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de la lune, et l'esprit qui remonte vers la Divinité; ce système, disonsnous, n'est pas de notre compétence, et nous ne parlcns que de la théologie poétique.

Nous avons fait voir dans plusieurs endroits de cet ouvrage la différence qui existe entre la félicité des élus et celle des mânes de l'Élysée. Autre est de danser et de faire des festins, autre de connoître la nature des choses, de lire dans l'avenir, de voir les révolutions des globes, enfin d'être comme associé à l'omni-science, sinon à la toutepuissance de Dieu. Il est pourtant extraordinaire qu'avec tant d'avantages les poëtes chrétiens aient échoué dans la peinture du ciel. Les uns ont péché par timidité, comme le Tasse et Milton; les autres par fatigue, comme le Dante; par philosophie, comme Voltaire; ou par abondance, comme Klopstock'. Il y a donc un écueil caché dans ce sujet; voici quelles sont nos conjectures à cet égard.

Il est de la nature de l'homme de ne sympathiser qu'avec les choses qui ont des rapports avec lui, et qui le saisissent par un certain côté, tel, par exemple, que le malheur. Le ciel, où règne une félicité sans bornes, est trop au-dessus de la condition humaine pour que l'âme soit fort touchée du bonheur des élus: on ne s'intéresse guère à des êtres parfaitement heureux. C'est pourquoi les poëtes ont mieux réussi dans la description des enfers; du moins l'humanité est ici, et les tourments des coupables nous rappellent les chagrins de notre vie; nous nous attendrissons sur les infortunes des autres, comme les esclaves d'Achille, qui en répandant beaucoup de larmes sur la mort de Patrocle pleuroient secrètement leurs propres malheurs. Pour éviter la froideur qui résulte de l'éternelle et toujours semblable félicité des justes, on pourroit essayer d'établir dans le ciel une espérance, une attente quelconque de plus de bonheur, ou d'une époque inconnue dans la révolution des êtres; on pourroit rappeler davantage les choses humaines, soit en tirant des comparaisons, soit en donnant des affections et même des passions aux élus : l'Écriture nous parle des espérances et des saintes tristesses du ciel. Pourquoi donc n'y auroit-il pas dans le paradis des pleurs tels que les saints peuvent en répandre?? Par ces divers moyens, on feroit naître des harmonies entre notre nature bornée et une constitution plus sublime, entre nos fins rapides et les choses éternelles : nous serions moins

1. C'est une chose assez bizarre que Chapelain, qui a créé des chœurs de martyrs, de vierges et d'apôtres, ait seul placé le paradis chrétien dans son véritable jour.

2. Milton a saisi cette idée, lorsqu'il représente les anges consternés à la nouvelle de la chute de l'homme; et Fénelon donne le même mouvement de pitié aux ombres heureuses.

portés à regarder comme une fiction un bonheur qui, semblable au nôtre, seroit mêlé de changements et de larmes.

D'après ces considérations sur l'usage du merveilleux chrétien dans la poésie, on peut du moins douter que le merveilleux du paganisme ait sur le premier un avantage aussi grand qu'on l'a généralement supposé. On oppose toujours Milton avec ses défauts à Homère avec ses beautés; mais supposons que le chantre d'Eden fût né en France sous le siècle de Louis XIV, et qu'à la grandeur naturelle de son génie il eût joint le goût de Racine et de Boileau: nous demandons quel fût devenu alors le Paradis perdu, et si le merveilleux de ce poëme n'eût pas égalé celui de l'Iliade et de l'Odyssée. Si nous jugions la mythologie d'après la Pharsale, ou même d'après l'Eneide, en aurions-nous la brillante idée que nous en a laissée le père des Grâces, l'inventeur de la ceinture de Vénus? Quand nous aurons sur un sujet chrétien un ouvrage aussi parfait dans son genre que les ouvrages d'Homère, nous pourrons nous décider en faveur du merveilleux de la fable, ou du merveilleux de notre religion; jusque alors il sera permis de douter de la vérité de ce précepte de Boileau :

De la foi d'un chrétien les mystères terribles
D'ornements égayés ne sont point susceptibles
Art poét., ch. IIL

Au reste, nous pouvions nous dispenser de faire lutter le christianisme avec la mythologie sous le seul rapport du merveilleux. Nous ne sommes entré dans cette étude que par surabondance de moyens, et pour montrer les ressources de notre cause. Nous pouvions trancher la question d'une manière simple et péremptoire; car fût-il certain, comme il est douteux, que le christianisme ne pût fournir un merveilleux aussi riche que celui de la fable, encore est-il vrai qu'il y a une certaine poésie de l'âme, une sorte d'imagination du cœur, dont on ne trouve aucune trace dans la mythologie. Or, les beautés touchantes qui émanent de cette source feroient seules une ample compensation pour les ingénieux mensonges de l'antiquité.

