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peuples a élevés ; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes; la loi des mariages, un vain scrupule; la pudeur, un préjugé ; l'honneur et la probité, des chimères; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature et des noms que la politique des législateurs a inventés.

« Voilà où se réduit la philosophie sublime des impies; voilà cette force, cette raison, cette sagesse qu'ils nous vantent éternellement. Convenez de leurs maximes, et l'univers entier retombe dans un affreux chaos, et tout est confondu sur la terre, et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées, et les lois les plus inviolables de la société s'évanouissent, et la discipline des mœurs périt, et le gouvernement des États et des empires n'a plus de règle, et toute l'harmonie des corps politiques s'écroule, et le genre humain n'est plus qu'un assemblage d'insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n'ont plus d'autres lois que la force, plus d'autre frein que leurs passions et la crainte de l'autorité, plus d'autre lien que l'irréligion et l'indépendance, plus d'autres dieux qu'eux-mêmes : voilà le monde des impies; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c'est que vous êtes dignes d'y occuper une place. »>

Que l'on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l'on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées; dans les orateurs chrétiens, un ordre d'idées plus général, une connoissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l'antiquité.

Massillon a fait quelques oraisons funèbres; elles sont inférieures à ses autres discours. Son Éloge de Louis XIV n'est remarquable que par la première phrase: « Dieu seul est grand, mes frères! » C'est un beau mot que celui-là, prononcé en regardant le cercueil de Louis le Grand'.

CHAPITRE IV.

BOSSUET ORATEUR.

Mais que dirons-nous de Bossuet comme orateur? à qui le comparerons-nous? et quels discours de Cicéron et de Démosthène ne s'éclipsent point devant ses Oraisons funèbres? C'est pour l'orateur

1. Voyez la note XXX, à la fin du volume

chrétien que ces paroles d'un roi semblent avoir été écrites: L'or et les perles sont assez communs, mais les lèvres savantes sont un vase rare et sans prix'. Sans cesse occupé du tombeau, et comme penché sur les gouffres d'une autre vie, Bossuet aime à laisser tomber de sa bouche ces grands mots de temps et de mort, qui retentissent dans les abîmes silencieux de l'éternité. Il se plonge, il se noie dans des tristesses incroyables, dans d'inconcevables douleurs. Les cœurs, après plus d'un siècle, retentissent encore du fameux cri: Madame se meurt, Madame est morte! Jamais les rois ont-ils reçu de pareilles leçons? jamais la philosophie s'exprima-t-elle avec autant d'indépendance? Le diadème n'est rien aux yeux de l'orateur; par lui le pauvre est égalé au monarque, et le potentat le plus absolu du globe est obligé de s'entendre dire devant des milliers de témoins que ses grandeurs ne sont que vanité, que sa puissance n'est que songe et qu'il n'est lui-même que poussière.

Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet le trait de génie ou d'éloquence; la citation, si bien fondue avec le texte qu'elle ne fait plus qu'un avec lui; enfin, la réflexion ou le coup d'œil d'aigle sur les causes de l'événement rapporté. Souvent aussi cette lumière de l'Église porte la clarté dans la discussion de la plus haute métaphysique ou de la théologie la plus sublime; rien ne lui est ténèbres. L'évêque de Meaux a créé une langue que lui seul a parlée, où souvent le terme le plus simple et l'idée la plus relevée, l'expression la plus commune et l'image la plus terrible servent, comme dans l'Écriture, à se donner des dimensions énormes et frappantes.

Ainsi lorsqu'il s'écrie, en montrant le cercueil de Madame : La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chèrie! la voilà telle que la mort nous l'a faite! pourquoi frissonne-t-on à ce mot si simple, telle que la mort nous l'a faite? C'est par l'opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident inévitable de la mort qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes; c'est parce que ce verbe faire appliqué à la mort, qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l'àme; comme si pour peindre cet événement malheureux les termes avoient changé d'acception et que le langage fût bouleversé comme le cœur.

Nous avons remarqué qu'à l'exception de Pascal, de Bossuet, de Massillon, de La Fontaine, les écrivains du siècle de Louis XIV, faute d'avoir assez vécu dans la retraite, ont ignoré cette espèce do sen

1. Prov., cap. xx, v. 15.

timent mélancolique dont on fait aujourd'hui un si étrange abus. Mais comment donc l'évêque de Meaux, sans cesse au milieu des pompes de Versailles, a-t-il connu cette profondeur de rêverie? C'est qu'il a trouvé dans la religion une solitude; c'est que son corps étoit dans le monde et son esprit au désert; c'est qu'il avoit mis son cœur à l'abri dans les tabernacles sacrés du Seigneur; c'est, comme il l'a dit lui-même de Marie-Thérèse d'Autriche, « qu'on le voyoit courir aux autels pour y goûter avec David un humble repos, et s'enfoncer dans son oratoire, où, malgré le tumulte de la cour, il trouvoit le Carmel d'Élie, le désert de Jean et la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus. »

Les Oraisons funèbres de Bossuet ne sont pas d'un égal mérite, mais toutes sont sublimes par quelque côté. Celle de la reine d'Angleterre est un chef-d'œuve de style et un modèle d'écrit philosophique ct politique.

