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Quiconque lira l'Évangile avec un peu d'attention y découvrira à tous moments des choses admirables et qui échappent d'abord, à cause de leur extrême simplicité. Saint Luc, par exemple, en donnant la généalogie du Christ, remonte jusqu'à la naissance du monde. Arrivé aux premières générations et continuant à nommer les races, il dit : Cainan qui fuit Henos, qui fuit Seth, qui fuit Adam, qui fuit Dei. Le simple mot qui fuit DEI, jeté là sans commentaire et sans réflexion, pour raconter la création, l'origine, la nature, les fins et le mystère de l'homme, nous semble de la plus grande sublimité.

La religion du fils de Marie est comme l'essence des diverses religions ou ce qu'il y a de plus céleste en elles. On peut peindre en quelques mots le caractère du style évangélique : c'est un ton d'autorité paternelle mêlé à je ne sais quelle indulgence de frère, à je ne sais quelle considération d'un Dieu qui pour nous racheter a daigné devenir fils et frère des hommes.

Au reste, plus on lit les Épîtres des Apôtres, surtout celles de saint Paul, et plus on est étonné: on ne sait quel est cet homme qui dans une espèce de prône commun dit familièrement des mots sublimes, jette les regards les plus profonds sur le cœur humain, explique la nature du souverain Être et prédit l'avenir'.

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On a tant écrit sur la Bible, on l'a tant de fois commentée, que le seul moyen qui reste peut-être aujourd'hui d'en faire sentir les beautés, c'est de la rapprocher des poëmes d'Homère. Consacrés par les siècles, ces poëmes ont reçu du temps une espèce de sainteté qui justifie le parallèle et écarte toute idée de profanation. Si Jacob et Nestor ne sont pas de la même famille, ils sont du moins l'un et l'autre des premiers jours du monde, et l'on sent qu'il n'y a qu'un pas des palais de Pylos aux tentes d'Ismael.

Comment la Bible est plus belle qu'Homère; quelles sont les ressemblances et les différences qui existent entre elle et les ouvrages de ce poëte: voilà ce que nous nous proposons de rechercher dans ces chapitres. Considérons ces deux monuments, qui, comme deux colonnes

1. Voyez la note XXI, à la fin du volume.

solitaires, sont placés à la porte du temple du Génie et en forment le simple péristyle.

Et d'abord, c'est une chose assez curieuse de voir lutter de front les deux langues les plus anciennes du monde; langues dans lesquelles Moïse et Lycurgue ont publié leurs lois, et Pindare et David chanté leurs hymnes.

L'hébreu, concis, énergique, presque sans inflexions dans ses verbes, exprimant vingt nuances de la pensée par la seule apposition d'une lettre, annonce l'idiome d'un peuple qui, par une alliance remarquable, unit à la simplicité primitive une connoissance approfondie des hommes.

Le grec montre dans ses conjugaisons perplexes, dans ses inflexions, dans sa diffuse éloquence, une nation d'un génie imitatif et sociable, une nation gracieuse et vaine, mélodieuse et prodigue de paroles.

L'hébreu veut-il composer un verbe, il n'a besoin que de connoître les trois lettres radicales qui forment au singulier la troisième personne du prétérit. Il a à l'instant même tous les temps et tous les modes, en ajoutant quelques lettres serviles avant, après ou entre les trois lettres radicales.

Bien plus embarrassée est la marche du grec. Il faut considérer la caractéristique, la terminaison, l'augment et la penultième de certaines personnes des temps des verbes; choses d'autant plus difficiles à connoître, que la caractéristique se perd, se transpose ou se charge d'une lettre inconnue, selon la lettre même devant laquelle elle se trouve placée.

Ces deux conjugaisons hébraïque et grecque, l'une si simple et si courte, l'autre si composée et si longue, semblent porter l'empreinte de l'esprit et des mœurs des peuples qui les ont formées : la première retrace le langage concis du patriarche qui va seul visiter son voisin au puits du palmier; la seconde rappelle la prolixe éloquence du Pélasge qui se présente à la porte de son hôte.

