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Christ, qui n'est plus un signe de douleur, mais une marque de joie A pas lents s'avance sur deux files une longue suite de ces époux de la solitude, de ces enfants du torrent et du rocher, dont l'antique vêtement retrace à la mémoire d'autres mœurs et d'autres siècles. Le clergé séculier vient après ces solitaires; quelquefois des prélats, revêtus de la pourpre romaine, prolongent encore la chaîne religieuse. Enfin le pontife de la fête apparoît seul dans le lointain. Ses mains soutiennent la radieuse Eucharistie, qui se montre sous un dais à l'extrémité de la pompe, .comme on voit quelquefois le soleil briller sous un nuage d'or au bout d'une avenue illuminée de ses feux.

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Cependant des groupes d'adolescents marchent entre les rangs de la procession les uns présentent les corbeilles de fleurs, les autres les vases des parfums. Au signal répété par le maître des pompes, les choristes se retournent vers l'image du Soleil éternel et font voler des roses effeuillées sur son passage. Des lévites, en tuniques blanches, balancent l'encensoir devant le Très-Haut. Alors des chants s'élèvent le long des lignes saintes; le bruit des cloches et le roulement des canons annoncent que le Tout-Puissant a franchi le scuil de son temple. Par intervalles, les voix et les instruments se taient, et un silence aussi majestueux que celui des grandes mers' dans un jour de calme règne parmi cette multitude recueillie on n'entend plus que ses pas mesurés sur les pavés retentissants.

Mais où va-t-il, ce Dieu redoutable dont les puissances de la terre proclament ainsi la majesté? Il va se reposer sous des tentes de lin, sous des arches de feuillages, qui lui présentent, comme au jour de l'ancienne alliance, des temples innocents et des retraites champêtres. Les humbles de cœur, les pauvres, les enfants le précèdent; les juges, les guerriers, les potentats le suivent. Il marche entre la simplicité et la grandeur, comme, en ce mois qu'il a choisi pour sa fête, il se montre aux hommes entre la saison des fleurs et celle des foudres.

Les fenêtres et les murs de la cité sont bordés d'habitants dont le cœur s'épanouit à cette fête du Dieu de la patrie : le nouveau-né tend les bras au Jésus de la montagne, et le vieillard, penché vers la tombe, se sent tout à coup délivré de ses craintes; il ne sait quelle assurance de vie le remplit de joie à la vue du Dieu vivant.

Les solennités du christianisme sont coordonnées d'une manière dmirable aux scènes de la nature. La fête du Créateur arrive au moment où la terre et le ciel déclarent sa puissance, où les bois et les champs fourmillent de générations nouvelles : tout est uni par le

1. Bibl. Sucr.

plus doux liens; il n'y a pas une seule plante veuve dans les campagnes.

La chute des feuilles, au contraire, amène la fête des Morts pour l'homme qui tombe comme les feuilles des bois.

Au printemps, l'Église déploie dans nos hameaux une autre pompe. La Fête-Dieu convient aux splendeurs des cours, les Rogations aux naïvetés du village. L'homme rustique sent avec joie son âme s'ouvrir aux influences de la religion et sa glèbe aux rosées du ciel heureux celui qui portera des moissons utiles et dont le cœur humble s'inclinera sous ses propres vertus, comme le chaume sous le grain dont il est chargé!

CHAPITRE VIII.

LES ROGATIONS.

Les cloches du hameau se font entendre, les villageois quittent leurs travaux le vigneron descend de la colline, le laboureur accourt de la plaine, le bûcheron sort de la forêt; les mères, fermant leurs cabanes, arrivent avec leurs enfants, et les jeunes filles laissent leurs fuseaux, leurs brebis et les fontaines pour assister à la fête.

On s'assemble dans le cimetière de la paroisse, sur les tombes verdoyantes des aïeux. Bientôt on voit paroître tout le clergé destiné à la cérémonie : c'est un vieux pasteur qui n'est connu que sous le nom de curé, et ce nom vénérable, dans lequel est venu se perdre le sien, indique moins le ministre du temple que le père laborieux du troupeau. Il sort de sa retraite, bâtie auprès de la demeure des morts, dont il surveille la cendre. Il est établi dans son presbytère comme une garde avancée aux frontières de la vie, pour recevoir ceux qui entrent et ceux qui sortent de ce royaume des douleurs. Un puits, des peupliers, une vigne autour de sa fenêtre, quelques colombes, composent l'héritage de ce roi des sacrifices.

