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Le culte de la Vierge et l'amour de Jésus-Christ pour les enfants prouvent assez que l'esprit du christianisme a une tendre sympathie avec le génie des mères. Ici nous proposons d'ouvrir un nouveau sentier à la critique; nous chercherons dans les sentiments d'une mère païenne, peinte par un auteur moderne, les traits chrétiens que cet auteur a pu répandre dans son tableau, sans s'en apercevoir lui-même. Pour démontrer l'influence d'une institution morale ou religieuse sur le cœur de l'homme, il n'est pas nécessaire que l'exemple rapporté soit pris à la racine même de cette institution : il suffit qu'il en décèle le génie : c'est ainsi que l'Élysée, dans le Telémaque, est visiblement un paradis chrétien.

Or, les sentiments les plus touchants de l'Andromaque de Racine émanent pour la plupart d'un poëte chrétien. L'Andromaque de l'Iliade est plus épouse que mère; celle d'Euripide a un caractère à la fois rampant et ambitieux, qui détruit le caractère maternel; celle de Virgile est tendre et triste, mais c'est moins encore la mère que l'épouse: la veuve d'Hector ne dit pas : Astyanax ubi est, mais: Hector ubi est.

L'Andromaque de Racine est plus sensible, plus intéressante que l'Andromaque antique. Ce vers si simple et si aimable:

Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui,

est le mot d'une femme chrétienne : cela n'est point dans le goût des Grecs, et encore moins des Romains. L'Andromaque d'Homère gémit sur les malheurs futurs d'Astyanax, mais elle songe à peine à lui dans le présent; la mère, sous notre culte, plus tendre, sans être moins prévoyante, oublie quelquefois ses chagrins, en donnant un baiser à son fils. Les anciens n'arrêtoient pas longtemps les yeux sur l'enfance; il semble qu'ils trouvoient quelque chose de trop naïf dans le langage du berceau. Il n'y a que le Dieu de l'Évangile qui ait osé nommer sans rougir les petits enfants' (parvuli), et qui les ait offerts en exemple aux hommes:

Et accipiens puerum, statuit eum in medio eorum : quem cum complexus esset, ait illis:

• Quisquis unum ex hujusmodi pueris receperit in nomine meo me recipit. »

le mot þáðauvec des Grecs) se dit d'une branches d'arbre, d'un bras de mer, d'une chaine de montagnes. Ce dernier sens est celui de l'hébreu, et la Vulgate le dit dans Jérémie, vox in excelso. 1. MATH., cap. xvi, v. 3.

Et ayant pris un petit enfant, il l'assit au milieu d'eux, et l'ayant embrassé, il leur dit:

• Quiconque reçoit en mon nom un petit enfant me reçoit1. »

Lorsque la veuve d'Hector dit à Céphise, dans Racine :

Qu'il ait de ses aieux un souvenir modeste :

Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste,

qui ne reconnoît la chrétienne? C'est le deposuit potentes de sede. L'antiquité ne parle pas de la sorte, car elle n'imite que les sentiments naturels: or, les sentiments exprimés dans ces vers de Racine ne sont point purement dans la nature; ils contredisent au contraire la voix du cœur. Hector ne conseille point à son fils d'avoir de ses aïeux un souvenir modeste; en élevant Astyanax vers le ciel, il s'écrie:

Ζεῦ, ἄλλοι τε θεοί, δότε δὴ καὶ τόνδε γενέσθαι,
Παῖδ ̓ ἐμόν, ὡς καὶ ἐγὼ περ ̓ ἀριπρεπέα Ηρώεσσιν.
ὧδε βίην τ' ἀγαθὸν τε καὶ ̓Ιλίου ἶφι ἀνάσσειν.

Καί ποτέ τις εἴπῃσι, α πατρὸς δ' όγε πολλὸν ἀμείνων, »

Εκ πολέμου ἀνιόντα, etc s.

«O Jupiter, et vous tous, dieux de l'Olympe, que mon fils règne, comme moi, sur Ilion; faites qu'il obtienne l'empire entre les guerriers; qu'en le voyant revenir chargé des dépouilles de l'ennemi, on s'écrie: Celui-ci est encore plus vaillant que son père! »

Énée dit à Ascagne :

Et te, animo repetentem exempla tuorum,
Et pater Æneas, et avunculus excitet Hector 3.

A la vérité l'Andromaque moderne s'exprime à peu près comme Virgile sur les aïeux d'Astyanax. Mais après ce vers:

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Or, de tels préceptes sont directement opposés au cri de l'orgueil : on y voit la nature corrigée, la nature plus belle, la nature évangélique. Cette humilité que le christianisme a répandue dans les sentiments, et qui a changé pour nous le rapport des passions, comme nous le dirons bientôt, perce à travers tout le rôle de la moderne Andromaque. Quand la veuve d'Hector, dans l'Iliade, se représente la destinée qui attend son fils, la peinture qu'elle fait de la future misère d'Astyanax a quelque chose de bas et de honteux; l'humilité, dans notre religion, est bien loin d'avoir un pareil langage: elle est aussi noble qu'elle est touchante. Le chrétien se soumet aux conditions les plus dures de la vie; mais on sent qu'il ne cède que par un principe de vertu, qu'il ne s'abaisse que sous la main de Dieu, et non sous celle des hommes; il conserve sa dignité dans les fers: fidèle à son maître sans lâcheté, il méprise des chaînes qu'il ne doit porter qu'un moment, et dont la mort viendra bientôt le délivrer; il n'estime les choses de la vie que comme des songes, et supporte sa condition sans se plaindre, parce que la liberté et la servitude, la prospérité et le malheur, le diadème et le bonnet de l'esclave, sont peu différents à ses yeux.

