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« amour, pour marquer que, pléins d'amour pour Dieu, les héros ne « cherchent qu'à nous aider à passer de cette vie terrestre à une vie « divine et à devenir citoyens du ciel'. » Les Pères de l'Église appellent à leur tour les saints des héros : c'est ainsi qu'ils disent que le baptême est le sacerdoce des laïques, et qu'il fait de tous les chrétiens des rois et des prêtres de Dieu3.

Et sans doute ce sont des héros, ces martyrs, qui, domptant les passions de leur cœur et bravant la méchanceté des hommes, ont mérité par ces travaux de monter au rang des puissances célestes. Sous le polythéisme, des sophistes ont paru quelquefois plus moraux que la religion de leur patrie: mais parmi nous jamais un philosophe, si sage qu'il ait été, n'a pu s'élever au-dessus de la morale chrétienne. Tandis que Socrate honoroit la mémoire des justes, le paganisme offroit à la vénération des peuples des brigands dont la force corporelle étoit la seule vertu et qui s'étoient souillés de tous les crimes. Si quelquefois on accordoit l'apothéose aux bons rois, Tibère et Néron avoient aussi leurs prêtres et leurs temples. Sacrés mortels, que l'Église de Jésus-Christ nous commande d'honorer, vous n'étiez ni des forts ni des puissants entre les hommes! Nés souvent dans la cabane du pauvre, vous n'avez étalé aux yeux du monde que d'humbles jours et d'obscurs malheurs! N'entendra-t-on jamais que des blasphèmes contre une religion qui, déifiant l'indigence, l'infortune, la simplicité et la vertu, a fait tomber à leurs pieds la richesse, le bonheur, la grandeur et le vice?

Et qu'ont donc de si odieux à la poésie ces solitaires de la Thébaïde, avec leur bâton blanc et leur habit de feuilles de palmier? Les oiseaux du ciel les nourrissent, les lions portent leurs messages ou creusent leurs tombeaux; en commerce familier avec les anges, ils remplissent de miracles les déserts où fut Memphis. Horeb et Sinaï, le Carmel et le Liban, le torrent de Cédron et la vallée de Josaphat, redisent encore la gloire de l'habitant de la cellule et de l'anachorète du rocher. Les Muses aiment à rêver dans ces monastères remplis des ombres d'Antoine, de Pacôme, de Benoît, de Basile. Les premiers apôtres prêchant l'Évangile aux premiers fidèles dans les catacombes ou sous le dattier de Béthanie n'ont pas paru à Michel-Ange et à Raphael des sujets si peu favorables au génie.

1. HIEROCL., Comm. in Pyth., trad. de Dac., t. II, p. 29.

2. HIERON., Dial. c. Lucif., t. II, p. 136.

3. HIERON., in Vit. Paul.

5. Id., ibid.

4. THEOD., Hist rel., cap. vi.

6. Nous passerons rapidement sur ces solitaires, parce que nous en parlerons ailleurs.

Nous tairons à présent, parce que nous en parlerons dans la suite, ces bienfaiteurs de l'humanité qui fondèrent les hôpitaux et se vouèrent à la pauvreté, à la peste, à l'esclavage, pour secourir des hommes; nous nous renfermerons dans les seules Écritures, de peur de nosu égarer dans un sujet si vaste et si intéressant. Josué, Élie, Isaïe, Jérémie, Daniel, tous ces prophètes enfin qui vivent d'une éternelle vie ne pourroient-ils pas faire entendre dans un poëme leurs sublimes lamentations? L'urne de Jérusalem ne se peut-elle encore remplir de leurs larmes? N'y a-t-il plus de saules de Babylone pour y suspendre les harpes détendues? Pour nous, qui à la vérité ne sommes pas poëte, il nous semble que ces enfants de la vision feroient d'assez beaux groupes sur les nuées : nous les peindrions avec un tête flamboyante; une barbe argentée descendroit sur leur poitrine immortelle, et l'esprit divin éclateroit dans leurs regards.

Mais quel essaim de vénérables ombres, à la voix d'une muse chréienne, se réveille dans la caverne de Membré? Abraham, Isaac, Jacob, Rebecca, et vous tous, enfants de l'Orient, rois, patriarches, aïeux de Jésus-Christ, chantez l'antique alliance de Dieu et des hommes! Reditesnous cette histoire chère au ciel, l'histoire de Joseph et de ses frères. Le chœur des saints rois, David à leur tête; l'armée des confesseurs et martyrs vêtus de robes éclatantes nous offriroient aussi leur merveilleux. Ces derniers présentent au pinceau le genre tragique dans sa plus grande élévation; après la peinture de leurs tourments, nous dirions ce que Dieu fit pour ces victimes, et le don des miracles dont il honora leurs tombeaux.

