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Il est temps qu'on sache enfin à quoi se réduisent ces reproches d'absurdité, de grossièreté, de petitesse, qu'on fait tous les jours au christianisme; il est temps de montrer que, loin de rapetisser la pensée, il se prête merveilleusement aux élans de l'âme, et peut enchanter l'esprit aussi divinement que les dieux de Virgile et d'Homère. Nos raisons auront du moins cet avantage qu'elles seront à la portée de tout le monde, et qu'il ne faudra qu'un bon sens pour en juger. On néglige peut-être un peu trop, dans les ouvrages de ce genre, de parler la langue de ses lecteurs : il faut être docteur avec le docteur, et poëte avec le poëte. Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à revenir à lui, et ce n'est pas toujours par les sentiers rudes et sublimes de la montagne que la brebis égarée retourne au bercail.

Nous osons croire que cette manière d'envisager le christianisme présente des rapports peu connus: sublime par l'antiquité de ses souvenirs, qui remontent au berceau du monde, ineffable dans ses mystères, adorable dans ses sacrements, intéressant dans son histoire, céleste dans sa morale, riche et charmant dans ses pompes, il réclame toutes les sortes de tableaux. Voulez-vous le suivre dans la poésie? le Tasse, Milton, Corneille, Racine, Voltaire, vous retracent ses miracles. Dans les belles-lettres, l'éloquence, l'histoire, la philosophie? que n'ont point fait par son inspiration Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Bacon, Pascal, Euler, Newton, Leibnitz! Dans les arts? que de chefs-d'œuvre! Si vous l'examinez dans son culte, que de choses ne vous disent point et ses vieilles églises gothiques, et ses prières admirables, et ses superbes cérémonies! Parmi son clergé, voyez tous ces hommes qui vous ont transmis la langue et les ouvrages de Rome et de la Grèce, tous ces solitaires de la Thébaïde, tous ces lieux de refuge pour les infortunés, tous ces missionnaires à la Chine, au Canada, au Paraguay, sans oublier les ordres militaires, d'où va naître la chevalerie! Mœurs de nos aïeux, peinture des anciens jours, poésie, romans même, choses secrètes de la vie, nous avons tout fait servir à notre cause. Nous demandons des sourires au berceau et des pleurs à la tombe; tantôt, avec le moine maronite, nous habitons les sommets du Carmel et du Liban; tantôt, avec la fille de la Charité, nous veillons au lit du malade; ici deux époux américains nous appellent au fond de leurs déserts; là nous entendons gémir la vierge dans les solitudes du cloître; Homère vient se placer auprès de Milton, Virgile à côté du Tasse; les ruines de Memphis et d'Athènes contrastent avec les ruines des monuments chrétiens, les tombeaux d'Ossian avec nos cimetières de campagne ; à Saint-Denis nous visitons la cendre des rois; et quand notre sujet nous force de parler du dogme de l'existence

de Dieu, nous cherchons seulement nos preuves dans les merveilles de la nature; enfin, nous essayons de frapper au cœur de l'incrédule de toutes les manières, mais nous n'osons nous flatter de posséder cette verge miraculeuse de la religion, qui fait jaillir du rocher les sources d'eau vive.

Quatre parties, divisées chacune en six livres, composent notre ouvrage. La première traite des dogmes et de la doctrine.

La seconde et la troisième renferment la poétique du christianisme, ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts. La quatrième contient le culte, c'est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l'Église et tout ce qui regarde le clergé séculier et régulier.

Au reste, nous avons souvent rapproché les dogmes et la doctrine des autres cultes des dogmes, de la doctrine et du culte évangéliques : pour satisfaire toutes les classes de lecteurs, nous avons aussi touché de temps en temps la partie historique et mystique de la religion. Maintenant que le lecteur connoît le plan général de l'ouvrage, entrons dans l'examen des Dogmes et de la Doctrine; et, afin de passer aux mystères chrétiens, commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses.

CHAPITRE IL

DE LA NATURE DU MYSTÈRE.