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Voltaire va nous fournir encore le modèle d'un autre caractère chrétien, le caractère du fils. Ce n'est ni le docile Télémaque avec Ulysse, ni le fougueux Achille avec Pélée : c'est un jeune homme passionné, dont la religion combat et subjugue les penchants.

Alzire, malgré le peu de vraisemblance des mœurs, est une tragédie fort attachante; on y plane au milieu de ces régions de la morale chrétienne, qui, s'élevant au-dessus de la morale vulgaire, est d'elle-même une divine poésie. La paix qui règne dans l'âme d'Alvarez n'est point la seule paix de la nature. Supposez que Nestor cherche à modérer les passions d'Antiloque, il citera d'abord des exemples de jeunes gens qui se sont perdus pour n'avoir pas voulu écouter leurs pères; puis, joignant à ces exemples quelques maximes connues sur l'indocilité de la jeunesse et sur l'expérience des vieillards, il couronnera ses remontrances par son propre éloge et par un regret sur les jours du vieux temps.

L'autorité qu'emploie Alvarez est d'une autre espece il met en

oubli son âge et son pouvoir paternel, pour ne parler qu'au nom de la religion. Il ne cherche pas à détorroer Guzman d'un crime particulier; il lui conseille une vertu générale, la charité, sorte 'humanité céleste, que le Fils de l'Homme a fait descendre sur la terre, et qui n'y habitoit point avant l'établissement du christianisme. Enfin Alvarez, commandant à son fils comme père, et lui obéissant comme sujet, est un de ces traits de haute morale, aussi supérieure à la morale des anciens que les Évangiles surpassent les dialogues de Platon pour l'enseignement des vertus.

Achille mutile son ennemi, et l'insulte après l'avoir abattu. Guzman est aussi fier que le fils de Pélée: percé de coups par la main de Zamore, expirant à la fleur de l'âge, perdant à la fois une épouse adorée et le commandement d'un vaste empire, voici l'arrêt qu'il prononce sur son rival et son meurtrier, triomphe éclatant de la religion et de l'exemple paternel sur un fils chrétien :

(A Alvarez.)

Le Ciel qui veut ma mort et qui l'a suspendue,
Mon père, en ce moment m'amène à votre vue.
Mon âme fugitive et prête à me quitter
S'arrête devant vous... mais pour vous imiter.

Je meurs; le voile tombe, un nouveau jour m'éclaire :

Je ne me suis connu qu'an kont de ma carrière.
J'ai fait jusqu'au moment qui me plonge au cercue:!
Gémir l'humanité du poids de mon orgueil.

Le Ciel venge la terre: il est juste, et ma vie
Ne peut payer le sang dont ma main s'est rougie.
Le bonheur m'aveugla, la mort m'a détrompé;
Je pardonne à la main par qui Dieu m'a frappé :
J'étois maître en ces lieux, seul j'y commande encore,
Seul je puis faire grâce, et la fais à Zamore.
Vis, superbe ennemi; sois libre, et te souvien
Quel fut et le devoir et la mort d'un chrétien.
(A Montèze, qui se jette à ses pieds.)
Montèze, Américains, qui fûtes mes victimes,
Songez que ma clémence a surpassé mes crimes;
Instruisez l'Amérique, apprenez à ses rois

Que les chrétiens sont nés pour leur donner des lois.

(A Zamore.)

Des dieux que nous servons connois la différence :

Les tiens t'ont commandé le meurtre et la vengeance,

1. Les anciens eux-mêmes doivent à leur culte le peu d'humanité qu'on remarque chez eux; l'hospitalité, le respect pour les suppliants et pour les malheureux tenoient à des idées religieuses. Pour que le misérable trouvât quelque pitié sur la terre, il falloit que Jupiters'en déclarât le protecteur; tant l'homme est féroce sans la religion!

Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner,
M'ordonne de te plaindre et de te pardonner.

A quelle religion appartiennent cette morale et cette mort? Il règne ici un idéal de vérité au-dessus de tout ideal poétique. Quand nous disons un idéal de vérité, ce n'est point une exagération; on sait que

ces vers:

Des dieux que nous servons connois la différence, etc.,

sont les paroles mêmes de François de Guise'. Quant au reste de la tirade. c'est la substance de la morale évangélique :

Je ne me suis connu qu'au bout de ma carrière.
J'ai fait jusqu'au moment qui me plonge au cercueil
Gémir l'humanité du poids de mon orgueil.

Un trait seul n'est pas chrétien dans ce morceau :

Instruisez l'Amérique, apprenez à ses rois

Que les chrétiens sont nés pour leur donner des lois.

Le poëte a voulu faire reparoître ici la nature et le caractère orgueilleux de Guzman : l'intention dramatique est heureuse; mais prise comme beauté absolue, le sentiment exprimé dans ce vers est bien petit, au milieu des hauts sentiments dont il est environné! Telle se montre toujours la pure nature auprès de la nature chrétienne. Voltaire est bien ingrat d'avoir calomnié un culte qui lui a fourni ses plus beaux titres à l'immortalité. Il auroit toujours dû se rappeler ce vers, qu'il avoit fait sans doute par un mouvement involontaire d'admiration:

Quoi donc ! les vrais chrétiens auroient tant de vertus!

Ajoutons tant de génie.

1. On ignore assez généralement que Voltaire ne s'est servi des paroles de François de Guise qu'en les empruntant d'un autre poëte: Rowe en avoit fait usage avant lui dans son Tamerlan, et l'auteur d'Alzire s'est contenté de traduire mot pour mot le tragique anglois :

Now learn the difference, 'wixt thy faith and mine...

Thine bids thee lift thy dagger to my throat;

Mine can forgive the wrong and bid thee live.

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