Cependant l'apôtre de l'Évangile, revêtu d'un simple surplis, assemble ses ouailles devant la grande porte de l'église; il leur fait un discours, fort beau sans doute, à en juger par les larmes de l'assistance. On lui entend souvent répéter: Mes enfants, mes chers enfants, tout le secret de l'éloquence du Chrysostome champêtre. Après l'exhortation, l'assemblée commence à marcher en chantant: « Vous sortirez avec plaisir, et vous serez reçu avec joie; les collines bondiront et vous entendront avec joie. » L'étendard des saints, antique bannière des temps chevaleresques, ouvre la carrière au troupeau, qui

suit pêle-mêle avec son pasteur. On entre dans des chemins ombragés et coupés profondément par la roue des chars rustiques; on franchit de hautes barrières formées d'un seul tronc de chêne; on voyage le long d'une haie d'aubépine où bourdonne l'abeille et où sifflent les bouvreuils et les merles. Les arbres sont couverts de leurs fleurs ou parés d'un naissant feuillage. Les bois, les vallons, les rivières, les rochers entendent tour à tour les hymnes des laboureurs. Étonnés de ces cantiques, les hôtes des champs sortent des blés nouveaux, eɩ s'arrêtent à quelque distance pour voir passer la pompe villageoise.

La procession rentre enfin au hameau. Chacun retourne à son ouvrage la religion n'a pas voulu que le jour où l'on demande à Dieu les biens de la terre fût un jour d'oisiveté. Avec quelle espérance on enfonce le soc dans le sillon, après avoir imploré celui qui dirige le soleil et qui garde dans ses trésors les vents du midi et les tièdes ondées! Pour bien achever un jour si saintement commencé, les anciens du village viennent, à l'entrée de la nuit, converser avec le curé, qui prend son repas du soir sous les peupliers de sa cour. La lune répand alors les dernières harmonies sur cette fête que ramènent chaque année le mois le plus doux et le cours de l'astre le plus mystérieux. On croit entendre de toutes parts les blés germer dans la terre et les plantes croître et se développer; des voix inconnues s'élèvent dans le silence des bois, comme le chœur des anges champêtres dont on a imploré le secours, et les soupirs du rossignol parviennent à l'oreille des vieillards assis non loin des tombeaux'.

CHAPITRE IX.

I E QUELQUES FÊTES CHRÉTIENNES.

LES ROIS, NOEL, ETC.

Ceux qui n'ont jamais reporté leur cœur vers ces temps de foi où un acte de religion étoit une fête de famille, et qui méprisent des plaisirs qui n'ont pour eux que leur innocence, ceux-là, sans mentir, sont bien à plaindre. Du moins, en nous privant de ces simples amusements, nous donneront-ils quelque chose? Hélas! ils l'ont essayé. La Convention eut ses jours sacrés: alors la famine étoit appelée sainte, et l'Hosannah étoit changé dans le cri de vive la mort! Chose étrange! des hommes puissants, parlant au nom de l'égalité et des passions, n'ont jamais pu fonder une fête, et le saint le plus obscur

1. Voyez la note XLIII, à la fin du volume.

qui n'avoit jamais prêché que pauvreté, obéissance, renoncement aux biens de la terre, avoit sa solennité au moment même où la pratique de son culte exposoit la vie. Apprenons par là que toute fête qui se rallie à la religion et à la mémoire des bienfaits est la seule qui soit durable. Il ne suffit pas de dire aux hommes : Rėjouissez-vous, pour qu'ils se réjouissent: on ne crée pas des jours de plaisir comme des jours de deuil, et l'on ne commande pas les ris aussi facilement qu'on peut faire couler les larmes.