Tout est machine et ressort, tout est extérieur, tout est fait pour les yeux dans les tableaux du paganisme; tout est sentiment et pensée, tout est intérieur, tout est créé pour l'âme dans les peintures de la religion chrétienne. Quel charme de méditation! quelle profondeur de rêverie! Il y a plus d'enchantement dans une de ces larmes que le christianisme fait répandre au fidèle que dans toutes les riantes erreurs de la mythologie. Avec une Notre-Dame des Douleurs, une Mère de Pitié, quelque saint obscur, patron de l'aveugle et de l'orphelin,

un auteur peut écrire une page plus attendrissante qu'avec tous les dieux du Panthéon. C'est bien là aussi de la poésie! c'est bien là du merveilleux! Mais voulez-vous du merveilleux plus sublime, contemplez la vie et les douleurs du Christ, et souvenez-vous que votre Dieu s'est appelé le Fils de l'Homme! Nous osons le prédire un temps viendra que l'on sera étonné d'avoir pu méconnoître les beautés qui existent dans les seuls noms, dans les seules expressions du christiapisme; l'on aura de la peine à comprendre comment on a pu se moquer de cette religion de la raison et du malheur.

Ici finissent les relations directes du christianisme et des Muses, puisque nous avons achevé de l'envisager poétiquement dans ses rapports avec les hommes et dans ses rapports avec les êtres surnaturels. Nous couronnerons ce que nous avons dit sur ce sujet par une vue genérale de l'Écriture: c'est la source où Milton, le Dante, le Tasse et Racine ont puisé une partie de leurs merveilles, comme les poëtes de l'antiquité ont emprunté leurs grands traits d'Homère.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.

LIVRE CINQUIÈME.

LA BIBLE ET HOMÈRE.

CHAPITRE PREMIER.

DE L'ÉCRITURE ET DE SON EXCELLENCE.

C'est un corps d'ouvrage bien singulier que celui qui commence par la Genèse et qui finit par l'Apocalypse; qui s'annonce par le style le plus clair et qui se termine par le ton le plus figuré. Ne diroit-on pas que tout est grand et simple dans Moïse, comme cette création du monde et cette innocence des hommes primitifs qu'il nous peint; et que tout est terrible et hors de la nature dans le dernier prophète. comme ces sociétés corrompues et cette fin du monde qu'il nous représente?

Les productions les plus étrangères à nos mœurs, les livres sacrés des nations infidèles, le zend-Avesta des parsis, le veidam des Brahmes, le Coran des Turcs, les Edda des Scandinaves, les Maximes de Confucius, les poèmes sanskrits, ne nous surprennent point : nous y retrouvons la chaîne ordinaire des idées humaines; ils ont quelque chose de commun entre eux, et dans le ton et dans la pensée. La Bible seule ne ressemble à rien : c'est un monument détaché des autres. Expliquez-la à un Tartare, à un Cafre, à un Canadien; mettez-la entre les mains d'un bonze ou d'un derviche ils en seront également étonnés. Fait qui tient du miracle! Vingt auteurs, vivant à des époques très-éloignées les unes des autres, ont travaillé aux livres saints, et quoiqu'ils aient employé vingt styles divers, ces styles, toujours inimitables, ne se rencontrent dans aucune composition. Le Nouveau Testament, si différent de l'Ancien par le ton, partage néanmoins avec celui-ci cette étonnante originalité.

Ce n'est pas la seule chose extraordinaire que les hommes s'accordent à trouver dans l'Écriture: ceux qui ne veulent pas croire à l'authenticité de la Bible croient pourtant, en dépit d'eux-mêmes, à quelque chose dans cette même Bible. Déistes et athées, grands et petits, attirés par je ne sais moi d'inconnu, ne laissent pas de feuilleter

sans cesse l'ouvrage que les uns admirent et que les autres dénigrent. Il n'y a pas une position dans la vie pour laquelle on ne puisse rencontrer dans la Bible un verset qui semble dicté tout exprès. On nous persuadera difficilement que tous les événements possibles, heureux ou malheureux, aient été prévus avec toutes leurs conséquences dans un livre écrit de la main des hommes. Or, il est certain qu'on trouve 1 dans l'Écriture:

L'origine du monde et l'annonce de sa fin;

La base des sciences humaines;

Les préceptes politiques depuis le gouvernement du père de famille usqu'au despotisme; depuis l'âge pastoral jusqu'au siècle de corruption;

Les préceptes moraux applicables à la prospérité et à l'infortune, aux rangs les plus élevés comme aux rangs les plus humbles de la vie; Enfin, toutes les sortes de styles; styles qui, formant un corps unique de cent morceaux divers, n'ont toutefois aucune ressemblance vec les styles des hommes.

CHAPITRE II.

QU'IL Y A TROIS STYLES PRINCIPAUX DANS L'ÉCRITURE.

Entre ces styles divins, trois surtout se font remarquer :

1o Le style historique, tel que celui de la Genèse, du Deutéronome, de Job, etc.;

2o La poésie sacrée telle qu'elle existe dans les psaumes, dans les prophètes et dans les traités moraux, etc.;

3o Le style évangélique.

Le premier de ces trois styles, avec un charme plus grand qu'on ne peut dire, tantôt imite la narration de l'épopée, comme dans l'aventure de Joseph, tantôt emprunte des mouvements de l'ode, comme après le passage de la mer Rouge; ici soupire les élégies du saint Arabe, là chante avec Ruth d'attendrissantes bucoliques. Ce peuple, dont tous les pas sont marqués par des phénomènes, ce peuple pour qui le soleil s'arrête, le rocher verse des eaux, le ciel prodigue la manne, ce peuple ne pouvoit avoir des fastes ordinaires. Les formes connues changent à son égard : ses révolutions sont tour à tour racontées avec la trompette, la lyre et le chalumeau; et le style de son histoire est lui-même un continuel miracle qui porte témoignage de la vérité des miracles dont il perpétue le souvenir.

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