Nous placerions auprès de ces illustres chœurs les chœurs des vierges célestes, les Geneviève de Brabant, les Pulchérie, les Rosalie, les Cécile, les Lucile, les Isabelle, les Eulalie. Le merveilleux du christianisme est plein de concordance ou de contrastes gracieux. On sait comment Neptune,

... Sélevant sur la mer,

D'un mot calme les flots.

Nos dogmes fournissent un autre genre de poésie. Un vaisseau est prêt à périr l'aumônier, par des paroles qui délient les âmes, remet à chacun la peine de ses fautes; il adresse au ciel la prière qui, dans un tourbillon, envoie l'esprit du naufragé au Dieu des orages. Déjà l'Océan se creuse pour engloutir les matelots; déjà les vagues élevant leur triste voix entre les rochers, semblent commencer les chants funèbres; tout à coup un trait de lumière perce la tempête : l'Étoile des

mers, Marie, patronne des mariniers, paroît au milieu de la nue. Elle tient son enfant dans les bras, et calme les flots par un sourire : charmante religion, qui oppose à ce que la nature a de plus terrible ce que le ciel a de plus doux! aux tempêtes de l'Océan, un petit enfant et une tendre mère !

CHAPITRE VIII.

DES ANGES.

Tel est le merveilleux qu'on peut tirer de nos saints, sans parler des diverses histoires de leur vie. On découvre ensuite dans la hiérarchie des anges, doctrine aussi ancienne que le monde, mille tableaux pour le poëte. Non-seulement les messagers du Très-Haut portent ses décrets d'un bout de l'univers à l'autre ; non-seulement ils sont les invisibles gardiens des hommes, ou prennent pour se manifester à eux les formes les plus aimables; mais encore la religion nous permet d'attacher des anges protecteurs à la belle nature ainsi qu'aux sentiments vertueux. Quelle innombrable troupe de divinités vient donc tout à coup peupler les mondes!

Chez les Grecs le ciel finissoit au sommet de l'Olympe, et leurs dieux ne s'élevoient pas plus haut que les vapeurs de la terre. Le merveilleux chrétien, d'accord avec la raison, les sciences et l'expansion de notre âme, s'enfonce de monde en monde, d'univers en univers, dans des espaces où l'imagination, effrayée, frissonne et recule. En vain les télescopes fouillent tous les coins du ciel, en vain ils poursuivent la comète au delà de notre système, la comète enfin leur échappe; mais elle n'échappe pas à l'archange qui la roule à son pôle inconnu, et qui au siècle marqué la ramènera par des voies mystérieuses jusque dans le foyer de notre soleil.

Le poëte chrétien est le seul initié au secret de ces merveilles. De globe en globe, de soleil en soleil, avec les Séraphins, les Trónes, les Ardeurs, qui gouvernent les mondes, l'imagination fatiguée redescend enfin sur la terre comme un fleuve qui par une cascade magnifique épanche ses flots d'or à l'aspect d'un couchant radieux. On passe alors de la grandeur à la douceur des images sous l'ombrage des forêts on parcourt l'empire de l'Ange de la solitude; on retrouve dans la clarté de la lune le Génie des rêveries du cœur; on entend ses soupirs dans le frémissement des bois et dans les plaintes de Philomèle. Les roses de l'aurore ne sont que la chevelure de l'Ange du matin. L'Ange de la nuit repose au milieu des cieux, où il res

semble à la lune endormie sur un nuage; ses yeux sont couverts d'un bandeau d'étoiles; ses talons et son front sont un peu rougis de la pourpre de l'aurore et de celle du crépuscule; l'Ange du silence le précède, et celui du mystère le suit. Ne faisons pas l'injure aux poëtes de penser qu'ils regardent l'Ange des mers, l'Ange des tempêtes; l'Ange du temps, l'Ange de la mort, comme des génies désagréables aux Muses. C'est l'Ange des saintes amours qui donne aux vierges un regard céleste, et c'est l'Ange des harmonies qui leur fait présent des grâces; l'honnête homme doit son cœur à l'Ange de la vertu, et ses lèvres à celui de la persuasion. Rien n'empêche d'accorder à ces esprits bienfaisants des marques distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices l'Ange de l'amitié, par exemple, pourroit porter une écharpe merveilleuse où l'on verroit fondus, par un travail divin, les consolations de l'âme, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux et l'immortelle espérance.

