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Ces paroles, adressées à des femmes qu'on conduisoit tous les jours à l'échafaud, étincellent de courage et de foi.

Nous regrettons de ne pouvoir citer tout entière l'Épître aux Martyrs, devenue plus intéressante pour nous depuis la persécution de Robespierre « Illustres confesseurs de Jésus-Christ, s'écrie Tertullien, un chrétien trouve dans la prison les mêmes délices que les prophètes trouvoient au désert... Ne l'appelez plus un cachot, mais une solitude. Quand l'âme est dans le ciel, le corps ne sent point la pesanteur des chaînes : elle emporte avec soi tout l'homme! »>

Ce dernier trait est sublime.

C'est du prêtre de Carthage que Bossuet a emprunté ce passage si terrible et si admiré : « Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps: il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue'; tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprime ses malheureux restes! >>

Tertullien étoit fort savant, bien qu'il s'accuse d'ignorance, et l'on trouve dans ses écrits des détails sur la vie privée des Romains qu'on chercheroit vainement ailleurs. De fréquents barbarismes, une latinité africaine, déshonorent les ouvrages de ce grand orateur. Il tombe souvent dans la déclamation, et son goût n'est jamais sûr. « Le style de Tertullien est de fer, disoit Balzac, mais avouons qu'avec ce fer il a forgé d'excellentes armes. >>

Selon Lactance, surnommé le Cicéron chrétien, saint Cyprien est le premier Père éloquent de l'Église latine. Mais saint Cyprien imite presque partout Tertullien, en affoiblissant également les défauts et les beautés de son modèle. C'est le jugement de La Harpe, dont il faut toujours citer l'autorité en critique.

Parmi les pères de l'Église grecque deux seuls sont très-éloquents, saint Chrysostome et saint Basile. Les homélies du premier sur la Mort et sur la Disgráce d'Eutrope sont des chefs-d'œuvre. La diction de saint Chrysostome est pure, mais laborieuse; il fatigue son style à la manière d'Isocrate: aussi Libanius lui destinoit-il sa chaire de rhétorique avant que le jeune orateur fût devenu chrétien.

Avec plus de simplicité, saint Basile a moins d'élévation que saint

sens, comme plus littéral et plus énergique. Spatha, emprunté du grec, est l'étymologie de notre mot épée.

1. Orais. fun. de la duch, d'Orl.

2. Voyez la note XXIX, à la fin du volume.

Chrysostome. Il se tient presque toujours dans le ton mystique et dans la paraphrase de l'Écriture'.

Saint Grégoire de Nazianze, surnommé le Théologien, outre ses ouvrages en prose, nous a laissé quelques poëmes sur les mystères du christianisme.

« Il étoit toujours en sa solitude d'Arianze, dans son pays natal, dit Fleury un jardin, une fontaine, des arbres qui lui donnoient du couvert, faisoient toutes ses délices. Il jeûnoit, il prioit avec abondance de larmes... Ces saintes poésies furent les occupations de saint Grégoire dans sa dernière retraite. Il y fait l'histoire de sa vie et de ses souffrances... Il prie, il enseigne, il explique les mystères et donne des règles pour les mœurs... Il vouloit donner à ceux qui aiment la poésie et la musique des sujets utiles pour se divertir, et ne pas laisser aux païens l'avantage de croire qu'ils fussent les seuls qui pussent réussir dans les belles-lettres 3. >>

Enfin, celui qu'on appeloit le dernier des Pères avant que Bossuet eût paru, saint Bernard, joint à beaucoup d'esprit une grande doctrine. Il réussit surtout à peindre les mœurs, et il avoit reçu quelque chose du génie de Théophraste et de La Bruyère.

« L'orgueilleux, dit-il, a le verbe haut et le silence boudeur; il est dissolu dans la joie, furieux dans la tristesse, déshonnête au dedans, honnête au dehors; il est roide dans sa démarche, aigre dans ses réponses, toujours fort pour attaquer, toujours foible pour se défendre; il cède de mauvaise grâce, il importune pour obtenir; il ne fait pas ce qu'il peut et ce qu'il doit faire, mais il est prêt à faire ce qu'il ne doit pas et ce qu'il ne peut pas

N'oublions pas cette espèce de phénomène du xí siècle, le livre de l'Imitation de Jésus-Christ. Comment un moine renfermé dans son cloître a-t-il trouvé cette mesure d'expression, a-t-il acquis cette fine connoissance de l'homme au milieu d'un siècle où les passions étoient grossières et le goût plus grossier encore? Qui lui avoit révélé dans sa solitude ces mystères du cœur et de l'éloquence? Un seul maître Jésus-Christ.

