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les sociétés formées dans la religion chrétienne. Il est étrange, et cependant rigoureusement vrai, que tandis que nos pères étoient des barbares pour tout le reste, la morale, au moyen de l'Évangile, s'étoit élevée chez eux à son dernier point de perfection: de sorte que l'on vit des hommes, si nous osons parler ainsi, à la fois sauvages par le corps et civilisés par l'âme.

C'est ce qui fait la beauté des temps chevaleresques, et ce qui leur donne la supériorité tant sur les siècles héroïques que sur les siècles tout à fait modernes.

Car si vous entreprenez de peindre les premiers âges de la Grèce, autant la simplicité des mœurs vous offrira des choses agréables, autant la barbarie des caractères vous choquera; le polythéisme ne fournit rien pour changer la nature sauvage et l'insuffisance des vertus primitives.

Si au contraire vous chantez l'âge moderne, vous serez obligé de bannir la vérité de votre ouvrage et de vous jeter à la fois dans le beau idéal moral et dans le beau idéal physique. Trop loin de la nature et de la religion sous tous les rapports, on ne peut représenter fidèlement l'intérieur de nos ménages, et moins encore le fond de nos cœurs.

La chevalerie seule offre le beau mélange de la vérité et de la fiction. D'une part, vous pouvez offrir le tableau des mœurs dans toute sa naïveté : un vieux château, un large foyer, des tournois, des joutes, des chasses, le son du cor, le bruit des armes, n'ont rien qui heurte le goût, rien qu'on doive ou choisir ou cacher.

Et, d'un autre côté, le poëte chrétien, plus heureux qu'Homère, n'est point forcé de ternir sa peinture en y plaçant l'homme barbare ou l'homme naturel : le christianisme lui donne le parfait héros.

Ainsi, tandis que le Tasse est dans la nature relativement aux objets physiques, il est au-dessus de cette nature par rapport aux objets

moraux.

Or, le vrai et l'idéal sont les deux sources de l'intérêt poétique : le touchant et le merveilleux.

CHAPITRE XII.

SUITE DU GUERRIER.

Montrons à présent que ces vertus du chevalier, qui élèvent son caractère jusqu'au beau idéal, sont des vertus véritablement chré

tiennes.

Si elles n'étoient que de simples vertus morales imaginées par le poëte, elles seroient sans mouvement et sans ressort. On en peut juger par Énée, dont Virgile a fait un héros philosophe.

Les vertus purement morales sont froides par essence: ce n'est pas quelque chose d'ajouté à l'âme, c'est quelque chose de retranché de la nature; c'est l'absence du vice plutôt que la présence de la vertu.

Les vertus religieuses ont des ailes, elles sont passionnées. Non contentes de s'abstenir du mal, elles veulent faire le bien : elles ont l'activité de l'amour, et se tiennent dans une région supérieure et un peu exagérée. Telles étoient les vertus des chevaliers.

La foi ou la fidélité étoit leur première vertu ; la fidélité est pareillement la première vertu du christianisme.

Le chevalier ne mentoit jamais. - Voilà le chrétien.

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Le chevalier étoit pauvre et le olus désintéressé des hommes. Voilà le disciple de l'Évangile.

Le chevalier s'en alloit à travers le monde, secourant la veuve et l'orphelin. Voilà la charité de Jésus-Christ.

Le chevalier étoit tendre et délicat. Qui lui auroit donné cette douceur, si ce n'étoit une religion humaine qui porte toujours au respect pour la foiblesse? Avec quelle bénignité Jésus-Christ lui-même ne parle-t-il pas aux femmes dans l'Évangile !

Agamemnon déclare brutalement qu'il aime autant Briséis que son épouse, parce qu'elle fait d'aussi beaux ouvrages.

Un chevalier ne parle pas ainsi.

Enfin le christianisme a produit l'honneur ou la bravoure des héros modernes, si supérieure à celle des héros antiques.

La véritable religion nous enseigne que ce n'est pas par la force du corps que l'homme se doit mesurer, mais par la grandeur de l'âme. D'où il résulte que la plus foible des chevaliers ne tremble jamais devant un ennemi; et, fût-il certain de recevoir la mort, il n'a pas même la pensée de la fuite.

Cette haute valeur est devenue si commune, que le moindre de nos fantassins est plus courageux que les Ajax, qui fuyoient devant Hector, qui fuyoit à son tour devant Achille. Quant à la clémence du chevalier chrétien envers les vaincus, qui peut nier qu'elle découle du christianisme?

Les poëtes modernes ont tiré une foule de traits nouveaux du caractère chevaleresque. Dans la tragédie il suffit de nommer Bayard, Tancrède, Nemours, Couci; Nérestan apporte la rançon de ses frères d'armes, et se vient rendre prisonnier parce qu'il ne peut satisfaire à la somme nécessaire pour se racheter lui-même. Les belles mœurs

chrétiennes! Et qu'on ne dise pas que c'est une pure invention poétique : il y a cent exemples de chrétiens qui se sont remis entre les mains des Infidèles ou pour délivrer d'autres chrétiens, ou parce qu'ils ne pouvoient compter l'argent qu'ils avoient promis.

