Et la religion, le front voilé, descend; Maintenant, du milieu de cette paix profonde, C'est là qu'ils se cachoient, et les chrétiens fidèles, Vivant avec Dieu seul dans leurs pieux tombeaux, Et que dis-je? accablé de l'horreur de ses crimes, Je vois dans les débris de Thèbes, de Carthage, Leur porte, au nom du ciel, un message de paix. Il entre déguisé sous les voiles du deuil ; Au Dieu consolateur en pleurant il se donne ; A Comminge, à Rancé, Dieu sans doute pardonne : A Comminge, à Rancé, qui ne doit quelques pleurs? Et des feux que tu peins son feu s'accroît encore. Des leçons du tombeau, des menaces suprêmes! Ces murs, ces longs dortoirs, se couvrent d'anathèmes, De sentences de mort qu'aux yeux épouvantés L'ange exterminateur écrit de tous côtés; Je lis à chaque pas : Dieu, l'enfer, la vengeance. 1. Héloise vivoit dans le cloître Notre-Dame; on y voit encore la maison de son oncle le chanoine Fulbert. Cloitre sombre, où l'amour est proscrit par le ciel, Chercha le saint repos, leur long recueillement : Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs; CHAPITRE III. LES RUINES EN GÉNÉRAL. - QU'IL Y EN A DE DEUX ESPÈCES. De l'examen des sites des monuments chrétiens nous passons aux effets des ruines de ces monuments. Elles fournissent au cœur de majestueux souvenirs et aux arts des compositions touchantes. Consacrons quelques pages à cette poétique des morts. Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. Il s'y joint en outre une idée qui console notre petitesse, en voyant que des peuples entiers, des hommes quelquefois si fameux, n'ont pu vivre cependant au delà du peu de jours assignés à notre obscurité. Ainsi les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature; quand elles sont placées dans un tableau, en vain on cherche à porter les yeux autre part : ils reviennent toujours s'attacher sur elles. Et pourquoi les ouvrages des hommes ne passeroient-ils pas, quand le soleil qui les éclaire doit lui-même tomber de sa voûte? Celui qui le plaça dans les cieux est le seul souverain dont l'empire ne connoisse point de ruines. Il y a deux sortes de ruines: l'une, ouvrage du temps; l'autre, ouvrage des hommes. Les premières n'ont rien de désagréable, parce que la nature travaille auprès des ans. Font-ils des décombres, elle y sème des fleurs; entr'ouvrent-ils un tombeau, elle y place le nid d'une colombe: sans cesse occupée à reproduire, elle environne la mort des plus douces illusions de la vie. Les secondes ruines sont plutôt des dévastations que des ruines; elles n'offrent que l'image du néant, sans une puissance réparatrice. Ouvrage du malheur et non des années, elles ressemblent aux cheveux blancs sur la tête de la jeunesse. Les destructions des hommes sont d'ailleurs plus violentes et plus complètes que celles des âges; les seconds minent, les premiers renversent. Quand Dieu, pour des raisons qui nous sont inconnues, veut hâter les ruines du monde, il ordonne au Temps de prêter sa faux à l'homme, et le temps nous voit avec épouvante ravager dans un clin d'œil ce qu'il eût mis des siècles à détruire. Nous nous promenions un jour derrière le palais du Luxembourg, et nous nous trouvâmes près de cette même Chartreuse que M. de Fontanes a chantée. Nous vîmes une église dont les toits étaient enfoncés, les plombs des fenêtres arrachés, et les portes fermées avec des planches mises debout. La plupart des autres bâtiments du monastère n'existoient plus. Nous nous promenâmes longtemps au milieu des pierres sépulcrales de marbre noir semées çà et là sur la terre ; les unes étoient totalement brisées, les autres offroient encore quelques restes d'épitaphes. Nous entrâmes dans le cloître intérieur : deux pruniers sauvages y croissoient parmi de hautes herbes et des décombres. Sur les murailles on voyoit des peintures, à demi effacées, représentant la vie de saint Bruno; un cadran étoit resté sur un des pignons de l'église, et dans le sanctuaire, au lieu de cette hymne de paix qui s'élevoit jadis en l'honneur des morts, on entendoit crier l'instrument du manœuvre qui scioit des tombeaux. Les réflexions que nous fîmes dans ce lieu, tout le monde les peut faire. Nous en sortîmes le cœur flétri, et nous nous enfonçâmes dans le faubourg voisin, sans savoir où nous allions. La nuit approchoit : comme nous passions entre deux murs dans une rue déserte, tout à coup le son d'un orgue vint frapper notre oreille, et les paroles du cantique Laudate Dominum, omnes gentes, sortirent du fond d'une église voisine; c'étoit alors l'octave du Saint-Sacrement. Nous ne saurions peindre l'émotion que nous causèrent ces chants religieux; nous crûmes ouïr une voix du ciel qui disoit : « Chrétien sans foi, pourquoi perds-tu l'espérance? Crois-tu donc que je change mes desseins comme les hommes ; que j'abandonne parce que je punis? Loin d'accuser mes décrets, imite ces serviteurs fidèles qui bénissent les coups de ma main jusque sous les débris où je les écrase. »> Nous entrâmes dans l'église au moment où le prêtre donnoit la bénédiction. De pauvres femmes, des vieillards, des enfants étoient prosternés. Nous nous précipitâmes sur la terre, au milieu d'eux; nos larmes couloient; nous dîmes, dans le secret de notre cœur : Pardonne, Ô Seigneur, si nous avons murmuré en voyant la désolation de ton temple; pardonne à notre raison ébranlée! L'homme n'est lui-même qu'un édifice tombé, qu'un débris du péché et de la mort; son amour tiède, sa foi chancelante, sa charité bornée, ses sentiments incomplets, ses pensées insuffisantes, son cœur brisé, tout chez lui n'est que ruines! CHAPITRE IV. EFFET PITTORESQUE DES RUINES. D'ÉGYPTE, ETC. RUINES DE PALMYRE, Les ruines, considérées sous le rapport du paysage, sont plus pittoresques dans un tableau que le monument frais et entier. Dans les temples que les siècles n'ont point percés les murs masquent une partie du site et des objets extérieurs, et empêchent qu'on ne distingue les colonnades et les cintres de l'édifice; mais quand ces temples viennent à crouler, il ne reste que des débris isolés, entre lesquels l'œil découvre au haut et au loin les astres, les nues, les montagnes, les fleuves et les forêts. Alors, par un jeu de l'optique, l'horizon recule et les galeries suspendues en l'air se découpent sur les fonds du ciel et de la terre. Ces effets n'ont point été inconnus des anciens: ils élevoient des cirques sans masses pleines, pour laisser un libre accès aux illusions de la perspective. Les ruines ont ensuite des harmonies particulières avec leurs déserts, selon le style de leur architecture, les lieux où elles sont placées et les règnes de la nature au méridien qu'elles occupent. Dans les pays chauds, peu favorables aux herbes et aux mousses, elles sont privées de ces graminées qui décorent nos châteaux gothiques et nos vieilles tours; mais aussi de plus grands végétaux se marient aux plus grandes formes de leur architecture. A Palmyre, le dattier fend les têtes d'homme et de lion qui soutiennent les chapiteaux du temple du Soleil; le palmier remplace par sa colonne la colonne tombée, et le pêcher, que les anciens consacroient à Harpocrate, s'élève dans la demeure du silence. On y voit encore une espèce d'arbre dont le feuillage échevelé et les fruits en cristaux forment 1. Voyez la note XXXVI, à la fin du volume. |