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retomboit ici dans la religion naturelle. Ce que le voyageur tremblant adoroit en passant dans ces solitudes étoit quelque chose d'ignoré, quelque chose dont il ne savoit point le nom, et qu'il appeloit la divinité du lieu; quelquefois il lui donnoit le nom de Pan, et Pan étoit le Dieu universel. Ces grandes émotions qu'inspire la nature sauvage n'ont point cessé d'exister, et les bois conservent encore pour nous leur formidable divinité.

Enfin, il est si vrai que l'allégorie physique, ou les dieux de la fable, détruisoient les charmes de la nature, que les anciens n'ont point eu de vrais peintres de paysage', par la même raison qu'ils n'avoient point de poésie descriptive. Or, chez les autres peuples idolâtres qui ont ignoré le système mythologique cette poésie a plus ou moins été connue; c'est ce que prouvent les poëmes sanskrits, les contes arabes, les Edda, les chansons des nègres et des sauvages2. Mais comme les nations infidèles ont toujours mêlé leur fausse religion (et par conséquent leur mauvais goût) à leurs ouvrages, ce n'est que sous le christianisme qu'on a su peindre la nature dans sa vérité.

CHAPITRE III.

PARTIE HISTORIQUE DE LA POÉSIE DESCRIPTIVE
CHEZ LES MODERNES.

Les Apôtres avoient à peine commencé de prêcher l'Évangile au monde, qu'on vit naître la poésie descriptive. Tout rentra dans la vérité devant celui qui tient la place de la vérité sur la terre, comme parle saint Augustin. La nature cessa de se faire entendre par l'organe mensonger des idoles; on connut ses fins, on sut qu'elle avoit été faite premièrement pour Dieu, et ensuite pour l'homme. En effet, elle ne dit jamais que deux choses: Dieu glorifié par ses œuvres, et les besoins de l'homme satisfaits.

Cette découverte fit changer de face à la création; par sa partie intellectuelle, c'est-à-dire par cette pensée de Dieu que la nature montre de toutes parts, l'âme reçut abondance de nourriture; et par a partie matérielle du monde le corps s'aperçut que tout avoit été formé pour lui. Les vains simulacres attachés aux êtres insensibles s'évanouirent, et les rochers furent bien plus réellement animés, les

1. Les faits sur lesquels cette assertion est appuyée sont développés dans la note XXII, à la fin du volume. 2. Voyez la note XVII, à la fin du volume.

chénes rendirent des oracles bien plus certains, les vents et les ondes élevèrent des voix bien plus touchantes, quand l'homme eut puisé dans son propre cœur la vie, les oracles et les voix de la nature.

Jusqu'à ce moment la solitude avoit été regardée comme affreuse; mais les chrétiens lui trouvèrent mille charmes. Les anachorètes écrivirent de la douceur du rocher et des délices de la contemplation : c'est le premier pas de la poésie descriptive. Les religieux qui publièrent la vie des Pères du désert furent à leur tour obligés de faire le tableau des retraites où ces illustres inconnus avoient caché leur gloire. On voit encore dans les ouvrages de saint Jérôme et de saint Athanase' des descriptions de la nature qui prouvent qu'ils savoient observer et faire aimer ce qu'ils peignoient.

Ce nouveau genre, introduit par le christianisme dans la littérature, se développa rapidement. Il se répandit jusque dans le style historique, comme on le remarque dans la collection appelée la Byzantine, et surtout dans les histoires de Procope. Il se propagea de même, mais il se corrompit, parmi les romanciers grecs du Bas-Empire et chez quelques poëtes latins en Occident".

Constantinople ayant passé sous le joug des Turcs, on vit se former en Italie une nouvelle poésie descriptive, composée des débris du génie maure, grec et italien. Pétrarque, l'Arioste et le Tasse l'élevèrent à un haut degré de perfection; mais cette description manque de vérité : elle consiste en quelques épithètes répétées sans fin, et toujours appliquées de la même manière. Il fut impossible de sortir d'un bois touffu, d'un antre frais ou des bords d'une claire fontaine. Tout se remplit de bocages d'orangers, de berceaux de jasmins et de buissons de roses.

