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LIVRE CINQUIÈME.

HARMONIES DE LA RELIGION CHRÉTIENNE AVEC LES SCÈNES DE LA NATURE ET LES PASSIONS DU CŒUR HUMAIN.

CHAPITRE PREMIER.

DIVISION DES HARMONIES.

Avant de passer à la description du culte, il nous reste à examiner quelques sujets que nous n'avons pu suffisamment développer dans les livres précédents. Ces sujets se rapportent au côté physique ou au côté moral des arts. Ainsi, par exemple, les sites des monastères, les ruines des monuments religieux, etc., tiennent à la partie matérielle de l'architecture, tandis que les effets de la doctrine chrétienne, avec les passions du cœur de l'homme et les tableaux de la nature, rentrent dans la partie dramatique et descriptive de la poésie.

Tels sont les sujets que nous réunissons dans ce livre, sous le titre général d'Harmonies, etc.

CHAPITRE II.

HARMONIES PHYSIQUES. SUITE DES MONUMENTS RELIGIEUX, COUVENTS MARONITES, COPHTES, ETC.

Il y a dans les choses humaines deux espèces de natures, placées l'une au commencement, l'autre à la fin de la société. S'il n'en étoit ainsi, l'homme, en s'éloignant toujours de son origine, seroit devenu une sorte de monstre; mais, par une loi de la Providence, plus il se civilise, plus il se rapproche de son premier état : il advient que la science au plus haut degré est l'ignorance et que les arts parfaits sont la'nature.

Cette dernière nature, ou cette nature de la société, est la plus belle: le génie en est l'instinct, et la vertu l'innocence, car le génie et la

vertu de l'homme civilisé ne sont que l'instinct et l'innocence perfectionnés du sauvage. Or, personne ne peut comparer un Indien du Canada à Socrate, bien que le premier soit, rigoureusement parlant, aussi moral que le second; ou bien il faudroit soutenir que la paix des passions non développées dans l'enfant a la même excellence que la paix des passions domptées dans l'homme; que l'être à pures sensations est égal à l'être pensant, ce qui reviendroit à dire que foiblesse est aussi belle que force. Un petit lac ne ravage pas ses bords, et personne n'en est étonné: son impuissance fait son repos; mais on aime le calme sur la mer, parce qu'elle a le pouvoir des orages, et l'on admire le silence de l'abîme, parce qu'il vient de la profondeur même des

eaux.

Entre les siècles de nature et ceux de civilisation il y en a d'autres, que nous avons nommés siècles de barbarie. Les anciens ne les ont point connus; ils se composent de la réunion subite d'un peuple policé et d'un peuple sauvage. Ces âges doivent être remarquables par la corruption du goût. D'un côté, l'homme sauvage, en s'emparant des arts, n'a pas assez de finesse pour les porter jusqu'à l'élégance, et l'homme social pas assez de simplicité pour redescendre à la seule

nature.

On ne peut alors espérer rien de pur que dans les sujets où une cause morale agit par elle-même, indépendamment des causes temporaires. C'est pourquoi les premiers solitaires, livrés à ce goût délicat et sûr de la religion, qui ne trompe jamais lorsqu'on n'y mêle rien d'étranger, ont choisi dans les diverses parties du monde les sites les plus frappants pour y fonder leurs monastères'. Il n'y a point d'ermite qui ne saisisse aussi bien que Claude le Lorrain ou Le Nôtre le rocher où il doit placer sa grotte.

On voit çà et là, dans la chaîne du Liban, des couvents maronites bâtis sur des abîmes. On pénètre dans les uns par de longues cavernes, dont on ferme l'entrée avec des quartiers de roche; on ne peut monter dans les autres qu'au moyen d'une corbeille suspendue. Le fleuve saint sort du pied de la montagne; la forêt de cèdres noirs domine le tableau, et elle est elle-même surmontée par des croupes arrondies, que la neige drape de sa blancheur. Le miracle ne s'achève qu'au moment où l'on arrive au monastère : au dedans sont des vignes, des ruisseaux, des bocages; au dehors, une nature horrible, et la terre qui se perd et s'enfuit avec ses fleuves, ses campagnes et ses mers, dans de bleuâtres profondeurs. Nourris par la religion, entre la terre

1. Voyez la note XXXV, à la fin du volume,

et le firmament, sur ces roches escarpées, c'est là que de pieux solitaires prennent leur vol vers le ciel comme les aigles de la montagne.

