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Hébreux, prêt à couronner Joas, est saisi de l'esprit divin dans le temple de Jérusalem :

Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle!
Des prêtres, des enfants!... o Sagesse éternelle!
Mais si tu les soutiens, qui peat les ébranler?
Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous repeler;
Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites.
Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites,
Mais en ton nom, sur eux invoqué tant de fois,
En tes serments jurés au plus saint de leurs rois,
En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,

Et qui doit du soleil égaler la durée.

Mais d'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi?

Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi?

C'est lui-même : il m'échauffe; il parle; mes yeux s'ouvrent,

Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.

Cieux, écoutez ma voix; Terre, prête l'oreille :
Ne dis plus, o Jacob! que ton Seigneur sommeille;
Pécheurs, disparoissez, le Seigneur se réveille.

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé?
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé...
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide,

Des prophètes divins malheureuse homicide!

De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé;

Ton encens à ses yeux est un encens souillé...

. . . . Où menez-vous ces enfants et ces femmes?

Le Seigneur a détruit la reine des cités;

Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés:
Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités.
Temple, renverse-toi; cèdres, jetez des flammes.
Jérusalem, objet de ma douleur,

Quelle main en un jour t'a ravi tous tes charmes?
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes,
Pour pleurer ton malheur?

Il n'est pas besoin de commentaire.

Puisque Virgile et Racine reviennent si souvent dans notre critique, tâchons de nous faire une idée juste de leur talent et de leur génie. Ces deux grands poëtes ont tant de ressemblance, qu'ils pourroient tromper jusqu'aux yeux de la muse, comme ces jumeaux de l'Eneide qui causoient de douces méprises à leur mère.

Tous deux polissent leurs ouvrages avec le même soin, tous deux sont pleins de goût, tous deux hardis, et pourtant naturels dans l'expression, tous deux sublimes dans la peinture de l'amour; et, comme s'ils s'étoient suivis pas à pas, Racine fait entendre dans Esther je ne sais

quelle suave mélodie dont Virgile a pareillement rempli sa seconde égiogue, mais toutefois avec la différence qui se trouve entre la voix de la jeune fille et celle de l'adolescent, entre les soupirs de l'innocence et ceux d'une passion criminelle.

Voilà peut-être en quoi Virgile et Racine se ressemblent : voici peutêtre en quoi ils diffèrent.

Le second est en général supérieur au premier dans l'invention des caractères : Agamemnon, Achille, Oreste, Mithridate, Acomat, sont fort au-dessus des héros de l'Énėide. Énée et Turnus ne sont beaux que dans deux ou trois moments; Mézence seul est fièrement dessiné. Cependant, dans les peintures douces et tendres, Virgile retrouve son génie Évandre, ce vieux roi d'Arcadie qui vit sous le chaume et que défendent deux chiens de berger, au même lieu où les Césars, entourés de prétoriens, habiteront un jour leurs palais; le jeune Pallas, le beau Lausus, Nisus et Euryale, sont des personnages divins.

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Dans les caractères de femmes, Racine reprend la supériorité : Agrippine est plus ambitieuse qu'Amate, Phèdre plus passionnée que Didon.

Nous ne parlons point d'Athalie, parce que Racine dans cette pièce ne peut être comparé à personne : c'est l'œuvre le plus parfait du génie inspiré par la religion.

Mais, d'un autre côté, Virgile a pour certains lecteurs un avantage sur Racine sa voix, si nous osons nous exprimer ainsi, est plus gémissante et sa lyre plus plaintive. Ce n'est pas que l'auteur de Phèdre n'eût été capable de trouver cette sorte de mélodie des soupirs; le rôle d'Andromaque, Bérénice tout entière, quelques stances des cantiques imités de l'Écriture, plusieurs strophes des chœurs d'Esther et d'Athalie, montrent ce qu'il auroit pu faire dans ce genre; mais il vécut trop à la ville, pas assez dans la solitude. La cour de Louis XIV en lui donnant la majesté des formes et en épurant son langage lui fut peut-être nuisible sous d'autres rapports: elle l'éloigna trop des champs et de la nature.

