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dont on n'a jamais entendu parler. Incapable de crainte et d'injustice, elle donne des leçons aux rois, mais sans les insulter; elle console le pauvre, mais sans flatter ses vices. La politique et les choses de la terre ne lui sont point inconnues; mais ces choses, qui faisoient les premiers motifs de l'éloquence antique, ne sont pour elle que des raisons secondaires; elle les voit des hauteurs où elle domine, comme un aigle aperçoit du sommet de la montagne les objets abaissés de la plaine.

Ce qui distingue l'éloquence chrétienne de l'éloquence des Grecs et des Romains, c'est cette tristesse évangélique qui en est l'âme, selon La Bruyère, cette majestueuse mélancolie dont elle se nourrit. On lit une fois, deux fois peut-être les Verrines et les Catilinaires de Cicéron, l'Oraison pour la Couronne et les Philippiques de Démosthène; mais on médite sans cesse, on feuillette nuit et jour les Oraisons funèbres de Bossuet et les Sermons de Bourdaloue et de Massillon. Les discours des orateurs chrétiens sont des livres, ceux des orateurs de l'antiquité ne sont que des discours. Avec quel goût merveilleux les saints docteurs ne réfléchissent-ils point sur les vanités du monde! « Toute votre vie, disent-ils, n'est qu'une ivresse d'un jour, et vous employez cette journée à la poursuite des plus folles illusions. Vous atteindrez au comble de vos vœux, vous jouirez de tous vos désirs, vous deviendrez roi, empereur, maître de la terre : un moment encore, et la mort effacera ces néants avec votre néant. »>

Ce genre de méditations, si grave, si solennel, si naturellement porté au sublime, fut totalement inconnu des orateurs de l'antiquité. Les païens se consumoient à la poursuite des ombres de la vie'; ils ne savoient pas que la véritable existence ne commence qu'à la mort. La religion chrétienne a seule fondé cette grande école de la tombe où s'instruit l'apôtre de l'Évangile : elle ne permet plus que l'on prodigue, comme les demi-sages de la Grèce, l'immortelle pensée de l'homme à des choses d'un moment.

Au reste, c'est la religion qui dans tous les siècles et dans tous les pays a été la source de l'éloquence. Si Démosthène et Cicéron ont été de grands orateurs, c'est qu'avant tout ils étoient religieux. Les membres de la Convention, au contraire, n'ont offert que des talents tronqués et des lambeaux d'éloquence, parce qu'ils attaquoient la foi de leurs pères et s'interdisoient ainsi les inspirations du cœur 3.

1. JOB.

2. Ils ont sans cesse le nom des dieux à la bouche: voyez l'invocation du premier aux mânes des héros de Marathon, et l'apothéose du second aux dieux dépouillés par Verrès. 3. Qu'on ne dise pas que les François n'avoient pas eu le temps de s'exercer dans

CHAPITRE II.

DES ORATEURS. LES PÈRES DE L'ÉGLISE.

L'éloquence des docteurs de l'Église a quelque chose d'imposant. de fort, de royal, pour ainsi parler, et dont l'autorité vous confond et vous subjugue. On sent que leur mission vient d'en haut et qu'ils enseignent par l'ordre exprès du Tout-Puissant. Toutefois, au milieu de ces inspirations, leur génie conserve le calme et la majesté.

Saint Ambroise est le Fénelon des Pères de l'Église latine. Il est fleuri, doux, abondant, et à quelques défauts près, qui tiennent à son siècle, ses ouvrages offrent une lecture aussi agréable qu'instructive; pour s'en convaincre, il suffit de parcourir le Traité de la Virginitė* et l'Éloge des Patriarches.

Quand on nomme un saint aujourd'hui, on se figure quelque moine grossier et fanatique, livré, par imbécillité ou par caractère, à une superstition ridicule. Augustin offre pourtant un autre tableau: un jeune homme ardent et plein d'esprit s'abandonne à ses passions; il épuise bientôt les voluptés, et s'étonne que les amours de la terre ne puissent remplir le vide de son cœur. Il tourne son âme inquiète vers le ciel quelque chose lui dit que c'est là qu'habite cette souveraine beauté après laquelle il soupire: Dieu lui parle tout bas, et cet homme du siècle, que le siècle n'avoit pu satisfaire, trouve enfin le repos et la plénitude de ses désirs dans le sein de la religion.

Montaigne et Rousseau nous ont donné leurs Confessions. Le premier s'est moqué de la bonne foi de son lecteur; le second a révélé de honteuses turpitudes, en se proposant, même au jugement de Dieu, pour un modèle de vertu. C'est dans les Confessions de saint Augustin qu'en

la nouvelle lice où ils venoient de descendre : l'éloquence est un fruit des révolutions; elle y croît spontanément et sans culture; le sauvage et le nègre ont quelquefois parlé comme Démosthène. D'ailleurs, on ne manquoit pas de modèles, puisqu'on avoit entre les mains les chefs-d'œuvre du forum antique et ceux de ce forum sacré où l'orateur chrétien explique la loi éternelle. Quand M. de Montlosier s'écrioit, à propos du clergé, dans l'Assemblée constituante: « Vous les chassez de leurs palais, ils se retireront dans la cabane du pauvre qu'ils ont nourri; vous voulez leurs croix d'or, ils prendront une croix de bois: c'est une croix de bois qui a sauvé le monde ! » ce mouvement n'a pas été inspiré par la démagogie, mais par la religion. Enfin Vergniaud ne s'est élevé à la grande éloquence, dans quelques passages de son discours pour Louis XVI, que parce que son sujet l'a entraîné dans la région des idées religieuses: les pyramides, les morts, le silence et les tombeaux

1. Nous en avons cité quelques morceaux.

apprend à connoître l'homme tel qu'il est. Le saint ne se confesse point à la terre, il se confesse au ciel; il ne cache rien à celui qui voit tout. C'est un chrétien à genoux dans le tribunal de la pénitence, qui déplore ses fautes, et qui les découvre, afin que le médecin applique le remède sur la plaie. Il ne craint point de fatiguer par des détails celui dont il a dit ce mot sublime: Il est patient, parce qu'il est éternel. Et quel portrait ne nous fait-il point du Dieu auquel il confie ses erreurs!