Les cellules rondes et séparées des couvents égyptiens sont renfermées dans l'enceinte d'un mur qui les défend des Arabes. Du haut de la tour bâtie au milieu de ces couvents on découvre des landes de sable d'où s'élèvent les têtes grisâtres des pyramides, ou des bornes qui marquent le chemin au voyageur. Quelquefois une caravane abyssinienne, des Bedouins vagabonds, passent dans le lointain à l'un des horizons de la mouvante étendue; quelquefois le souffle du midi noie la perspective dans une atmosphère de poudre. La lune éclaire un sol nu où des brises muettes ne trouvent pas même un brin d'herbe pour en former une voix. Le désert sans arbres se montre de toutes parts sans ombre; ce n'est que dans les bâtiments du monastère qu'on retrouve quelques voiles de la nuit.

Sur l'isthme de Panama en Amérique, le cénobite peut contempler du faîte de son couvent les deux mers qui baignent les deux rives du Nouveau Monde : l'une souvent agitée quand l'autre repose, et présentant aux méditations le double tableau du calme et de l'orage.

Les couvents situés dans les Andes voient s'aplanir au loin les flots de l'océan Pacifique. Un ciel transparent abaisse le cercle de ses horizons sur la terre et sur les mers, et semble enfermer l'édifice de la religion sous un globe de cristal. La fleur capucine, remplaçant le lierre religieux, brode de ses chiffres de pourpre les murs sacrés; le Lamaz traverse le torrent sur un pont flottant de lianes, et le Péruvien infortuné vient prier le Dieu de Las Casas.

Tout le monde a vu en Europe de vieilles abbayes cachées dans les bois où elles ne se décèlent aux voyageurs que par leurs clochers perdus dans la cime des chênes. Les monuments ordinaires reçoivent leur grandeur des paysages qui les environnent; la religion chrétienne embellit au contraire le théâtre où elle place ses autels et suspend ses saintes décorations. Nous avons parlé des couvents européens dans l'istoire de René et retracé quelques-uns de leurs effets au milieu des scènes de la nature; pour achever de montrer au lecteur ces monuments, nous lui donnerons ici un morceau précieux que nous devons à l'amitié. L'auteur y a fait de si grands changements, que c'est, pour ainsi dire, un nouvel ouvrage. Ces beaux vers prouveront aux poëtes que leurs muses gagneroient plus à rêver dans les cloîtres qu'à se faire l'écho de l'impiété

LA CHARTREUSE DE PARIS,

Vieux cloître où de Bruno les disciples cachés
Renferment tous leurs vœux sur le ciel attachés;
Cloitre saint, ouvre-moi tes modestes portiques.
Laisse-moi m'égarer dans ces jardins rustiques
Où venoit Catinat méditer quelquefois,
Heureux de fuir la cour et d'oublier les rois.

J'ai trop connu Paris: mes légères pensées,
Dans son enceinte immense au hasard dispersées,
Veulent enfin rejoindre et lier tous les jours
Leur fil demi-formé, qui se brise toujours.
Seul, je viens recueillir mes vagues rêveries.
Fuyez, brillants remparts, pompeuses Tuileries,
Louvre, dont le portique à mes yeux éblouis
Vante après cent hivers la grandeur de Louis!
Je préfère ces lieux où l'âme, moins distraite,
Même au sein de Paris peut goûter la retraite :
La retraite me plaît, elle eut mes premiers vers.
Déjà, de feux moins vifs éclairant l'univers,
Septembre loin de nous s'enfuit et décolore
Cet éclat dont l'année un moment brille encore.
Il redouble la paix qui m'attache en ces lieux;
Son jour mélancolique et si doux à nos yeux,
Son vert plus rembruni, son grave caractère,
Semblent se conformer au deuil du monastère.
Sous ces bois jaunissants j'aime à m'ensevelir,
Couché sur un gazon qui commence à pâlir,
Je jouis d'un air pur, de l'ombre et du silence.