Il n'est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. Les sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément la pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse, sont pleins de secrets. On diroit que les cœurs qui s'aiment s'entendent à demi-mot, et qu'ils ne sont que comme entr'ouverts. L'innocence, à son tour, qui n'est qu'une simple ignorance, n'est-elle pas le plus ineffable des mystères? L'enfance n'est si heureuse que parce qu'elle ne sait rien, la vieillesse si misérable que parce qu'elle sait tout; heureusement pour elle, quand les mystères de la vie finissent, ceux de la mort commencent.

S'il en est ainsi des sentiments, il en est ainsi des vertus : les plus angéliques sont celles qui, découlant immédiatement de Dieu, telles que la charité, aiment à se cacher au regard, comme leur source.

En passant aux rapports de l'esprit, nous trouvons que les plaisirs

de la pensée sont aussi des secrets. Le secret est d'une nature si divine, que les premiers hommes de l'Asie ne parloient que par symboles. A quelle science revient-on sans cesse? A celle qui laisse toujours quelque chose à deviner et qui fixe nos regards sur une perspective infinie. Si nous nous égarons dans le désert, une sorte d'instinct nous fait éviter les plaines, où tout est vu d'un coup d'œil; nous allons chercher ces forêts, berceau de la religion, ces forêts dont l'ombre, les bruits et le silence sont remplis de prodiges, ces solitudes où les corbeaux et les abeilles nourrissoient les premiers Pères de l'Église, et où ces saints hommes goûtoient tant de délices, qu'ils s'écrioient : « Seigneur, c'est assez : je mourrai de douceurs, si vous ne modérez ma joie! » Enfin, on ne s'arrête pas au pied d'un monument moderne dont l'origine est connue; mais que dans une île déserte, au milieu de l'Océan, on trouve tout à coup une statue de bronze dont le bras déployé montre les régions où le soleil se couche, et dont la base soit chargée d'hiéroglyphes et rongée par la mer et le temps, quelle source de méditation pour le voyageur! Tout est caché, tout est inconnu dans l'univers. L'homme lui-même n'est-il pas un étrange mystère? D'où part l'éclair que nous appelons existence, et dans quelle nuit va-t-il s'éteindre? L'Éternel a placé la Naissance et la Mort, sous la forme de deux fantômes voilés, aux deux bouts de notre carrière l'un produit l'inconcevable moment de notre vie, que l'autre s'empresse de dévorer.

Il n'est donc point étonnant, d'après le penchant de l'homme aux mystères, que les religions de tous les peuples aient eu leurs secrets impénétrables. Les Selles étudioient les paroles prodigieuses des colombes de Dodone; l'Inde, la Perse, l'Éthiopie, la Scythie, les Gaules, la Scandinavie, avoient leurs cavernes, leurs montagnes saintes, leurs chênes sacrés, où le brahmane, le mage, le gymnosophiste, le druide, prononçoient l'oracle inexplicable des Immortels.

A Dieu ne plaise que nous voulions comparer ces mystères aux mystères de la véritable religion, et les immuables profondeurs du Souverain qui est dans le ciel aux changeantes obscurités de ces dieux, ouvrage de la main des hommes'! Nous avons seulement voulu faire remarquer qu'il n'y a point de religion sans mystères; ce sont eux qui, avec le sacrifice, constituent essentiellement le culte Dieu même est le grand secret de la nature; la divinité étoit voilée en Égypte, et le sphinx s'asseyoit sur le seuil de ses temples.

1. Sap., cap. xili, v. 10.

CHAPITRE III.

DES MYSTÈRES CHRÉTIENS.

DE LA TRINITÉ.

On découvre au premier coup d'œil, dans la partie des mystères, un grand avantage de la religion chrétienne sur les religions de l'antiquité. Les mystères de celles-ci n'avoient aucun rapport avec l'homme, et ne formoient tout au plus qu'un sujet de réflexion pour le philosophe, ou de chants pour le poëte. Nos mystères, au contraire, s'adressent à nous; ils contiennent les secrets de notre nature. Il ne s'agit plus d'un futile arrangement de nombres, mais du salut et du bonheur du genre humain. L'homme qui sent si bien chaque jour son ignorance et sa foiblesse pourroit-il rejeter les mystères de JésusChrist? ce sont ceux des infortunés!

