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par son air et par ses discours, l'envie d'aller partager avec lui des croix auxquelles le Seigneur attachoit tant d'onction'. >>

Voilà de ces joies et de ces larmes telles que Jésus-Christ les a véritablement promises à ses élus.

Écoutons encore l'historien de la Nouvelle-France:

<< Rien n'étoit plus apostolique que la vie qu'ils menoient (les missionnaires chez les Hurons). Tous leurs moments étoient comptés par quelque action héroïque, par des conversions ou par des souffrances, qu'ils regardoient comme de vrais dédommagements, lorsque leurs travaux n'avoient pas produit tout le fruit dont ils s'étoient flattés. Depuis quatre heures du matin qu'ils se levoient, lorsqu'ils n'étoient pas en course, jusqu'à huit, ils demeuroient ordinairement renfermés: c'étoit le temps de la prière et le seul qu'ils eussent de libre pour leurs exercices de piété. A huit heures chacun alloit où son devoir l'appeloit les uns visitoient les malades; les autres suivoient, dans les campagnes, ceux qui travailloient à cultiver la terre; d'autres se transportoient dans les bourgades voisines qui étoient destituées de pasteurs. Ces causes produisoient plusieurs bons effets; car, en premier lieu, il ne mouroit point ou il mouroit bien peu d'enfants sans baptême; des adultes mêmes, qui avoient refusé de se faire inscrire tandis qu'ils étoient en santé, se rendoient dès qu'ils étoient malades; ils ne pouvoient tenir contre l'industrieuse et constante charité de leurs médecins2. »>

Si l'on trouvoit de pareilles descriptions dans le Télémaque, on se récrieroit sur le goût simple et touchant de ces choses; on loueroit avec transport la fiction du poëte, et l'on est insensible à la vérité présentée avec les mêmes attraits.

Ce n'étoit là que les moindres travaux de ces hommes évangéliques tantôt ils suivoient les sauvages dans des chasses qui duroient plusieurs années, et pendant lesquelles ils se trouvoient obligés de manger jusqu'à leur vêtement. Tantôt ils étoient exposés aux caprices de ces Indiens, qui, comme des enfants, ne savent jamais résister à un mouvement de leur imagination ou de leurs désirs. Mais les missionnaires s'estimoient récompensés de leurs peines s'ils avoient durant leurs longues souffrances acquis une âme à Dieu, ouvert le ciel à un enfant, soulagé un malade, essuyé les pleurs d'un infortuné. Nous avons déjà vu que la patrie n'avoit point de citoyens plus fidèles; l'honneur d'être François leur valut souvent la persécution et la mort :

CHARLEVOIX, Hist. de la Nouv.-France, in-4°, t. I, liv. v, p. 209.

4. Ibid., p. 217.

les sauvages les reconnoissoient pour être de la chair blanche de Québec, à l'intrépidité avec laquelle ils supportoient les plus affreux supplices.

Le ciel, touché de leurs vertus, accorda à plusieurs d'entre eux cette palme qu'ils avoient tant désirée et qui les a fait monter au rang des premiers apôtres. La bourgade huronne où le père Daniel' étoit missionnaire fut surprise par les Iroquois au matin du 4 juillet 1648; les jeunes guerriers étoient absents. Le Jésuite, dans ce moment même, disoit la messe à ses néophytes. Il n'eut que le temps d'achever la consécration et de courir à l'endroit d'où partoient les cris. Une scène lamentable s'offrit à ses yeux: femmes, enfants, vieillards, gisoient pêle-mêle expirants. Tout ce qui vivoit encore tombe à ses pieds et lui demande le baptême. Le Père trempe un voile dans l'eau, et, le secouant sur la foule à genoux, procure la vie des cieux à ceux qu'il ne pouvoit arracher à la mort temporelle. Il se ressouvint alors d'avoir laissé dans les cabanes quelques malades qui n'avoient point encore reçu le sceau du christianisme; il y vole, les met au nombre des rachetés, retourne à la chapelle, cache les vases sacrés, donne une absolution générale aux Hurons qui s'étoient réfugiés à l'autel, les presse de fuir, et, pour leur en laisser le temps, marche à la rencontre des ennemis. A la vue de ce prêtre, qui s'avançoit seul contre une armée, les barbares, étonnés, s'arrêtent et reculent quelques pas; n'osant approcher du saint, ils le percent de loin avec leurs flèches. «Il en étoit tout hérissé, dit Charlevoix, qu'il parloit encore avec une action surprenante, tantôt à Dieu, à qui il offroit son sang pour le troupeau, tantôt à ses meurtriers, qu'il menaçoit de la colère du ciel, en les assurant néanmoins qu'ils trouveroient toujours le Seigneur disposé à les recevoir en grâce s'ils avoient recours à sa clémence 2. » Il meurt, et sauve une partie de ses néophytes en arrêtant ainsi les Iroquois autour de lui.