Ces chars tumultueux où s'assied l'opulence,
Tous ces travaux, ce peuple à grands flots agité,
Ces sons confus qu'élève une vaste cité,
Des enfants de Bruno ne troublent point l'asile ;
Le bruit les environne, et leur âme est tranquille.
Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants,
Le fantôme du siècle emporté par le temps
Passe et roule autour d'eux ses pompes mensongères.
Mais c'est en vain : du siècle ils ont fui les chimères :
Hormis l'éternité, tout est songe pour eux.
Vous déplorez pourtant leur destin malheureux!
Quel préjugé funeste à des lois si rigides
Attacha, dites-vous, ces pieux suicides?

Ils meurent longuement, rongés d'un noir chagring
L'autel garde leurs vœux sur des tables d'airai.,
Et le seul désespoir habite leurs cellules.

Eh bien, vous qui plaignez ces victimes crédules,
Pénétrez avec moi ces murs religieux :

N'y respirez-vous pas l'air paisible des cieux?
Vos chagrins ne sont plus, vos passions se taisent,
Et du cloître muet les ténèbres vous plaisent.

Mais quel lugubre son, du haut de cette tour,
Descend et fait frémir les dortoirs d'alentour?
C'est l'airain qui, du temps formidable interprète,
Dans chaque heure qui fuit, à l'humble anachorete
Redit en longs échos: Songe au dernier moment!

Le son sous cette voûte expire lentement,
Et, quand il a cessé, l'âme en frémit encore.

La méditation qui, seule dès l'aurore,

Dans ces sombres parvis marche en baissant son œil.
A ce signal s'arrête et lit sur un cercueil
L'épitaphe à demi par les ans effacée

Qu'un gothique écrivain dans la pierre a tracée.
O tableaux éloquents! oh! combien à mon cœur
Plaît ce dôme noirci d'une divine horreur,
Et le lierre embrassant ces débris de murailles
Où croasse l'oiseau chantre des funérailles !
Les approches du soir, et ces ifs attristés
Où glissent du soleil les dernières clartés,
Et ce buste pieux que la mousse environne,
Et la cloche d'airain à l'accent monotone,

Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts
Sortir d'un long silence et monter dans les airs;
Un martyr dont l'autel a conservé les restes,
Et le gazon qui croît sur ces tombeaux modestes
Où l'heureux cénobite a passé sans remord
Du silence du cloître à celui de la mort!

Cependant sur ces murs l'obscurité s'abaisse,

Leur deuil est redoublé, leur ombre est plus épaisse;

Les hauteurs de Meudon me cachent le soleil,

Le jour meurt, la nuit vient; le couchant, moins vermei
Voit pålir de ses feux la dernière étincelle.

Tout à coup se rallume une aurore nouvelle
Qui monte avec lenteur sur les dômes noircis

De ce palais voisin qu'éleva Médicis ';

Elle en blanchit le faîte, et ma vue enchantée

Reçoit par ces vitraux la lueur argentée.

L'astre touchant des nuits verse du haut des cieux

Sur les tombes du cloître un jour mystérieux,

Et semble y réfléchir cette douce lumière

Qui des morts bienheureux doit charmer la paupiere.

Ici je ne vois plus les horreurs du trépas :

Son aspect attendrit et n'épouvante pas.

Me trompé-je? Écoutons: sous ces voûtes antiques
Parviennent jusqu'à moi d'invisibles cantiques.

1. Le Luxembourg.

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