Si vous prenez au hasard quelque substantif grec ou hébreu, vous découvrirez encore mieux le génie des deux langues. Nesher, en hébreu, signifie un aigle: il vient du verbe shur, contempler, parce que l'aigle fixe le soleil.

Aigle, en grec, se rend par airòs, vol rapide.

Israel a été frappé de ce que l'aigle a de plus sublime : il l'a vu immobile sur le rocher de la montagne, regardant l'astre du jour à son réveil.

Athènes n'a aperçu que le vol de l'aigle, sa fuite impétueuse, et ce mouvement qui convenoit au propre mouvement du génie des Grecs.

Telles sont précisément ces images de soleil, de feux, de montagnes, sì souvent employées dans la Bible, et ces peintures de bruits, de courses, de passages, si multipliées dans Homère'.

Nos termes de comparaison seront :

La simplicité;

L'antiquité des mœurs;

La narration;

La description;

Les comparaisons ou les images;

Le sublime.

Examinons le premier terme.

1° Simplicité.

La simplicité de la Bible est plus courte et plus grave; la simplicité d'Homère plus longue et plus riante.

La première est sentencieuse, et revient aux mêmes locutions pour exprimer des choses nouvelles.

La seconde aime à s'étendre en paroles, et répète souvent dans les mêmes phrases ce qu'elle vient déjà de dire.

La simplicité de l'Écriture est celle d'un antique prêtre qui, plein des sciences divines et humaines, dicte du fond du sanctuaire les oracles précis de la sagesse.

La simplicité du poëte de Chio est celle d'un vieux voyageur qui raconte au foyer de son hôte ce qu'il a appris dans le cours d'une vie longue et traversée.

2° Antiquité des mœurs.

Les fils des pasteurs d'Orient gardent les troupeaux comme le fils des rois d'llion; mais lorsque Pâris retourne à Troie, il habite un palais parmi des esclaves et des voluptés.

Une tente, une table frugale, des serviteurs rustiques, voilà tout ce qui attend les enfants de Jacob chez leur père.

Un hôte se présente-t-il chez un prince dans Homère, des femmes, et quelquefois la fille même du roi, conduisent l'étranger au bain. On le parfume, on lui donne à laver dans des aiguières d'or et d'argent, on le revêt d'un manteau de pourpre, on le conduit dans la salle du festin, on le fait s'asseoir dans une belle chaise d'ivoire, ornée d'un beau marche-pied. Des esclaves mêlent le vin et l'eau dans les coupes

1. Air paroit tenir à l'hébreu HAIT, s'élancer avec fureur, à moins qu'on ne le dérive d'ATE, devin; ATH, prodige : on retrouveroit ainsi l'art de la divination dans une étymologie. L'aquila des Latins vient manifestement de l'hébreu aouik, animal à serres. L'a n'est qu'une terminaison latine; u se doit prononcer ou. Quart à la transposition du k et son changement en q, c'est peu de chose.

et lui présentent les dons de Cérès dans une corbeille; le maître du lieu lui sert le dos succulent de la victime, dont il lui fait une part cinq fois plus grande que celle des autres. Cependant on mange avec une grande joie, et l'abondance a bientôt chassé la faim. Le repas fini, on prie l'étranger de raconter son histoire. Enfin, à son départ, on lui fait de riches présents, si mince qu'ait paru d'abord son équipage; car on suppose que c'est un dieu qui vient, ainsi déguisé, surprendre le cœur des rois, ou un homme tombé dans l'infortune, et par conséquent le favori de Jupiter.

Sous la tente d'Abraham, la réception se passe autrement. Le patriarche sort pour aller au-devant de son hôte: il le salue, et puis adore Dieu. Les fils du lieu emmènent les chameaux, et les filles leur donnent à boire. On lave les pieds du voyageur : il s'assied à terre, et prend en silence le repas de l'hospitalité. On ne lui demande point son histoire, on ne le questionne point; il demeure ou continue sa route à volonté. A son départ, on fait alliance avec lui, et l'on élève la pierre du témoignage. Cet autel doit dire aux siècles futurs que deux hommes des anciens jours se rencontrèrent dans le chemin de la vie; qu'après s'être traités comme deux frères, ils se quittèrent pour ne se revoir jamais et vour mettre de grandes régions entre leurs tombeaux.