Flore revint avec sa corbeille, et les éternels Zéphyrs ne manquèrent pas de l'accompagner; mais ils ne retrouvèrent dans les bois ni les naïades, ni les faunes; et s'ils n'eussent rencontré les fées et les géants des Maures, ils couroient risque de se perdre dans cette immense solitude de la nature chrétienne. Quand l'esprit humain fait un pas, il faut que tout marche avec lui; tout change avec ses clartés ou ses ombres : ainsi il nous fait peine à présent d'admettre de petites divinités là où nous ne voyons plus que de grands espaces. On aura beau placer l'amante de Tithon sur un char et la couvrir de fleurs et de rosée, rien ne peut empêcher qu'elle ne paroisse disproportionnée en promenant sa foible lumière dans ces cieux infinis que le christianisme a déroulés qu'elle laisse donc le soin d'éclairer le monde à celui qui l'a fait.

1. HIERON., in Vit. Paul., S. ATHAN., in Vit. Anton.

2. BOECE, etc.

Cette poésie descriptive italienne passa en France, et fut favorablement accueillie de Ronsard, de Lemoine, de Coras, de Saint-Amand et de nos vieux romanciers. Mais les grands écrivains du siècle de Louis XIV, dégoûtés de ces peintures, où ils ne voyoient aucune vérité, les bannirent de leur prose et de leurs vers, et c'est un des caractères distinctifs de leurs ouvrages, qu'on n'y trouve presque aucune trace de ce que nous appelons poésie descriptive'.

Ainsi repoussée en France, la muse des champs se réfugia en Angleterre, où Spencer, Waller et Milton l'avoient déjà fait connoître. Elle y perdit par degrés ses manières affectées, mais elle tomba dans un autre excès. En ne peignant plus que la vraie nature, elle voulut tout peindre, et surchargea ses tableaux d'objets trop petits ou de circonstances bizarres. Thomson même, dans son chant de l'Hiver, si supérieur aux trois autres, a des détails d'une mortelle longueur. Telle fut la seconde époque de la poésie descriptive.

D'Angleterre elle revint en France avec les ouvrages de Pope et du chantre des Saisons. Elle eut de la peine à s'y introduire, car elle fut combattue par l'ancien genre italique, que Dorat et quelques autres avoient fait revivre : elle triompha pourtant, et ce fut à Delille et à Saint-Lambert qu'elle dut la victoire. Elle se perfectionna sous la muse françoise, se soumit aux règles du goût, et atteignit sa troisième époque.

Disons toutefois qu'elle s'étoit maintenue pure, quoique ignorée, dans les ouvrages de quelques naturalistes du temps de Louis XIV, tels que Tournefort et le père Dutertre. Celui-ci à une imagination vive joint un génie tendre et rêveur; il se sert même, ainsi que La Fontaine, du mot de mélancolie dans le sens où nous l'employons aujourd'hui. Ainsi le siècle de Louis XIV n'a pas été totalement privé du véritable genre descriptif, comme on seroit d'abord tenté de le croire; il étoit seulement relégué dans les lettres de nos missionnaires 2. E. c'est là que nous avons puisé cette espèce de style que nous croyons si nouveau aujourd'hui.

Au reste, les tableaux répandus dans la Bible peuvent servir à prou · ver doublement que la poésie descriptive est née parmi nous du christianisme. Job, les prophètes, l'Ecclésiastique, et surtout les Psaumes, sont remplis de descriptions magnifiques. Le Psaume Benedic, anima mea, est un chef-d'œuvre dans ce genre.

1. Il faut en excepter Fénelon, La Fontaine et Chaulieu. Racine fils, père de cette nouvelle école poétique, dans laquelle M. Delille a excellé, peut être aussi regardé comme le fondateur de la poésie descriptive en France.

2 On en verra de beaux exemples lorsque nous parlerons des Missions.

Mon âme, bénis le Seigneur; Seigneur, mon Dieu, que vous êtes grand dans vos œuvres !

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Vous répandez les ténèbres, et la nuit est sur la terre : c'est alors que les bêtes des forêts marchent dans l'ombre, que les rugissements des lionceaux appellent la proie et demandent à Dieu la nourriture promise aux animaux. Mais le soleil s'est levé, et déjà les bêtes sauvages se sont retirées. . L'homme alors sort pour le travail du jour, et accomplit son œuvre jusqu'au soir..

Comme elle est vaste, cette mer qui étend au loin ses bras spacieux ! Des animaux sans nombre se meuvent dans son sein, les plus petits avec les plus grands, et les vaisseaux passent sur ses ondes.1

Horace et Pindare sont restés bien loin de cette poésie.

