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qui a rendu une femme maîtresse des siens; on craint avec raison de se confier au prêtre qui a rompu son contrat de fidélité avec Dieu, et répudié le Créateur pour épouser la créature.

Il ne reste plus qu'à répondre à l'objection que l'on tire de la loi générale de la population.

Or, il nous paroît qu'une des premières lois naturelles qui dut s'abolir à la nouvelle alliance fut celle qui favorisoit la population au delà de certaines bornes. Autre fut Jésus-Christ, autre Abraham : celui-ci parut dans un temps d'innocence, dans un temps où la terre manquoit d'habitants; Jésus-Christ vint, au contraire, au milieu de la corruption des hommes, et lorsque le monde avoit perdu sa solitude. La pudeur peut donc fermer aujourd'hui le sein des femmes ; la seconde Ève, en guérissant les maux dont la première avoit été frappée, a fait descendre la virginité du ciel pour nous donner une idée de cet état de pureté et de joie qui précéda les antiques douleurs de la mère.

Le législateur des chrétiens naquit d'une vierge, et mourut vierge. N'a-t-il pas voulu nous enseigner par là, sous les rapports politiques et naturels, que la terre étoit arrivée à son complément d'habitants, et que, loin de multiplier les générations, il faudroit désormais les restreindre? A l'appui de cette opinion, on remarque que les États ne périssent jamais par le défaut, mais par le trop grand nombre d'hommes. Une population excessive est le fléau des empires. Les barbares du Nord ont dévasté le globe quand leurs forêts ont été remplies; la Suisse étoit obligée de verser ses industrieux habitants aux royaumes étrangers, comme elle leur verse ses rivières fécondes; et sous nos propres yeux, au moment même où la France a perdu tant de laboureurs, la culture n'en paroît que plus florissante. Hélas! misérables insectes que nous sommes! bourdonnant autour d'une coupe d'absinthe, où par hasard sont tombées quelques gouttes de miel, nous nous dévorons les uns les autres lorsque l'espace vient à manquer à notre multitude. Par un malheur plus grand encore, plus nous nous multiplions, plus il faut de champ à nos désirs. De ce terrain qui diminue toujours, et de ces passions qui augmentent sans cesse, doivent résulter tôt ou tard d'effroyables révolutions'.

Au reste, les systèmes s'évanouissent devant des faits. L'Europe est-elle déserte parce qu'on y voit un clergé catholique qui a fait vœu de célibat? Les monastères mêmes sont favorables a la société, parce que les religieux, en consommant leurs denrées sur les lieux,

1. Voyez la note III, à la fin du volume.

répandent l'abondance dans la cabane du pauvre. Où voyoit-on en France des paysans bien vêtus et des laboureurs dont le visage annonçoit l'abondance et la joie, si ce n'étoit dans la dépendance de quelque riche abbaye? Les grandes propriétés n'ont-elles pas toujours cet effet; et les abbayes étoient-elles autre chose que des Jomaines où les propriétaires résidoient? Mais ceci nous mèneroit rop loin, et nous y reviendrons lorsque nous traiterons des ordres monastiques. Disons pourtant encore que le clergé favorisoit la population, en prêchant la concorde et l'union entre les époux, en arrê tant les progrès du libertinage, et en dirigeant les foudres de l'Église contre le système du petit nombre d'enfants, adopté par le peuple des villes.

Enfin, il semble à peu près démontré qu'il faut dans un grand État des hommes qui, séparés du reste du monde et revêtus d'un caractère auguste, puissent, sans enfants, sans épouse, sans les embarras du siècle, travailler aux progrès des lumières, à la perfection de la morale et au soulagement du malheur. Quels miracles nos prêtres et nos religieux n'ont-ils point opérés sous ces trois rapports dans la société! Qu'on leur donne une famille, et ces études et cette charité qu'ils consacroient à leur patrie, ils les détourneront au profit de leurs parents; heureux même, si, de vertus qu'elles sont, ils ne les transforment en vices !

Voilà ce que nous avions à répondre aux moralistes sur le célibat des prêtres. Voyons si nous trouverons quelque chose pour les poëtes: ici il nous faut d'autres raisons, d'autres autorités et un autre style.

CHAPITRE IX.

SUR LE SACREMENT D'ORDRE.

