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donner de pareilles idées de Dieu au chef de plusieurs millions d'hommes quel noble usage de la religion!

Le peuple, les mandarins, les lettrés, embrassoient en foule la nouvelle doctrine : les cérémonies du culte avoient surtout un succès prodigieux. « Avant la communion, dit le père Prémare, cité par le père Fouquet, je prononçai tout haut les actes qu'on fait faire en approchant de ce divin sacrement. Quoique la langue chinoise ne soit pas féconde en affections du cœur, cela eut beaucoup de succès .. Je remarquai sur les visages de ces bons chrétiens une dévotion que je n'avois pas encore vue'. »

« Loukang, ajoute le même missionnaire, m'avoit donné du goût pour les missions de la campagne. Je sortis de la bourgade, et je trouvai tous ces pauvres gens qui travailloient de côté et d'autre ; j'en abordai un d'entre eux, qui me parut avoir la physionomie heureuse, et je lui parlai de Dieu. Il me parut content de ce que je disois, et m'invita par honneur à aller dans la salle des ancêtres. C'est la plus belle maison de la bourgade; elle est commune à tous les habitants, parce que, s'étant fait depuis longtemps une coutume de ne point s'allier hors de leur pays, ils sont tous parents aujourd'hui et ont les mêmes aïeux. Ce fut donc là que plusieurs, quittant leur travail, accoururent pour entendre la sainte doctrine 2. >>

N'est-ce pas là une scène de l'Odyssée ou plutôt de la Bible?

Un empire dont les mœurs inaltérables usoient depuis deux mille ans le temps, les révolutions et les conquêtes, cet empire change à la voix d'un moine chrétien parti seul du fond de l'Europe. Les préjugés les plus enracinés, les usages les plus antiques, une croyance religieuse consacrée par les siècles, tout cela tombe et s'évanouit au seul nom du Dieu de l'Évangile. Au moment même où nous écrivons, au moment où le christianisme est persécuté en Europe, il se propage à la Chine. Ce feu qu'on avoit cru éteint s'est ranimé, comme il arrive toujours après les persécutions. Lorsqu'on massacroit le clergé en France et qu'on le dépouilloit de ses biens et de ses honneurs, les ordinations secrètes étoient sans nombre; les évêques proscrits furent souvent obligés de refuser la prêtrise à des jeunes gens qui vouloient voler au martyre. Cela prouve, pour la millième fois, combien ceux qui ont cru anéantir le christianisme en allumant les bûchers ont méconnu son esprit. Au contraire des choses humaines, dont la nature est de périr dans les tourments, la véritable religion s'accroît dans l'adversité : Dieu l'a marquée du même sceau que la vertu.

1. Lettres édif., t. XVII, p. 149.

2. Ibid., t. XVII, p. 152 et suiv. Voyez la note LIV, à la fin du volume.

CHAPITRE IV.

MISSIONS DU PARAGUAY.

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CONVERSION DES SAUVAGES'.

Tandis que le christianisme brilloit au milieu des adorateurs de Fo-hi, que d'autres missionnaires l'annonçoient aux nobles Japonois ou le portoient à la cour des sultans, on le vit se glisser, pour ainsi dire, jusque dans les nids des forêts du Paraguay, afin d'apprivoiser ces nations indiennes qui vivoient comme des oiseaux sur les branches des arbres. C'est pourtant un culte bien étrange que celui-là qui réunit, quand il lui plaît, les forces politiques aux forces morales, et qui crée, par surabondance de moyens, des gouvernements aussi sages, que ceux de Minos et de Lycurgue. L'Europe ne possédoit encore que des constitutions barbares, formées par le temps et le hasard, et la religion chrétienne faisoit revivre au Nouveau-Monde les miracles des législations antiques. Les hordes errantes des sauvages du Paraguay se fixoient, et une république évangélique sortoit, à la parole de Dieu, du plus profond des déserts.

Et quels étoient les grands génies qui reproduisoient ces merveilles? De simples Jésuites, souvent traversés dans leurs desseins par l'avarice de leurs compatriotes.