Nous avons donc eu raison de dire que c'est au christianisme que Bernardin de Saint-Pierre doit son talent pour peindre les scènes de la solitude: il le lui doit parce que nos dogmes, en détruisant les divinités mythologiques, ont rendu la vérité et la majesté au désert; il le lui doit parce qu'il a trouvé dans le système de Moïse le véritable système de la nature.

Mais ici se présente un autre avantage du poëte chrétien : si sa religion lui donne une nature solitaire, il peut avoir encore une nature habitée. Il est le maître de placer des anges à la garde des forêts, aux cataractes de l'abîme, ou de leur confier les soleils et les mondes. Ceci nous ramène aux êtres surnaturels ou au merveilleux du christianisme.

CHAPITRE IV.

SI LES DIVINITÉS DU PAGANISME ONT POÉTIQUEMENT
LA SUPÉRIORITÉ SUR LES DIVINITÉS CHRÉTIENNES

Toute chose a deux faces. Des personnes impartiales pourront nous dire « On vous accorde que le christianisme a fourni, quant aux hommes, une partie dramatique qui manquoit à la mythologie; que de plus il a produit la véritable poésie descriptive. Voilà deux avantages que nous reconnoissons, et qui peuvent à quelques égards justifier vos principes et balancer les beautés de la fable. Mais à présent, si vous êtes de bonne foi, vous devez convenir que les divinités du paga

1. Psautier françois, p. 140, in-8°; traduction de La Harpe.

nisme, lorsqu'elles agissent directement et pour elles-mêmes, sont plus poétiques et plus dramatiques que les divinités chrétiennes. >>

On pourroit en juger ainsi à la première vue. Les dieux des anciens partageant nos vices et nos vertus, ayant comme nous des corps sujets à la douleur, des passions irritables comme les nôtres, se mêlant à la race humaine et laissant ici-bas une mortelle postérité, ces dieux re sont qu'une espèce d'hommes supérieurs, qu'on est libre de faire agir comme les autres hommes. On seroit donc porté à croire qu'ils fournissent plus de ressources à la poésie que les divinités incorporelles et impassibles du christianisme; mais en y regardant de plus près on trouve que cette supériorité dramatique se réduit à peu de chose.

Premièrement, il y a toujours eu dans toute religion, pour le poëte et le philosophe, deux espèces de déités. Ainsi l'Être abstrait dont Tertullien et saint Augustin ont fait de si belles peintures n'est pas le Jehovah de David ou d'Isaïe; l'un et l'autre sont fort supérieurs au Theos de Platon et au Jupiter d'Homère. Il n'est donc pas rigoureusement vrai que les divinités poétiques des chrétiens soient privées de toute passion. Le Dieu de l'Écriture se repent, il est jaloux, il aime, il hait; sa colère monte comme un tourbillon; le Fils de l'Homme a pitié de nos souffrances; la Vierge, les saints et les anges sont émus par le spectacle de nos misères; en général le Paradis est beaucoup plus occupé des hommes que l'Olympe.

Il y a donc des passions chez nos puissances célestes, et ces passions ont cet avantage sur les passions des dieux du paganisme, qu'elles n'entraînent jamais après elles une idée de désordre et de mal. C'est une chose miraculeuse, sans doute, qu'en peignant la colère ou la tristesse du ciel chrétien, on ne puisse détruire dans l'imagination du lecteur le sentiment de la tranquillité et de la joie tant il y a de sainteté et de justice dans le Dieu présenté par notre religion!

Ce n'est pas tout; car si l'on vouloit absolument que le Dieu des corétiens fût un être impassible, on pourroit encore avoir des divinités passionnées aussi dramatiques et aussi méchantes que celles des anciens l'enfer rassemble toutes les passions des hommes. Notre système théologique nous paroît plus beau, plus régulier, plus savant que la doctrine fabuleuse qui confondoit hommes, dieux et démons. Le poëte trouve dans notre ciel des êtres parfaits, mais sensibles, et disposés dans une brillante hiérarchie d'amour et de pouvoir; l'abîme garde ses dieux passionnés et puissants dans le mal comme les dieux mythologiques; les hommes occupent le milieu, touchant au ciel par leurs vertus, aux enfers par leurs vices; aimés des anges, haïs des

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