Tandis que la statue de Marat remplaçoit celle de saint Vincent de Paul, tandis qu'on célébroit ces pompes dont les anniversaires seront marqués dans nos fastes comme des jours d'éternelle douleur, quelque pieuse famille chômoit en secret une fête chrétienne, et la religion mêloit encore un peu de joie à tant de tristesse. Les cœurs simples ne se rappellent point sans attendrissement ces heures d'épanchement où les familles se rassembloient autour des gâteaux qui retraçoient les présents des Mages. L'aïeul, retiré pendant le reste de l'année au fond de son appartement, reparoissoit dans ce jour comme la divinité du foyer paternel. Ses petits-enfants, qui depuis longtemps ne rêvoient que la fête attendue, entouroient ses genoux et le rajeunissoient de leur jeunesse. Les fronts respiroient la gaieté, les cœurs étoient épanouis; la salle du festin étoit merveilleusement décorée, et chacun prenoit un vêtement nouveau. Au choc des verres, aux éclats de la joie, on tiroit au sort ces royautés qui ne coûtoient ni soupirs ni larmes; on se passoit ces sceptres qui ne pesoient point dans la main de celui qui les portoit. Souvent une fraude, qui redoubloit l'allégresse des sujets et n'excitoit que les plaintes de la souveraine, faisoit tomber la fortune. à la fille du lieu et au fils du voisin, dernièrement arrivé de l'armée. Les jeunes gens rougissoient, embarrassés qu'ils étoient de leur couronne; les mères sourioient, et l'aïeul vidoit sa coupe à la nouvelle reine.

Or, le curé présent à la fête recevoit, pour la distribuer avec d'autres secours, cette première part appelée la part des pauvres. Des jeux de l'ancien temps, un bal dont quelque vieux serviteur étoit le premier musicien, prolongeoient les plaisirs, et la maison entière, nourrices, enfants, fermiers, domestiques et maîtres, dansoient ensemble la ronde antique.

Ces scènes se répétoient dans toute la chrétienté; depuis le palais jusqu'à la chaumière, il n'y avoit point de laboureur qui ne trouvât moyen d'accomplir ce jour-là le souhait du Béarnois. Et quelle succession de jours heureux! Noël, le premier jour de l'an, la fête des Mages, les plaisirs qui précèdent la pénitence! En ce temps-là les fer

miers renouveloient leur bail, les ouvriers recevoient leur paiement; c'étoit le moment des mariages, des présents, des charités, des visites. le client voyoit le juge, le juge le client; les corps de métiers, les confréries, les prévôtés, les cours de justice, les universités, les mairies, s'assembloient selon les usages gaulois et de vieilles cérémonies; l'infirme et le pauvre étoient soulagés. L'obligation où l'on étoit de recevoir son voisin à cette époque faisoit qu'on vivoit bien avec lui le reste de l'année, et par ce moyen la paix et l'union régnoient dans la société.

On ne peut douter que ces institutions ne servissent puissamment au maintien des mœurs, en entretenant la cordialité et l'amour entre les parents. Nous sommes déjà bien loin de ces temps où une femme à la mort de son mari venoit trouver son fils aîné, lui remettoit les clefs et lui rendoit les comptes de la maison comme au chef de la famille. Nous n'avons plus cette haute idée de la dignité de l'homme que nous inspiroit le christianisme. Les mères et les enfants aiment mieux tout devoir aux articles d'un contrat que de se fier aux sentiments de la nature, et la loi est mise partout à la place des mœurs.

Ces fêtes chrétiennes avoient d'autant plus de charmes qu'elles existoient de toute antiquité, et l'on trouvoit avec plaisir, en remontant dans le passé, que nos aïeux s'étoient réjouis à la même époque que nous. Ces fêtes étant d'ailleurs très-multipliées, il en résultoit encore que, malgré les chagrins de la vie, la religion avoit trouvé moyen de donner de race en race à des millions d'infortunés quelques moments de bonheur.

Dans la nuit de la naissance du Messie, les troupes d'enfants qui adoroient la crèche, les églises illuminées et parées de fleurs, le peuple qui se pressoit autour du berceau de son Dieu, les chrétiens qui, dans une chapelle retirée, faisoient leur paix avec le Ciel, les alleluia joyeux, le bruit de l'orgue et des cloches, offroient une pompe pleine d'innocence et de majesté.

Immédiatement après le dernier jour de folie, trop souvent marqué par nos excès, venoit la cérémonie des Cendres, comme la mort le lendemain des plaisirs. « O homme ! disoit le prêtre, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » L'officier qui se tenoit auprès des rois de Perse pour leur rappeler qu'ils étoient mortels, ou le soldat romain qui abaissoit l'orgueil du triomphateur, ne donnoit pas de plus puissantes leçons.

Un volume ne suffiroit pas pour peindre en détail les seules céré monies de la Semaine-Sainte; on sait de quelle magnificence elles étoient dans la capitale du monde chrétien aussi nous n'entrepren

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