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se régale dans les grandes réjouissances, les prémices de toutes les récoltes pour les offrir au Seigneur, et le grain qu'on doit semer, afin qu'il donne sa bénédiction. Le chant des oiseaux, le rugissement des lions, le frémissement des tigres, tout s'y fait entendre sans confusion, et forme un concert unique.

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« Dès que le Saint-Sacrement est rentré dans l'église, on présente aux missionnaires toutes les choses comestibles qui ont été exposées sur son passage. Ils en font porter aux malades tout ce qu'il y a de meilleur; le reste est partagé à tous les habitants de la bourgade. Le soir on tire un feu d'artifice, ce qui se pratique dans toutes les grandes solennités et au jour des réjouissances publiques. »

Avec un gouvernement si paternel et si analogue au génie simple et pompeux du sauvage, il ne faut pas s'étonner que les nouveaux chrétiens fussent les plus purs et les plus heureux des hommes. Le changement de leurs mœurs étoit un miracle opéré à la vue du Nouveau Monde. Cet esprit de cruauté et de vengeance, cet abandon aux vices les plus grossiers, qui caractérisent les hordes indiennes, s'étoient transformés en un esprit de douceur, de patience et de chasteté. On jugera de leurs vertus par l'expression naïve de l'évêque de BuenosAyres. « Sire, écrivoit-il à Philippe V, dans ces peuplades nombreuses, composées d'Indiens, naturellement portés à toutes sortes de vices, il règne une si grande innocence que je ne crois pas qu'il s'y commette un seul péché mortel. »>

Chez les sauvages chrétiens on ne voyoit ni procès ni querelles, le tien et le mien n'y étoient pas même connus; car, ainsi que l'observe Charlevoix, c'est n'avoir rien à soi que d'être toujours disposé à partager le peu qu'on a avec ceux qui sont dans le besoin. Abondamment pourvus des choses nécessaires à la vie; gouvernés par les mêmes hommes qui les avoient tirés de la barbarie, et qu'ils regardoient, à juste titre, comme des espèces de divinités; jouissant, dans leurs familles et dans leur patrie, des plus doux sentiments de la nature; connoissant les avantages de la vie civile sans avoir quitté le désert et les charmes de la société sans avoir perdu ceux de la solitude, ces Indiens se pouvoient vanter de jouir d'un bonheur qui n'avoit point eu d'exemple sur la terre. L'hospitalité, l'amitié, la justice et les tendres vertus découloient naturellement de leur cœur à la parole de la religion, comme des oliviers laissent tomber leurs fruits mûrs au souffle des brises. Muratori a peint d'un seul mot cette république chrétienne, en intitulant la description qu'il en a faite: Il Cristianesimo felice.

Il nous semble qu'on n'a qu'un désir en lisant cette histoire, c'est celui de passer les mers et d'aller, loin des troubles et des révolutions, chercher une vie obscure dans les cabanes de ces sauvages et un paisible tombeau sous les palmiers de leurs cimetières. Mais ni les déserts ne sont assez profonds, ni les mers assez vastes pour dérober l'homme aux douleurs qui le poursuivent. Toutes les fois qu'on fait le tableau de la félicité d'un peuple, il faut toujours en venir à la catastrophe : au milieu des peintures les plus riantes, le cœur de l'écrivain est serré par cette réflexion qui se présente sans cesse : Tout cela n'existe plus. Les missions du Paraguay sont détruites; les sauvages, rassemblés avec tant de fatigues, sont errants de nouveau dans les bois, ou plongés vivants dans les entrailles de la terre. On a applaudi à la destruction d'un des plus beaux ouvrages qui fût sorti de la main des hommes. C'étoit une création du christianisme, une moisson engraissée du sang des apôtres elle ne méritoit que haine et mépris! Cependant, alors même que nous triomphions en voyant des Indiens retomber au Nouveau Monde dans la servitude, tout retentissoit en Europe du bruit de notre philanthropie et de notre amour de liberté. Ces honteuses variations de la nature humaine, selon qu'elle est agitée de passions contraires, flétrissent l'âme et rendroient méchant, si on y arrêtoit trop longtemps les yeux. Disons donc plutôt que nous sommes foibles et que les voies de Dieu sont profondes, et qu'il se plaît à exercer ses serviteurs. Tandis que nous gémissons ici, les simples chrétiens du Paraguay, maintenant ensevelis dans les mines du Potose, adorent sans doute la main qui les a frappés, et par des souffrances patiemment supportées ils acquièrent une place dans cette république des saints qui est à l'abri des persécutions des hommes.