Remarquez que l'hôte inconnu est un étranger chez Homère et un voyageur dans la Bible. Quelles différentes vues de l'humanité ! Le grec ne porte qu'une idée politique et locale où l'hébreu attache un sentiment moral et universel.

Chez Homère, les œuvres civiles se font avec fracas et parade : un juge, assis au milieu de la place publique, prononce à haute voix ses sentences; Nestor, au bord de la mer, fait des sacrifices ou harangue les peuples. Une noce a des flambeaux, des épithalames, des couronnes suspendues aux portes; une armée, un peuple entier, assistent aux funérailles d'un roi; un serment se fait au nom des Furies, avec des imprécations terribles, etc.

Jacob, sous un palmier, à l'entrée de sa tente, distribue la justice à ses pasteurs. « Mettez la main sur ma cuisse', dit Abraham à son serviteur, et jurez d'aller en Mésopotamie. » Deux mots suffisent pour conclure un mariage au bord de la fontaine. Le domestique amène

1. Femur meum. Cette coutume de jurer par la génération des hommes est une naive image des mœurs des premiers jours du monde, alors que la terre avoit encore d'immenses déserts et que l'homme étoit pour l'homme ce qu'il y avoit de plus cher et de plus grand. Les Grecs connurent aussi cet usage, comme on le voit dans la Vie de Crates. DIOG. LAERT., lib. VI.

l'accordée au fils de son maître, ou le fils du maître s'engage à garder pendant sept ans les troupeaux de son beau-père, pour obtenir sa fille. Un patriarche est porté par ses fils, après sa mort, à la cave de ses pères, dans le champ d'Éphron. Ces mœurs-là sont plus vieilles encore que les mœurs homériques, parce qu'elles sont plus simples: elles ont aussi un calme et une gravité qui manquent aux premières.

3o La narration.

La narration d'Homère est coupée par des digressions, des discours, des descriptions de vases, de vêtements, d'armes et de sceptres; par des généalogies d'hommes ou de choses. Les noms propres y sont hérissés d'épithètes; un héros manque rarement d'être divin, semblable aux Immortels ou honoré des peuples comme un dieu. Une princesse a toujours de beaux bras; elle est toujours comme la tige du palmier de Délos, et elle doit sa chevelure à la plus jeune des Gráces.

La narration de la Bible est rapide, sans digression, sans discours : elle est semée de sentences, et les personnages y sont nommés sans flatterie. Les noms reviennent sans fin, et rarement le pronom les remplace, circonstance qui, jointe au retour fréquent de la conjonction et, annonce par cette simplicité une société bien plus près de l'état de nature que la société peinte par Homère. Les amours-propres sont déjà éveillés dans les hommes de l'Odyssée, ils dorment encore chez les hommes de la Genèse.

4° Description.

Les descriptions d'Homère sont longues, soit qu'elles tiennent du caractère tendre ou terrible, ou triste, ou gracieux, ou fort ou sublime.

La Bible, dans tous ses genres, n'a ordinairement qu'un seul trait; mais ce trait est frappant, et met l'objet sous les yeux.

5o Les comparaisons.

:

Les comparaisons homériques sont prolongées par des circonstances incidentes ce sont de petits tableaux suspendus au pourtour d'un édifice, pour délasser la vue de l'élévation des dômes, en l'appelant sur des scènes de paysages et de mœurs champêtres.

Les comparaisons de la Bible sont généralement exprimées en quelques mots c'est un lion, un torrent, un orage, un incendie, qui rugit, tombe, ravage, dévore. Toutefois, elle connoît aussi les comparaisons détaillées, mais alors elle prend un tour oriental, et personnifie l'objet, comme l'orgueil dans le cèdre, etc.

6o Le sublime.

Enfin, le sublime dans Homère naît ordinairement de l'ensemble des parties, et arrive graduellement à son terme.

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