La plupart des sages de l'antiquité ont vécu dans le célibat; on sait combien les gymnosophistes, les brahmanes, les druides, ont tenu la chasteté à honneur. Les sauvages mêmes la regardent comme céleste: car les peuples de tous les temps et de tous les pays n'ont eu qu'un sentiment sur l'excellence de la virginité. Chez les anciens, les prêtres et les prêtresses, qui étoient censés commercer intimement avec le Ciel, devoient vivre solitaires; la moindre atteinte portée à leurs vœux étoit suivie d'un châtiment terrible. On n'offroit aux dieux que des génisses qui n'avoient point encore été mères. Ce qu'il y avoit de

plus sublime et de plus doux dans la fable possédoit la virginité; on la donnoit à Vénus-Uranie et à Minerve, déesses du génie et de la sagesse; l'Amitié étoit une adolescente, et la Virginité elle-même, personnifiée sous les traits de la Lune, promenoit sa pudeur mystérieuse dans les frais espaces de la nuit.

Considérée sous ses autres rapports, la virginité n'est pas moins aimable. Dans les trois règnes de la nature, elle est la source des grâces et la perfection de la beauté. Les poëtes, que nous voulons surtout convaincre ici, nous serviront d'autorité contre eux-mêmes. Ne se plaisent-ils pas à reproduire partout l'idée de la virginité comme un charme à leurs descriptions et à leurs tableaux? Ils la retrouvent ainsi au milieu des campagnes, dans les roses du printemps et dans la neige de l'hiver; et c'est ainsi qu'ils la placent aux deux extrémités de la vie, sur les lèvres de l'enfant et sur les cheveux du vieillard. Ils la mêlent encore aux mystères de la tombe, et ils nous parlent de l'antiquité qui consacroit aux mânes des arbres sans semence, parce que la mort est stérile, ou parce que dans une autre vie les sexes sont inconnus, et que l'âme est une vierge immortelle. Enfin ils nous disent que, parmi les animaux, ceux qui se rapprochent le plus de notre intelligence sont voués à la chasteté. Ne croiroit-on pas en effet reconnoître dans la ruche des abeilles le modèle de ces monastères où des vestales composent un miel céleste avec la fleur des vertus?

Quant aux beaux-arts, la virginité en fait également les charmes, et les muses lui doivent leur éternelle jeunesse. Mais c'est surtout dans l'homme qu'elle déploie son excellence. Saint Ambroise a composé trois traités sur la virginité; il y a mis les charmes de son éloquence, et il s'en excuse en disant qu'il l'a fait ainsi pour gagner l'esprit des vierges par la douceur de ses paroles'. Il appelle la virginité une exemption de toute souillure 2; il fait voir combien sa tranquillité est préférable aux soucis du mariage; il dit aux vierges : « La pudeur, en colorant vos joues, vous rend excellemment belles. Retirées loin de la vue des hommes, comme des roses solitaires, vos grâces ne sont point soumises à leurs faux jugements; toutefois vous descendez aussi dans la lice pour disputer le prix de la beauté, non de celle du corps, mais de celle de la vertu : beauté qu'aucune maladie n'altère, qu'aucun âge ne fane, et que la mort même ne peut ravir. Dieu seul s'établit juge de cette lutte des vierges, car il aime les belles âmes, même dans les corps hideux... Une vierge ne connoît ni les inconvénients de ia gros

1. De Virginit., lib. 1, cap. 1, num. 4. 2. Ibid., lib. 1, cap. v.

sesse ni les douleurs de l'enfantement. Elle est le don du Ciel et la jote de ses proches. Elle exerce dans la maison paternelle le sacerdoce de la chasteté : c'est une victime qui s'immole chaque jour pour sa mère. »

Dans l'homme, la virginité prend un caractère sublime. Troublée par les orages du cœur, si elle résiste, elle devient céleste. « Une âme chaste, dit saint Bernard, est par vertu ce que l'ange est par nature. il y a plus de bonheur dans la chasteté de l'ange, mais il y a plus de courage dans celle de l'homme. » Chez le religieux, elle se transforme en humanité, témoin ces Pères de la Redemption et tous ces ordres hospitaliers consacrés au soulagement de nos douleurs. Elle se change en étude chez le savant; elle devient méditation dans le solitaire : caractère essentiel de l'âme et de la force mentale, il n'y a point d'homme qui n'en ait senti l'avantage pour se livrer aux travaux de l'esprit: elle est donc la première des qualités, puisqu'elle donne une nouvelle vigueur à l'âme, et que l'âme est la plus belle partie de nous-mêmes.