C'étoit une coutume généralement adoptée dans l'Amérique espagnole de réduire les Indiens en commande et de les sacrifier aux travaux des mines. En vain le clergé séculier et régulier avoit réclamé contre cet usage, aussi impolitique que barbare. Les tribunaux du Mexique et du Pérou, la cour de Madrid, retentissoient des plaintes des missionnaires 2. « Nous ne prétendons pas, disoient-ils aux colons, nous opposer au profit que vous pouvez faire avec les Indiens par des voies légitimes; mais vous savez que l'intention du roi n'a jamais été que vous les regardiez comme des esclaves et que la loi de Dieu vous le défend... Nous ne croyons pas qu'il soit permis d'attenter à leur liberté, à laquelle ils ont un droit naturel que rien n'autorise à leur contester". »

1. Voyez pour les deux chapitres suivants les huitième et neuvième volumes des Lettres édifiantes; l'Histoire du Paraguay, par CHARLEVOIX, in-4o, édit. 1744; Lozano, Historia de la Compania de Jesus en la provincia del Paraguay, in-fol., 2 vol., Madrid, 1753; MURATORI, Il Cristianesimo felice, et MONTESQUIEU, Esprit des Lois. 2. ROBERTSON, Histoire de l'Amérique.

3. CHARLEVOIX, Histoire du Paraguay, t. II, p. 26 et 27.

l restoit encore au pied des Cordillères, vers le côté qui regarde l'Atlantique, entre l'Orénoque et Rio de la Plata, un pays rempli de sauvages, où les Espagnols n'avoient point porté la dévastation. Ce fut dans ces forêts que les missionnaires entreprirent de former une république chrétienne, et de donner du moins à un petit nombre d'Indiers le bonheur qu'ils n'avoient pu procurer à tous.

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Ils commencèrent par obtenir de la cour d'Espagne la liberté des sauvages qu'ils parviendroient à réunir. A cette nouvelle, les colons se soulevèrent ce ne fut qu'à force d'esprit et d'adresse que les Jésuites surprirent, pour ainsi dire, la permission de verser leur sang dans les déserts du Nouveau-Monde. Enfin, ayant triomphé de la cupidité et de la malice humaines, méditant un des plus nobles desseins qu'ait jamais conçus un cœur d'homme, ils s'embarquèrent pour Rio de la Plata.

C'est dans ce fleuve que vient se perdre l'autre fleuve qui a donné son nom au pays et aux missions dont nous retraçons l'histoire. Paraguay dans la langue des sauvages signifie le fleuve couronné, parce qu'il prend sa source dans le lac Xarayès, qui lui sert comme de couronne. Avant d'aller grossir Rio de la Plata, il reçoit les eaux du Parama et de l'Uruguay. Des forêts qui renferment dans leur sein d'autres forêts tombées de vieillesse, des marais et des plaines entièrement inondées dans la saison des pluies, des montagnes qui élèvent des déserts sur des déserts, forment une partie des régions que le Paraguay arrose. Le gibier de toutes espèces y abonde, ainsi que les tigres et les ours. Les bois sont remplis d'abeilles, qui font une cire fort blanche et un miel très-parfumé. On y voit des oiseaux d'un plumage éclatant, et qui ressemblent à de grandes fleurs rouges et bleues sur la verdure des arbres. Un missionnaire françois qui s'étoit égaré dans ces solitudes en fait la peinture suivante :

« Je continuai ma route sans savoir à quel terme elle devoit abou tir, et sans qu'il y eût personne qui pût me l'enseigner. Je trouvois quelquefois au milieu de ces bois des endroits enchantés. Tout ce que l'étude et l'industrie des hommes ont pu imaginer pour rendre un lieu agréable n'approche point de ce que la simple nature y avoit rassemblé de beautés.

« Ces lieux charmants me rappelèrent les idées que j'avois eues autrefois en lisant les Vies des anciens solitaires de la Thébaïde. Il me vint en pensée de passer le reste de mes jours dans ces forêts, cù ia Providence m'avoit conduit, pour y vaquer uniquement à l'affaire de mon salut, loin de tout commerce avec les hommes; mais comme je n'étois pas le maître de ma destinée, et que les ordres du Seigneur

m'étoient certainement marqués par ceux de mes supérieurs, je rejetai cette pensée comme une illusion'. >>

Les Indiens que l'on rencontroit dans ces retraites ne leur ressembloient que par le côté affreux. Race indolente, stupide et féroce, elle montroit dans toute sa laideur l'homme primitif dégradé par sa chute. Rien ne prouve davantage la dégénération de la nature humaine que la petitesse du sauvage dans la grandeur du désert.