On sait combien le caractère chevaleresque est favorable à l'épopée. Qu'ils sont aimables, tous ces chevaliers de la Jérusalem, ce Renaud si brillant, ce Tancrède si généreux, ce vieux Raymond de Toulouse, toujours abattu et toujours relevé! On est avec eux sous les murs de Solyme; on croit entendre le jeune Bouillon s'écrier, au sujet d'Armide : « Que dira-t-on à la cour de France quand on saura que nous avons refusé notre bras à la beauté? » Pour juger de la différence qui se trouve entre les héros d'Homère et ceux du Tasse, il suffit de jeter les yeux sur le camp de Godefroi et sur les remparts de Sion. D'un côté sont les chevaliers, et de l'autre les héros antiques. Soliman même n'a tant d'éclat que parce que le poëte lui a donné quelques traits de la générosité du chevalier : ainsi le principal héros infidèle emprunte lui-même sa majesté du christianisme.

Mais c'est dans Godefroi qu'il faut admirer le chef-d'œuvre du caractère héroïque. Si Énée veut échapper à la séduction d'une femme, il tient les yeux baissés : Immota tenebat lumina; il cache son trouble; il répond des choses vagues : « Reine, je ne nie point tes bontés, je me souviendrai d'Élise, » Meminisse Elisa.

Ce n'est pas de cet air que le capitaine chrétien repousse les adresses d'Armide il résiste, car il connoît les fragiles appas du monde; il continue son vol vers le ciel, comme l'oiseau rassasiè qui ne s'abat point où une nourriture trompeuse l'appelle.

Qual saturo augel, che non si cali

Ove il cibo mostrando altri l'invita

Faut-il combattre, délibérer, apaiser une sédition, Bouillon est partout grand, partout auguste. Ulysse frappe Thersite de son sceptre (σκήπτρῳ δὲ μετάφρενον, ἠδὲ καὶ ὤμῳ πλῆξεν), et arrête les Grecs prets a rentrer dans leurs vaisseaux : ces mœurs sont naïves et pittoresques. Mais voyez Godefroi se montrant seul à un camp furieux qui l'accuse d'avoir fait assassiner un héros. Quelle beauté noble et touchante dans la prière de ce capitaine plein de la conscience de sa vertu! comme cette prière fait ensuite éclater l'intrépidité du général, qui désarmé et tête nue se présente à une soldatesque effrénée!

Au combat, une sainte et majestueuse valeur, inconnue aux guerriers d'Homère et de Virgile, anime le guerrier chrétien. Énée, couvert

de ses armes divines, et debout sur la poupe de sa galère, qui approche du rivage rutule, est dans une attitude héroïque; Agamemnon, semblable au Jupiter foudroyant, présente une image pleine de grandeur: cependant Godetroi n'est inférieur ni au père des Césars ni au chef des Atrides, dans le dernier chant de la Jérusalem.

Le soleil vient de se lever; les armées sont en présence, les bannières se déroulent aux vents, les plumes flottent sur les casques; les habits, les franges, les harnois, les armes, les couleurs, l'or et le fer étincellent aux premiers feux du jour. Monté sur un coursier rapide, Godefroi parcourt les rangs de son armée; il parle, et son discours est un modèle d'éloquence guerrière. Sa tête rayonne, son visage brille d'un éclat inconnu, l'ange de la victoire le couvre invisiblement de ses ailes. Bientôt il se fait un profond silence; les légions se prosternent en adorant celui qui fit tomber Goliath par la main d'un jeune berger. Soudain la trompette sonne, les soldats chrétiens se relèvent, et, pleins de la fureur du Dieu des armées, ils se précipitent sur les bataillons ennemis.

11.

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LIVRE TROISIÈME.

SUITE DE LA POESIE

DANS SES RAPPORTS AVEC LES HOMMES. PASSIONS

CHAPITRE PREMIER.

QUE LE CHRISTIANISME A CHANGÉ LES RAPPORTS DES PASSIONS EN CHANGEANT LES BASES DU VICE ET DE LA VERTU.

De l'examen des caractères nous venon? à celui des passions. On sent qu'en traitant des premiers il nous a été impossible de ne pas toucher un peu aux secondes, mais ici nous nous proposons d'en parler plus amplement.

S'il existoit une religion qui s'occupât sans cesse de mettre un frein aux passions de l'homme, cette religion augmenteroit nécessairement le jeu des passions dans le drame et dans l'épopée; elle seroit plus favorable à la peinture des sentiments que toute institution religieuse qui, ne connoissant point des délits du cœur, n'agiroit sur nous que par des scènes extérieures. Or, c'est ici le grand avantage de notre culte sur les cultes de l'antiquité: la religion chrétienne est un vent céleste qui enfle les voiles de la vertu et multiplie les orages de la conscience autour du vice.

Les bases de la morale ont changé parmi les hommes, du moins parmi les hommes chrétiens, depuis la prédication de l'Évangile. Chez les anciens, par exemple, l'humilité passoit pour bassesse, et l'orgueil pour grandeur; chez les chrétiens, au contraire, l'orgueil est le premier des vices, et l'humilité une des premières vertus. Cette seule transmutation de principes montre la nature humaine sous un jour nouveau, et nous devons découvrir dans les passions des rapports que les anciens n'y voyoient pas.

Donc pour nous la racine du mal est la vanité, et la racine du bien la charité, de sorte que les passions vicieuses sont toujours un composé d'orgueil, et les passions vertueuses un composé d'amour.

Faites l'application de ce principe, vous en reconnoîtrez la justesse

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