Nous avons déjà remarqué qu'une des premières causes de la mélancolie de Virgile fut sans doute le sentiment des malheurs qu'il éprouva dans sa jeunesse. Chassé du toit paternel, il garda toujours le souvenir de sa Mantoue; mais ce n'étoit plus le Romain de la république, aimant son pays à la manière dure et âpre des Brutus : c'étoit le Romain de la monarchie d'Auguste, le rival d'Homère et le nourrisson des Muses.

1. Part. 1re, liv. v, avant-dernier chapitre.

Virgile cultiva ce genre de tristesse en vivant seul au milieu des bois. Peut-être faut-il encore ajouter à cela des accidents particuliers. Nos défauts moraux ou physiques influent beaucoup sur notre humeur, et sont souvent la cause du tour particulier que prend notre caractère. Virgile avoit une difficulté de prononciation'; il étoit foible de corps, rustique d'apparence. Il semble avoir eu dans sa jeunesse des passions vives, auxquelles ces imperfections naturelles purent mettre des obstacles. Ainsi des chagrins de famille, le goût des champs, un amour-propre en souffrance et des passions non satisfaites s'unirent pour lui donner cette rêverie qui nous charme dans ses écrits.

On ne trouve point dans Racine le diis aliter visum, le dulces moriens reminiscitur Argos, le Disce, puer, virtutem ex me fortunam ex aliis, le Lyrnessi domus alta: sola Laurente sepulcrum. Il n'est peutêtre pas inutile d'observer que ces mots attendrissants se trouvent presque tous dans les six derniers livres de l'Eneide, ainsi que les épisodes d'Évandre et de Pallas, de Mézence et de Lausus, de Nisus et d'Euryale. Il semble qu'en approchant du tombeau le Cygne de Mantoue mit dans ses accents quelque chose de plus céleste, comme les cygnes de l'Eurotas, consacrés aux Muses, qui avant d'expirer avoient, selon Pythagore, une vision de l'Olympe, et témoignoient leur ravissement par des chants hormonieux.

Virgile est l'ami du solitaire, le compagnon des heures secrètes de la vie. Racine est peut-être au-dessus du poëte latin, parce qu'il a fait Athalie; mais le dernier a quelque chose qui remue plus doucement le cœur. On admire plus l'un, on aime plus l'autre; le premier a des douleurs trop royales, le second parle davantage à tous les rangs de la société. En parcourant les tableaux des vicissitudes humaines tracés par Racine, on croit errer dans les parcs abandonnés de Versailles : ils sont vastes et tristes, mais à travers leur solitude on distingue la main régulière des arts et les vestiges des grandeurs :

Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes,
Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes.

Les tableaux de Virgile, sans être moins nobles, ne sont pas hornés à de certaines perspectives de la vie; ils représentent toute la nature: ce sont les profondeurs des forêts, l'aspect dus montagnes, les rivages

1. Sermone tardissimum ac pene indocto similem... Facie rusticana, etc. DONAT., de P. Virgilii Maronis Vita.

de la mer, où des femmes exilées regardent, en pleurant. l'immensité des flots:

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Les siècles héroïques sont favorables à la poésie, parce qu'ils ont cette vieillesse et cette incertitude de tradition que demandent les Muses, naturellement un peu menteuses. Nous voyons chaque jour se passer sous nos yeux des choses extraordinaires sans y prendre aucun intérêt; mais nous aimons à entendre raconter des faits obscurs qui sont déjà loin de nous. C'est qu'au fond les plus grands événements de la terre sont petits en eux-mêmes: notre âme, qui sent ce vice des affaires humaines, et qui tend sans cesse à l'immensité, tâche de ne les voir que dans le vague pour les agrandir.

Or, l'esprit des siècles héroïques se forme du mélange d'un état civil encore grossier et d'un état religieux porté à son plus haut point d'influence. La barbarie et le polythéisme ont produit les héros d'Homère; la barbarie et le christianisme ont enfanté les chevaliers du Tasse.