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CHAPITRE VI.

MISSIONS DE LA GUIANE,

Si ces missions étonnent par leurs grandeurs, il en est d'autres qui pour être ignorées n'en sont pas moins touchantes. C'est souvent dans la cabane obscure et sur la tombe du pauvre que le Roi des rois aime à déployer les richesses de sa grâce et de ses miracles. En remontant vers le nord, depuis le Paraguay jusqu'au fond du Canada, on rencontroit une foule de petites missions où le néophyte ne s'étoit pas civilisé pour s'attacher à l'apôtre, mais où l'apôtre s'étoit fait sauvage pour suivre le néophyte. Les religieux françois étoient à la tête de ces

églises errantes, dont les périls et la mobilité sembloient être faits pour notre courage et notre génie.

Le père Creuilli, jésuite, fonda les missions de Cayenne. Ce qu'il fit pour le soulagement des nègres et des sauvages paroît au-dessus de l'humanité. Les pères Lombard et Ramette, marchant sur les traces de ce saint homme, s'enfoncèrent dans les marais de la Guiane. Ils se rendirent aimables aux Indiens Galibis à force de se dévouer à leurs douleurs, et parvinrent à obtenir d'eux quelques enfants qu'ils éle vèrent dans la religion chrétienne. De retour dans leurs forêts, ces jeunes enfants civilisés prêchèrent l'Évangile à leurs vieux parents sauvages, qui se laissèrent aisément toucher par l'éloquence de ces nouveaux missionnaires. Les catéchumènes se rassemblèrent dans un lieu appelé Kourou, où le père Lombard avoit bâti une case avec deux nègres. La bourgade augmentant tous les jours, on résolut d'avoir une église. Mais comment payer l'architecte, charpentier de Cayenne, qui demandoit quinze cents francs pour les frais de l'entreprise? Les missionnaires et ses néophytes, riches en vertus, étoient d'ailleurs les plus pauvres des hommes. La foi et la charité sont ingénieuses : les Galibis s'engagèrent à creuser sept pirogues que le charpentier accepta sur le pied de deux cents livres chacune. Pour compléter le reste de la somme, les femmes filèrent autant de coton qu'il en falloit pour faire huit hamacs. Vingt autres sauvages se firent esclaves volontaires d'un colon pendant que ses deux nègres, qu'il consentoit à prêter, furent occupés à scier les planches du toit de l'édifice. Ainsi tout fut arrangé, et Dieu eut un temple au désert.

Celui qui de toute éternité a préparé les voies des choses vient de découvrir sur ces bords un de ces desseins qui échappent dans leur principe à la sagacité des hommes, et dont on ne pénètre la profondeur qu'à l'instant même où ils s'accomplissent. Quand le père Lombard jetoit, il y a plus d'un siècle, les fondements de sa mission chez les Galibis, il ne savoit pas qu'il ne faisoit que disposer des sauvages à recevoir des martyrs de la foi, et qu'il préparoit les déserts d'une nouvelle Thébaïde à la religion persécutée. Quel sujet de réflexion! Billaud de Varennes et Pichegru, le tyran et la victime, dans la même case à Synnamary, l'extrémité de la misère n'ayant pas même uni les cœurs; des haines immortelles vivant parmi les compagnons des mêmes fers, et les cris de quelques infortunés prêts à se déchirer se mêlant aux rugissements des tigres dans les forêts du Nouveau Monde!

Voyez au milieu de ce trouble des passions le calme et la sérénité évangéliques des confesseurs de Jésus-Christ jetés chez les néophytes

de la Guiane, et trouvant parmi des barbares chrétiens la pitié que leur refusoient les François; de pauvres religieuses hospitalières, qui sembloient ne s'être exilées dans un climat destructeur que pour attendre un Collot-d'Herbois sur son lit de mort et lui prodiguer les soins de la charité chrétienne; ces saintes femmes, confondant l'innocent et le coupable dans leur amour de l'humanité, versant des pleurs sur tous, priant Dieu de secourir et les persécuteurs de son nom et les martyrs de son culte quelle leçon ! quel tableau ! que les hommes sont malheureux! et que la religion est belle!

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CHAPITRE VII.

MISSION DES ANTILLES.

