Jéhovah, tu m'assures une longue existence; et as-tu, comme lui, l'éternité pour y puiser des jours? Imprudent! l'heure où tu vis n'est pas même à toi; tu ne possèdes en propre que la mort : que tireras-tu donc du fond de ton sépulcre, hors le néant, pour récompenser ma vertu?

Enfin, il y a une autre preuve morale de l'immortalité de l'âme, sur laquelle il faut insister : c'est la vénération des hommes pour les tombeaux. Là par un charme invincible la vie est attachée à la mort; là la nature humaine se montre supérieure au reste de la création et déclare ses hautes destinées. La bête connoît-elle le cercueil et s'inquiète-t-elle de ses cendres? Que lui font les ossements de son père? ou plutôt sait-elle quel est son père, après que les besoins de l'enfance sont passés? D'où nous vient donc la puissante idée que nous avons du trépas? Quelques grains de poussière mériteroient-ils nos hommages? Non, sans doute : nous respectons les cendres de nos ancêtres parce qu'une voix nous dit que tout n'est pas éteint en eux. Et c'est cette voix qui consacre le culte funèbre chez tous les peuples de la terre : tous sont également persuadés que le sommeil n'est pas durable, même au tombeau, et que la mort n'est qu'une transfiguration glorieuse.

CHAPITRE IV.

DE QUELQUES OBJECTIONS.

Sans entrer trop avant dans les preuves métaphysiques, que nous avons pris soin d'écarter, nous tâcherons pourtant de répondre à quelques objections qu'on reproduit éternellement.

Cicéron ayant avancé, d'après Platon, qu'il n'y a point de peuples chez lesquels on n'ait trouvé quelque notion de la Divinité, ce consentement universel des nations, que les anciens philosophes regardoient comme une loi de nature, a été nié par les incrédules modernes ; ils ont soutenu que certains sauvages n'ont aucune connoissance de Dieu. Les athées se tourmentent en vain pour couvrir la foiblesse de leur cause; il résulte de leurs arguments que leur système n'est fondé que sur des exceptions, tandis que le déisme suit la règle générale. Si l'on dit que le genre humain croit en Dieu, l'incrédule vous oppose d'abord tels sauvages, ensuite telle personne, et quelquefois lui-même. Sou

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