Qui des héros ou des chevaliers méritent la préférence, soit en morale, soit en poésie? C'est ce qu'il convient d'examiner.

En faisant abstraction du génie particulier des deux poêtes et ne comparant qu'homme à homme, il nous semble que les personnages de la Jérusalem sont supérieurs à ceux de l'Iliade.

Quelle différence en effet entre les chevaliers si francs, si désintéressés, si humains, et des guerriers perfides, avares, cruels, insultant aux cadavres de leurs ennemis, poétiques enfin par leurs vices, comme les premiers le sont par leurs vertus!

Si par héroïsme on entend un effort contre les passions en faveur de la vertu, c'est sans doute Godefroi, et non pas Agamemnon, qui est le véritable héros. Or, nous demandons pourquoi le Tasse en peignant des chevaliers a tracé le modèle du parfait guerrier, tandis qu'Homère en représentant les hommes des temps héroïques n'a fait que des espèces de monstres? C'est que le christianisme a fourni dès sa naissance le beau idéal moral ou le beau idéal des caractères, et que le polythéisme n'a pu donner cet avantage au chantre d'Ilion. Nous arrê

terons un peu le lecteur sur ce sujet : il importe trop au fond de notre ouvrage pour hésiter à le mettre dans tout son jour.

Il y a deux sortes de beau ideal: le beau idéal moral, et le beau idéal physique: l'un et l'autre sont nés de la société.

L'homme très-près de la nature, tel que le sauvage, ne le connoît pas; il se contente, dans ses chansons, de rendre fidèlement ce qu'il voit. Comme il vit au milieu des déserts, ses tableaux sont nobles et simples; on n'y trouve point de mauvais goût, mais aussi ils sont monotones, et les actions qu'ils expriment ne vont pas jusqu'à l'héroïsme.

Le siècle d'Homère s'éloignoit déjà de ces premiers temps. Qu'un Canadien perce un chevreuil de ses flèches, qu'il le dépouille au milieu des forêts, qu'il étende la victime sur les charbons d'un chêne embrasé : tout est poétique dans ces mœurs. Mais dans la tente d'Achille il y a déjà des bassins, des broches, des vases; quelques détails de plus, et Homère tomboit dans la bassesse des descriptions, ou bien il entroit dans la route du beau idéal en commençant à cacher quelque chose.

Ainsi, à mesure que la société multiplia les besoins de la vie, les poëtes apprirent qu'il ne falloit plus, comme par le passé, peindre tout aux yeux, mais voiler certaines parties du tableau.

Ce premier pas fait, ils virent encore qu'il falloit choisir, ensuite que la chose choisie étoit susceptible d'une forme plus belle, ou d'un plus bel effet dans telle ou telle position.

Toujours cachant et choisissant, retranchant ou ajoutant, ils se trouvèrent peu à peu dans des formes qui n'étoient plus naturelles, mais qui étoient plus parfaites que la nature les artistes appelèrent ces formes le beau idéal.

On peut donc définir le beau idéal l'art de choisir et de cacher.

Cette définition s'applique également au beau idéal moral et au beau idéal physique. Celui-ci se forme en cachant avec adresse la partie infirme des objets; l'autre, en dérobant à la vue certains côtés foibles de l'âme : l'âme a ses besoins honteux et ses bassesses comme le corps.

Et nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu'il n'y a que l'homme qui soit susceptible d'être représenté plus parfait que nature et comme approchant de la Divinité. On ne s'avise pas de peindre le beau idéal d'un cheval, d'un aigle, d'un lion. Ceci nous fait entrevoir une preuve merveilleuse de la grandeur de nos fins et de l'immortalité de notre âme.

La société où la morale parvint le plus tôt à son développement dut atteindre le plus vite au beau idéal moral, ou, ce qui revient au même, au beau idéal des caractères: or, c'est ce qui distingue éminemment

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