Arrivés à Buenos-Ayres, les missionnaires remontèrent Rio de la Piata, et, entrant dans les eaux du Paraguay, se dispersèrent dans les bois. Les anciennes relations nous les représentent un bréviaire sous le bras gauche, une grande croix à la main droite, et sans autre provision que leur confiance en Dieu. Elles nous les peignent se faisant jour à travers les forêts, marchant dans les terres marécageuses, où ils avoient de l'eau jusqu'à la ceinture, gravissant des roches escarpées et furetant dans les antres et les précipices, au risque d'y trouver des serpents et des bêtes féroces au lieu des hommes qu'ils y cherchoient.

Plusieurs d'entre eux y moururent de faim et de fatigue; d'autres furent massacrés et dévorés par les sauvages. Le père Lizardi fut trouvé percé de flèches sur un rocher; son corps étoit à demi dévoré par les oiseaux de proie, et son bréviaire étoit ouvert auprès de lui à l'office des morts. Quand un missionnaire rencontroit ainsi les restes d'un de ses compagnons, il s'empressoit de leur rendre les honneurs funèbres, et, plein d'une grande joie, il chantoit un Te Deum solitaire sur le tombeau du martyr.

De pareilles scènes, renouvelées à chaque instant, étonnoient les hordes barbares. Quelquefois elles s'arrêtoient autour du prêtre inconnu qui leur parloit de Dieu, et elles regardoient le ciel, que l'apôtre leur montroit; quelquefois elles le fuyoient comme un enchanteur, et se sentoient saisies d'une frayeur étrange : le religieux les suivoit en leur tendant les mains au nom de Jésus-Christ. S'il ne pouvoit les arrêter, il plantoit sa croix dans un lieu découvert, et s'alloit cacher dans les bois. Les sauvages s'approchoient peu à peu pour examiner l'étendard de paix élevé dans la solitude: un aimant secret sem. bloit les attirer à ce signe de leur salut. Alors le missionnaire, sortant tout à coup de son embuscade, et profitant de la surprise des barbares, les invitoit à quitter une vie misérable, pour jouir des douceurs de la société.

Quand les Jésuites se furent attachés quelques Indiens, ils eurent

1. Lettres édif, t. VIII, p. 381.

recours à un autre moyen pour gagner des âmes. Ils avoient remarqué que les sauvages de ces bords étoient fort sensibles à la musique : và dit même que les eaux du Paraguay rendent la voix plus belle. Les missionnaires s'embarquèrent donc sur des pirogues avec les nouveaux catéchumènes ; ils remontèrent les fleuves en chantant des cantiques. Les néophytes répétoient les airs, comme des oiseaux privés chantent pour attirer dans les rets de l'oiseleur les oiseaux sauvages. Les Indiens ne manquèrent point de se venir prendre au doux piége. Ils descendoient de leur montagne, et accouroient au bord des fleuves pour mieux écouter ces accents; plusieurs d'entre eux se jetoient dans les ondes et suivoient à la nage la nacelle enchantée. L'arc et la flèche échappoient à la main du sauvage: l'avant-goût des vertus sociales et les premières douceurs de l'humanité entroient dans son âme confuse; il voyoit sa femme et son enfant pleurer d'une joie inconnue; bientôt, subjugué par un attrait irrésistible, il tomboit au pied de la croix, et mêloit des torrents de larmes aux eaux régénératrices qui couloient sur sa tête.

Ainsi la religion chrétienne réalisoit dans les forêts de l'Amérique ce que la fable raconte des Amphion et des Orphée : réflexion si naturelle, qu'elle s'est présentée même aux missionnaires' tant il est certain qu'on ne dit ici que la vérité, en ayant l'air de raconter une fiction!

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CHAPITRE V.

SUITE DES MISSIONS DU PARAGUAY.

RÉPUBLIQUE CHRÉTIENNE. BONHEUR DES INDIENS.

Les premiers sauvages qui se rassemblèrent à la voix des Jésuites furent les Guaranis, peuples répandus sur les bords du Paranapanė, du Pirapé et de l'Uruguay. Ils composèrent une bourgade sous la direction des pères Maceta et Cataldino, dont il est juste de conserver les noms parmi ceux des bienfaiteurs des hommes. Cette bourgade fut appelée Lorette; et dans la suite, à mesure que les églises indiennes s'élevèrent, elles furent comprises sous le nom général de réductions. On en compta jusqu'à trente en peu d'années, et elles formèrent entre elles cette république chrétienne qui sembloit un reste de l'antiquité découverte au Nouveau-Monde. Elles ont confirmé sous nos yeux certe verнe connue de Rome et de la Grèce, que c'est avec la religion, et non

1. CHARLEVOIX.

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