Celle de la duchesse d'Orléans est la plus étonnante, parce qu'elle est entièrement créée de génie. Il n'y avoit là ni ces tableaux de troubles des nations, ni ces développements des affaires publiques qui soutiennent la voix de l'orateur. L'intérêt que peut inspirer une princesse expirant à la fleur de son âge semble se devoir épuiser vite. Tout consiste en quelques oppositions vulgaires de la beauté, de la jeunesse, de la grandeur et de la mort; et c'est pourtant sur ce fond stérile que Bossuet a bâti un des plus beaux monuments de l'éloquence; c'est de là qu'il est parti pour montrer la misère de l'homme par son côté périssable et sa grandeur par son côté immortel. Il commence par le ravaler au-dessous des vers qui le rongent au sépulcre, pour le peindre ensuite glorieux avec la vertu dans des royaumes incorruptibles.

On sait avec quel génie, dans l'oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l'art oratoire, jusqu'à l'interprétation d'un songe, en même temps qu'il a déployé dans ce discours sa haute capacité pour les abstractions philosophiques.

Si pour Marie-Thérèse et pour le chancelier de France ce ne sont plus les mouvements des premiers éloges, les idées du panégyriste sont-elles prises dans un cercle moins large, dans une nature moins profonde?« Et maintenant, dit-il, ces deux âmes pieuses (Michel Le Tellier et Lamoignon), touchées sur la terre du désir de faire régner les lois, contemplent ensemble à découvert les lois éternelles d'où les nôtres sont dérivées: et si quelques légères traces de nos foibles distinctions paroît encore dans une si simple et si claire vision, elles adorent Dieu en qualité de justice et de règle. »

Au milieu de cette théologie, combien d'autres genres de beautés,

ou sublimes, ou gracieuses, ou tristes, ou charmantes! Voyez le tableau de la Fronde : « La monarchie ébranlée jusqu'aux fondements, la guerre civile, la guerre étrangère, le feu au dedans et au dehors... Étoient-ce là de ces tempêtes par où le ciel a besoin de se décharger quelquefois?... ou bien étoit-ce comme un travail de la France, prête à enfanter le règne miraculeux de Louis'? » Viennent des réflexions sur l'illusion des amitiés de la terre, qui « s'en vont avec les années et les intérêts, » et sur l'obscurité du cœur de l'homme, « qui ne sait jamais ce qu'il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu'il veut, et qui n'est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu'aux

autres. >>

Mais la trompette sonne, et Gustave paroît : « Il paroît à la Pologne. surprise et trahie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle? Où sont ces armes guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? Ni les chevaux ne sont vites. ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur3. » Je passe, et mon oreille retentit de la voix d'un prophète. Est-ce Isaïe, est-ce Jérémie qui apostrophe l'île de la Conférence et les pompes nuptiales de Louis?

« Fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mêler aujourd'hui vos cérémonies, vos pompes avec ces pompes funèbres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines *? >>

Le poëte (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poëte continue de se faire entendre; il ne touche plus la corde inspirée, mais, baissant sa lyre d'un ton jusqu'à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de SainteFare, autant éloignée des voix du siècle que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde; dans cette sainte montagne, que Dieu avoit choisie depuis mille ans, où les épouses de JésusChrist faisoient revivre la beauté des anciens jours; où les joies de la terre étoient inconnues; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paroissoient pas; sous la conduite de la sainte abbesse, qui savoit donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étoient heureux3. >>

1. Orais. fun. d'Anne de Gonz.
4. Orais. fun. de Marie-Thér. ďAutr.

2. Ibid.

3. Ibid.

5. Orais. fun. d'Anne de Gonz,

Cette page, que l'on diroit extraite du livre de Ruth, n'a point épuisé le pinceau de Bossuet; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse. « Michel Le Tellier, dit-il, commença l'hymme des divines miséricordes: MISERICORDIAS DOMINI IN ÆTERNUM CANTABO: Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur. Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique. »

Nous avions cru pendant quelque temps que l'oraison funèbre du prince de Condé, à l'exception du mouvement qui la termine, étoit généralement trop louée; nous pensions qu'il étoit plus aisé, comme il l'est en effet, d'arriver aux formes d'éloquence du commencement de cet éloge qu'à celles de l'oraison de Madame Henriette; mais quand nous avons lu ce discours avec attention; quand nous avons vu l'orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit et donner comme en se jouant un chant d'Homère; quand, se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres; lorsque après avoir mis Condé au cercueil il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros; lorsque, enfin, s'avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe et le siècle de Louis, dont il a l'air de faire les funérailles, prêt à s'abîmer dans l'éternité, à ce dernier effort de l'éloquence humaine les larmes de l'admiration ont coulé de nos yeux et le livre est tombé de nos mains.

CHAPITRE V.

QUE L'INCREDULITÉ EST LA PRINCIPALE CAUSE DE LA DÉCADENCE DU GOUT ET DU GÉNIE.

Ce que nous avons dit jusque ici a pu conduire le lecteur à cette réflexion, que l'incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Quand on ne crut plus rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux, et les muses livrèrent à la barbarie ceux qui n'avoient plus de foi en elles.

Dans un siècle de lumières, on ne sauroit croire jusqu'à quel point les bonnes mœurs sont dépendantes du bon goût et le bon goût des bonnes mœurs. Les ouvrages de Racine, devenant toujours plus purs

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