L'établissement de nos colonies aux Antilles ou Ant-Iles, ainsi nommées parce qu'on les rencontre les premières à l'entrée du golfe Mexicain, ne remonte qu'à l'an 1627, époque à laquelle M. d'Enambuc båtit un fort et laissa quelques familles sur l'île Saint-Christophe.

C'étoit alors l'usage de donner des missionnaires pour curés aux établissements lointains, afin que la religion partageât en quelque sorte cet esprit d'intrépidité et d'aventure qui distinguoit les premiers chercheurs de fortune au Nouveau Monde. Les Frères Prêcheurs de la congrégation de Saint-Louis, les Pères Carmes, les Capucins et les Jésuites se consacrèrent à l'instruction des Caraïbes et des nègres et à tous les travaux qu'exigeoient nos colonies naissantes de Saint-Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint-Domingue.

On ne connoît encore aujourd'hui rien de plus satisfaisant et de plus complet sur les Antilles que l'histoire du père Dutertre, missionnaire de la congrégation de Saint-Louis.

« Les Caraïbes, dit-il, sont grands rêveurs; ils portent sur leur visage une physionomie triste et mélancolique; ils passent des demijournées entières assis sur la pointe d'un roc ou sur la rive, les yeux fixés en terre ou sur la mer, sans dire un seul mot. .

. . Ils sont d'un naturel bénin, doux, affable et compatissant, bien souvent même jusqu'aux larmes aux maux de nos François, n'étant cruels qu'à leurs ennemis jurés.

« Les mères aiment tendrement leurs enfants et sont toujours en alarme pour détourner tout ce qui peut leur arriver de funeste; elles les tiennent presque toujours pendus à leurs mamelles, même la nuit, et c'est une merveille que, couchant dans des lits suspendus qui sont

fort incommodes, elles n'en étouffent jamais aucun... Dans tous les voyages qu'elles font, soit sur mer, soit sur terre, elle les portent avec elles, sous leurs bras, dans un petit lit de coton qu'elles ont en écharpe, lié par-dessus l'épaule, afin d'avoir toujours devant les yeux l'objet de leurs soucis'. »>

On croit lire un morceau de Plutarque traduit par Amyot.

Naturellement enclin à voir les objets sous un rapport simple et tendre, le père Dutertre ne peut manquer d'être fort touchant quand il parle des nègres. Cependant il ne les représente point à la manière des philanthropes, comme les plus vertueux des hommes; mais il y a une sensibilité, une bonhomie, une raison admirable dans la peinture qu'il fait de leur sentiments.

« L'on a vu, dit-il, à la Guadeloupe une jeune négresse si persuadée de la misère de sa condition, que son maître ne put jamais la faire consentir à se marier au nègre qu'il lui présentoit.

Elle attendit que le père (à l'autel) lui demandât si elle vouloit un tel pour son mari, car pour lors elle répondit avec une fermeté qui nous étonna : Non, mon père, je ne veux ni de celui-là ni même d'aucun autre; je me concontente d'être misérable en ma personne, sans mettre des enfants au monde qui seroient peut-être plus malheureux que moi, et dont les peines me seroient beaucoup plus sensibles que les miennes propres. Elle est aussi toujours constamment demeurée dans son état de fille, et on l'appeloit ordinairement la Pucelle des Iles, »

Le bon père continue à peindre les mœurs des nègres, à décrire leurs petits ménages, à faire aimer leur tendresse pour leurs enfants; il entremêle son récit des sentences de Sénèque, qui parle de la simplicité des cabanes où vivoient les peuples de l'âge d'or; puis il cite Platon, ou plutôt Homère, qui dit que les dieux ôtent à l'esclavage une moitié de sa vertu : Dimidium mentis Jupiter illis aufert; il compare le Caraïbe sauvage dans la liberté au nègre sauvage dans la servitude, et il montre combien le christianisme aide au dernier à supporter

ses maux.

La mode du siècle a été d'accuser les prêtres d'aimer l'esclavage et de favoriser l'oppression parmi les hommes; il est pourtant certain que personne n'a élevé la voix avec autant de courage et de force en faveur des esclaves, des petits et des pauvres, que les écrivains ecclésiastiques. Ils ont constamment soutenu que la liberté est un droit imprescriptible du chrétien. Le colon protestant, convaincu de cette vérité,

1. Hist. des Ant., t. II, p. 375.

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