Mais, si la chasteté est nécessaire quelque part, c'est dans le service de la Divinité. « Dieu, dit Platon, est la véritable mesure des choses; et nous devons faire tous nos efforts pour lui ressembler'. » L'homme qui s'est dévoué à ses autels y est plus obligé qu'un autre. « Il ne s'agit pas ici, dit saint Chrysostome, du gouvernement d'un empire ou du commandement des soldats, mais d'une fonction qui demande une vertu angélique. L'âme d'un prêtre doit être plus pure que les rayons du soleil2. » — « Le ministre chrétien, dit encore saint Jérôme, est le truchement entre Dieu et l'homme. » Il faut donc qu'un prêtre soit un personnage divin: il faut qu'autour de lui règnent la vertu et le mystère; retiré dans les saintes ténèbres du temple, qu'on l'entende sans l'apercevoir; que sa voix solennelle, grave et religieuse, prononce des paroles prophétiques ou chante des hymnes de paix dans les sacrées profondeurs du tabernacle; que ses apparitions soient courtes parmi les hommes, qu'il ne se montre au milieu du siècle que pour faire du bien aux malheureux : c'est à ce prix qu'on accorde au prêtre le respect et la confiance. Il perdra bientôt l'un et l'autre, si on le trouve à la porte des grands, s'il est embarrassé d'une épouse, si l'on se familiarise avec lui, s'il a tous les vices qu'on reproche au monde, et si l'on peut un moment le soupçonner homme comme les autres hommes.

Enfin, le vieillard chaste est une sorte de divinité : Priam, vieux comme le mont Ida, et blanchi comme le chêne du Gargare, Priam

1. Resp.

2. Lib. vi, de Sacerd.

dans son palais, au milieu de ses cinquante fils, offre ie spectacle le plus auguste de la paternité; mais Platon sans épouse et sans famille, assis au pied d'un temple sur la pointe d'un cap battu des flots, Platon enseignant l'existence de Dieu à ses disciples est un être bien plus divin: il ne tient point à la terre; il semble appartenir à ces démons, à ces intelligences supérieures dont il nous parle dans ses écrits.

Ainsi la virginité, remontant depuis le dernier anneau de la chaîne des êtres jusqu'à l'homme, passe bientôt de l'homme aux anges, et des anges à Dieu, où elle se perd. Dieu brille à jamais unique dans les espaces de l'éternité, comme le soleil, son image, dans le temps.

Concluons que les poëtes et les hommes du goût le plus délicat ne peuvent objecter rien de raisonnable contre le célibat du prêtre, puisque la virginité fait partie du souvenir dans les choses antiques, des charmes dans l'amitié, du mystère dans la tombe, de l'innocence dans le berceau, de l'enchantement dans la jeunesse, de l'humanité dans le religieux, de la sainteté dans le prêtre et dans le vieillard, et de la divinité dans les anges et dans Dieu même.

CHAPITRE X.

LE MARIAGE.

L'Europe doit encore à l'Église le petit nombre de bonnes lois qu'elle possède. Il n'y a peut-être point de circonstance en matière civile qui n'ait été prévue par le droit canonique, fruit de l'expérience de quinze siècles et du génie des Innocent et des Grégoire. Les empereurs et les rois les plus sages, tels que Charlemagne et Alfred le Grand, ont cru ne pouvoir mieux faire que de recevoir dans le code civil une partie de ce code ecclésiastique où viennent se fondre la loi lévitique, l'Évangile et le droit romain. Quel vaisseau pourtant que tette Église! qu'il est vaste, qu'il est miraculeux!

En élevant le mariage à la dignité de sacrement, Jésus-Christ nous a montré d'abord la grande figure de son union avec l'Église. Quand on songe que le mariage est le pivot sur lequel roule l'économie < sociale, peut-on supposer qu'il soit jamais assez saint? On ne sauroit trop admirer la sagesse de celui qui l'a marqué du sceau de la religion.

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