:

1. On a de lui une lettre fameuse sur la solitude; c'est la première de ses épitres; elle a servi de fondement à sa règle.

2. Il avoit un fils du même nom et de la même sainteté que lui.

3. FLEURY, Hist. Eccl., t. IV, liv. xix, p. 557, chap. ix.

4. De Mor, lib. xxxiv, cap. XVI.

CHAPITRE III.

MASSILLON.

Si nous franchissons maintenant plusieurs siècles, nous arriverons à des orateurs dont les seuls noms embarrassent beaucoup certaines gens; car ils sentent que des sophismes ne suffisent pas pour détruire l'autorité qu'emportent avec eux Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Fléchier, Mascaron, l'abbé Poulle.

Il nous est dur de courir rapidement sur tant de richesses et de ne pouvoir nous arrêter à chacun de ces orateurs. Mais comment choisir au milieu de ces trésors? Comment citer au lecteur des choses qui lui soient inconnues? Ne grossirions-nous pas trop ces pages en les chargeant de ces illustres preuves de la beauté du christianisme? Nous n'emploierons donc pas toutes nos armes; nous n'abuserons pas de nos avantages, de peur de jeter, en pressant trop l'évidence, les ennemis du christianisme dans l'obstination, dernier refuge de l'esprit de sophisme poussé à bout.

Ainsi, nous ne ferons paroître à l'appui de nos raisonnements ni Fénelon, si plein d'onction dans les méditations chrétiennes, ni Bourdaloue, force et victoire de la doctrine évangélique; nous n'appellerons à notre secours ni les savantes compositions de Fléchier ni la brillante imagination du dernier des orateurs chrétiens, l'abbé Poulle. O religion! quels ont été tes triomphes! qui pouvoit douter de ta beauté lorsque Fénelon et Bossuet occupoient tes chaires, lorsque Bourdaloue instruisoit d'une voix grave un monarque alors heureux, à qui dans ses revers le Ciel miséricordieux réservoit le doux Massillon!

Non toutefois que l'évêque de Clermont n'ait en partage que la tendresse du génie : il sait aussi faire entendre des sons mâles et vigoureux. Il nous semble qu'on vanté trop exclusivement son Petit Carême l'auteur y montre sans doute une grande connoissance du cœur humain, des vues fines sur les vices des cours, des moralités écrites avec une élégance qui ne bannit pas la simplicité; mais il y a certainement une éloquence plus pleine, un style plus hardi, des mouvements plus pathétiques et des pensées plus profondes dans quelques-uns de ses autres sermons, tels que ceux sur la mort, sur l'impénitence finale, sur le petit nombre des élus, sur la mort du pécheur, sur la nécessité d'un avenir, sur la Passion de Jésus-Christ. Lisez, par exemple, cette peinture du pécheur mourant:

« Enfin, au milieu de ses tristes efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s'entr'ouvre d'ellemême, tout son esprit frémit, et par ce dernier effort son âme s'arrache avec regret de ce corps de boue, et se trouve seule au pied du tribunal de la pénitence'. >>

A ce tableau de l'homme impie dans la mort joignez celui des choses du monde dans le néant :

« Regardez le monde tel que vous l'avez vu dans vos premières années et tel que vous le voyez aujourd'hui: une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux personnages sont montés sur la scène, les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs; ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros, dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques. Rien ne demeure, tout change, tout s'use, tout s'éteint: Dieu seul demeure toujours le même. Le torrent des siècles qui entraîne tous les siècles coule devant ses yeux, et il voit avec indignation de foibles mortels emportés par ce cours rapide l'insulter en passant. >>

L'exemple de la vanité des choses humaines, tiré du siècle de Louis XIV, qui venoit de finir (et cité peut-être devant des vieillards qui en avoient vu la gloire), est bien pathétique! le mot qui termine la période semble être échappé à Bossuet, tant il est franc et sublime.

Nous donnerons encore un exemple de ce genre ferme d'éloquence qu'on paroît refuser à Massillon, en ne parlant que de son abondance et de sa douceur. Pour cette fois nous prendrons un passage où l'orateur abandonne son style favori, c'est-à-dire le sentiment et les usages, pour n'être qu'un simple argumentateur. Dans le sermon sur la vérité d'un avenir, il presse ainsi l'incrédule:

« Que dirai-je encore? Si tout meurt avec nous, les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles; l'honneur qu'on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu'il est ridicule d'honorer ce qui n'est plus; la religion des tombeaux une illusion vulgaire; les cendres de nos pères et de nos amis une vile poussière qu'il faut jeter au vent et qui n'appartient à personne; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d'une machine qui se dissout; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée; les rois et les souverains, des fantômes que la foiblesse des

1. MASS., Avent, Mort du Pécheur, ire part.

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