La Trinité, premier mystère des chrétiens, ouvre un champ immense d'études philosophiques, soit qu'on la considère dans les attributs de Dieu, soit qu'on recherche les vestiges de ce dogme autrefois répandu dans l'Orient. C'est une très-méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre. A partir des choses les plus simples dans la vie, il seroit aisé de prouver que nous ignorons tout : et nous voulons pénétrer dans les ruses de la Sagesse!

La Trinité fut peut-être connue des Égyptiens : l'inscription grecque du grand obélisque du Cirque majeur, à Rome, portoit :

Μέγας Θεός, le grand Dieu ; Θεογένητος, l' Engendré de Dieu, et Παμφεγγής le Tout-Brillant (Apollon, l'Esprit).

Héraclide de Pont et Porphyre rapportent un fameux oracle de Sérapis :

Πρῶτα Θεός, μετέπειτα λόγος, καὶ πνεῦμα σὺν αὐτοῖς.
Σύμφυτα δὴ τρία πάντα, καὶ εἰς ἓν ἐόντα.

....

Tout est Dieu dans l'origine; puis le Verbe et l'Esprit trois Dieux engendrés ensemble et se réunissant dans un seul.

Les Mages avoient une espèce de Trinité dans leur Métris, Oromasis et Araminis, ou Mitra, Oromase et Aramine.

Platon semble parler de ce dogme dans plusieurs endroits de ses ouvrages.

■ Non-seulement, dit Dacier, on prétend qu'il a connu le Verbe,

fils éternel de Dieu, on soutient même qu'il a connu le Saint-Esprit, et qu'ainsi il a eu quelque idée de la très-sainte Trinité, car il écrit au jeune Denys:

« Il faut que je déclare à Archèdėmus ce qui est beaucoup plus précieux et plus divin, et que vous avez grande envie de savoir, puisque vous me l'avez envoyé exprès : car, selon ce qu'il m'a dit, vous ne croyez pas que je vous aie suffisamment expliqué ce que je pense sur la nature du premier principe: il faut vous l'écrire par énigmes, afin que, si ma lettre est interceptée sur terre ou sur mer, celui qui la lira n'y puisse rien comprendre. Toutes choses sont autour de leur roi; elles sont à cause de lui, et il est seul la cause des bonnes choses, second pour les secondes, et troisième pour les troisièmes'. »>

« Dans l'Épinomis et ailleurs, il établit pour principe le premier bien, le Verbe ou l'entendement, et l'âme. Le premier bien, c'est Dieu;... le Verbe, ou l'entendement, c'est le fils de ce premier bien, qui l'a engendré semblable à lui; et l'âme, qui est le terme entre le Père et le Fils, c'est le Saint-Esprit 2. »>

Platon avoit emprunté cette doctrine de la Trinité de Timée de Locres, qui la tenoit lui-même de l'école italique. Marsile Ficin, dans une de ses remarques sur Platon, montre, d'après Jamblique, Porphyre, Platon et Maxime de Tyr, que les pythagoriciens connoissoient aussi l'excellence du Ternaire; Pythagore l'a même indiqué dans ce symbole :

Προτίμα τὸ σχῆμα, καὶ βῆμα, καὶ Τριώβολον.

Honorato in primis habitum, tribunal et Triobolum.

Aux Indes la Trinité est connue.

« Ce que j'ai vu de plus marqué et de plus étonnant dans ce genre, dit le père Calmette, c'est un texte tiré de Lamaastambam, l'un de leurs livres... Il commence ainsi : Le Seigneur, le bien, le grand Dieu; dans sa bouche est la parole. (Le terme dont ils se servent la personnifie.) Il parle ensuite du Saint-Esprit en ces termes: Ventu, seu Spiritus perfectus, et finit par la création, en l'attribuant à un seul Dieu3. »

Au Thibet.

« Voici ce que j'appris de la religion du Thibet: ils appellent Dieu Konciosa, et ils semblent avoir quelque idée de l'adorable Trinité : car tantôt ils le nomment Koncikocick, Dieu-un, et tantôt Koncioksum,

1. Voyez le Platon de SERRANUS, t. III, lettre II, p. 312. 2. OEuvres de Platon, traduites par DACIER, t. I, p. 194. 3. Lettres édifiantes, t. XIV, p. 9.

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