« Vous êtes infiniment grand, dit-il, infiniment bon, infiniment miséricordieux, infiniment juste; votre beauté est incomparable, votre force irrésistible, votre puissance sans bornes. Toujours en action, toujours en repos, vous soutenez, vous remplissez, vous conservez l'univers; vous aimez sans passion, vous êtes jaloux sans trouble; vous changez vos opérations et jamais vos desseins... Mais que vous dis-je ici, ô mon Dieu ! et que peut-on dire en parlant de vous ? »

Le même homme qui a tracé cette brillante image du vrai Dieu va nous parler à présent avec la plus aimable naïveté des erreurs de sa jeunesse :

« Je partis enfin pour Carthage. Je n'y fus pas plus tôt arrivé que je me vis assiégé d'une foule de coupables amours, qui se présentoient à moi de toutes parts... Un état tranquille me sembloit insupportable, et je ne cherchois que les chemins pleins de piéges et de précipices.

<< Mais mon bonheur eût été d'être aimé aussi bien que d'aimer; car on veut trouver la vie dans ce qu'on aime... Je tombai enfin dans les âlets où je désirois d'être pris: je fus aimé, et je possédai ce que j'aimois. Mais, ô mon Dieu! vous me fites alors sentir votre bonté et votre miséricorde en m'accablant d'amertume; car, au lieu des douceurs que je m'étois promises, je ne connus que jalousie, soupçons, craintes, colère, querelles et emportements. >>

Le ton simple, triste et passionné de ce récit, ce retour vers la Divinité et le calme du ciel au moment où le saint semble le plus agité par les illusions de la terre et par le souvenir des erreurs de sa vie, tout ce mélange de regrets et de repentir est plein de charmes. Nous ne connoissons point de mot de sentiment plus délicat que celui-ci : « Mon bonheur eût été d'être aimé aussi bien que d'aimer, car on veut trouver la vie dans ce qu'on aime. » C'est encore saint Augustin qui a dit cette parole: « Une âme contemplative se fait à elle-même une solitude. » La Cité de Dieu, les épîtres et quelques traités du même Père sont pleins de ces sortes de pensées.

Saint Jérôme brille par une imagination vigoureuse, que n'avoit pu éteindre chez lui une immense érudition. Le recueil de ses lettres est

un des monuments les plus curieux de la littérature des Pères. Ainsi que saint Augustin, il trouva son écueil dans les voluptés du monde.

Il aime à peindre la nature et la solitude. Du fond de sa grotte de Bethléem, il voyoit la chute de l'empire romain: vaste sujet de réflexions pour un saint anachorète! Aussi la mort et la vanité de nos jours sont-elles sans cesse présentes à saint Jérôme!

« Nous mourons et nous changeons à toute heure, écrit-il à un de ses amis, et cependant nous vivons comme si nous étions immortels. Le temps même que j'emploie ici à dicter, il le faut retrancher de mes jours. Nous nous écrivons souvent, mon cher Héliodore; nos lettres passent les mers, et à mesure que le vaisseau fuit notre vie s'écoule : chaque flot en emporte un moment'. »

De même que saint Ambroise est le Fénelon des Pères, Tertullien en est le Bossuet. Une partie de son plaidoyer en faveur de la religion pourroit encore servir aujourd'hui dans la même cause. Chose étrange, que le christianisme soit maintenant obligé de se défendre devant ses enfants, comme il se défendoit autrefois devant ses bourreaux, et que l'Apologétique aux GENTILS soit devenue l'Apologétique aux CHRÉTIENS!

Ce qu'on remarque de plus frappant dans cet ouvrage, c'est le développement de l'esprit humain : on entre dans un nouvel ordre d'idées; on sent que ce n'est plus la première antiquité ou le bégayement de l'homme qui se fait entendre.

Tertullien parle comme un moderne; ses motifs d'éloquence sont pris dans le cercle des vérités éternelles, et non dans les raisons de passion et de circonstance employées à la tribune romaine ou sur la place publique des Athéniens. Ces progrès du génie philosophique sont évidemment le fruit de notre religion. Sans le renversement des faux dieux et l'établissement du vrai culte, l'homme auroit vieilli dans une enfance interminable; car étant toujours dans l'erreur par rapport au premier principe, ses autres notions se fussent plus ou moins ressenties du vice fondamental.

Les autres traités de Tertullien, en particulier ceux de la Patience, des Spectacles, des Martyrs, des Ornements des Femmes et de la Résurrection de la Chair, sont semés d'une foule de beaux traits. « Je ne sais (dit l'orateur en reprochant le luxe aux femmes chrétiennes), je ne sais si des mains accoutumées aux bracelets pourront supporter le poids des chaînes; si des pieds ornés de bandelettes s'accoutumeront à la douleur des entraves. Je crains bien qu'une tête couverte de réseaux de perles et de diamants ne laisse aucune place à l'épée2. » 1. HIERON. Epist.

2. Locum athæ non det. On peut traduire, ne plie sous l'épée. J'ai préféré l'autre

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