CHAPITRE IX.

APPLICATION DES PRINCIPES ÉTABLIS

DANS LES CHAPITRES PRÉCÉDENTS. CARACTÈRE DE SATAN.

Des préceptes passons aux exemples. En reprenant ce que nous avons dit dans les précédents chapitres, nous commencerons par le caractère attribué aux mauvais anges, et nous citerons le Satan de Milton,

Avant le poëte anglois, le Dante et le Tasse avoient peint le monarque de l'enfer. L'imagination du Dante, épuisée par neuf cercles de tortures, n'a fait de Satan enclavé au centre de la terre qu'un monstre odieux; le Tasse, en lui donnant des cornes, l'a presque rendu ridicule. Entraîné par ces autorités, Milton a eu un moment le mauvais goût de mesurer son Satan, mais il se relève bientôt d'une manière sublime. Écoutez le prince des ténèbres s'écrier, du haut de la montagne de feu d'où il contemple pour la première fois son empire:

« Adieu, champs fortunés qu'habitent les joies éternelles! Horreurs! je vous salue! je vous salue, monde infernal! Abime, reçois ton nouveau monarque. Il t'apporte un esprit que ni temps ni lieux ne changeront jamais. Du moins ici nous serons libres, ici nous régnerons : régner même aux enfers est digne de mon ambition '. >>

1. Parad. lost, book 1, v. 49, etc.

Quelle manière de prendre possession des gouffres de l'enfer! Le conseil infernal étant assemblé, le poëte représente Satan au milieu de son sénat :

Ses formes conservoient une partie de leur primitive splendeur; ce n'étoit rien moins encore qu'un archange tombé, une gloire un peu obscurcie, comme lorsque le soleil levant, dépouillé de ses rayons, jette un regard horizontal à travers les brouillards du matin, ou tel que, dans une éclipse, cet astre, caché derrière la lune, répand sur une moitié des peuples un crépuscule funeste et tourmente les rois par la frayeur des révolutions. Ainsi paroissoit l'archange obscurci, mais encore brillant, au-dessus des compagnons de sa chute toutefois, son visage étoit labouré par les cicatrices de la foudre, et les chagrins veilloient sur ses joues décolorées'. >>

Achevons de connoître le caractère de Satan. Échappé de l'enfer, et parvenu sur la terre, il est saisi de désespoir en contemplant les merveilles de l'univers; il apostrophe le soleil 2 :

« toi qui, couronné d'une gloire immense, laisses du haut de ta domination solitaire tomber tes regards comme le Dieu de ce nouvel univers; toi devant qui les étoiles cachent leur tête humiliée, j'élève une voix vers toi, mais non pas une voix amie; je ne prononce ton nom, ô soleil ! que pour te dire combien je hais tes rayons. Ah! ils me rappellent de quelle hauteur je suis tombé, et combien jadis je brillois glorieux au-dessus de ta sphère! L'orgueil et l'ambition m'ont précipité. J'osai, dans le ciel même, déclarer la guerre au Roi du ciel. Il ne méritoit pas un pareil retour, lui qui m'avoit fait ce que j'étois dans un rang éminent... Élevé si haut, je dédaignai d'obéir; je crus qu'un pas de plus me porteroit au rang suprême et me déchargeroit en un moment de la dette immense d'une reconnoissance éternelle... Oh ! pourquoi sa volonté toute-puissante ne me créa-t-elle au rang de quelque ange inférieur ! je serois encore heureux, mon ambition n'eût point été nourrie par une espérance illimitée... Misérable! où fuir une colère infinie, un désespoir infini? L'enfer est partout où je suis, moi-même je suis l'enfer... O Dieu, ralentis tes coups! N'est-il aucune voie laissée au repentir, aucune à la miséricorde, hors l'obéissance? L'obéissance! L'orgueil me défend ce met. Quelle honte pour moi devant les esprits de l'abîme! Ce n'étoit pas par des promesses de soumission que je les séduisis, lorsque j'osai me vanter do subjuguer le Tout-Puissant. Ah! tandis qu'ils m'adorent sur le trône des 'enfers, ils savent peu combien je paye cher ces paroies superbes, combien je gémis intérieurement sous le fardeau de mes douleurs... Mais si je me repentois, si, par un acte de la grâce divine, je remontois à ma première place?..... Un rang élevé rappelleroit bientôt des pensées ambitieuses; les serments d'une feinte soumission seroient bientôt démentis! Le tyran le sait; il est

1. Parad. lost, book 1, v. 591, etc. 2. Voyez la note XVIII, à la fin du volume.

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