Le père Garnier montra le même héroïsme dans une autre hourgade: il étoit tout jeune encore et s'étoit arraché nouvellement aux pleurs de sa famille pour sauver des âmes dans les forêts du Canada. Atteint de deux balles sur le champ de carnage, il est renversé sans connoissance : un Iroquois le croyant mort le dépouille. Quelque temps après le Père revient de son évanouissement; il soulève la tête et voit à quelque distance un Huron qui rendoit le dernier soupir. L'apôtre fait un effort pour aller absoudre le catéchumène; il se traîne,

1. Le même dont Charlevoix nous a fait le portrait. 2. Hist. de la Nouv.-France, t. I, liv. vi, p. 286.

il retombe: un barbare l'aperçoit, accourt, et lui fend les entrailles de deux coups de hache : « Il expire, dit encore Charlevoix, dans l'exercice et pour ainsi dire dans le sein même de la charité'. » Enfin, le père Brébeuf, oncle du poëte du même nom, fut brûlé avec ces burments horribles que les Iroquois faisoient subir à leurs prisonniers.

« Ce père, que vingt années de travaux les plus capables de faire mourir tous les sentiments naturels, un caractère d'esprit d'une fermeté à l'épreuve de tout, une vertu nourrie dans la vue toujours prochaine d'une mort cruelle, et portée jusqu'à en faire l'objet de ses vœux les plus ardents, prévenu d'ailleurs par plus d'un avertissement céleste que ses vœux seroient exaucés, se rioit également des menaces et des tortures; mais la vue de ses chers néophytes cruellement traités à ses yeux répandoit une grande amertume sur la joie qu'il ressentoit de voir ses espérances accomplies. .

« Les Iroquois connurent bien d'abord qu'ils avoient affaire à un homme à qui ils n'auroient pas le plaisir de voir échapper la moindre foiblesse; et comme s'ils eussent appréhendé qu'il ne communiquât aux autres son intrépidité, ils le séparèrent, après quelque temps, de la troupe des prisonniers, le firent monter seul sur un échafaud et s'acharnèrent de telle sorte sur lui, qu'ils paroissoient hors d'euxmêmes de rage et de désespoir.

« Tout cela n'empêchoit point le serviteur de Dieu de parler d'une voix forte, tantôt aux Hurons qui ne le voyoient plus, mais qui pouvoient encore l'entendre, tantôt à ses bourreaux, qu'il exhortoit à craindre la colère du ciel s'ils continuoient à persécuter les adorateurs du vrai Dieu. Cette liberté étonna les barbares; ils voulurent lui imposer silence, et, n'en pouvant venir à bout, ils lui coupèrent la lèvre inférieure et l'extrémité du nez, lui appliquèrent par tout le corps des torches allumées, lui brûlèrent les gencives, etc. 2. »

On tourmentoit auprès du père Brébeuf un autre missionnaire, nommé le père Lallemant, et qui ne faisoit que d'entrer dans la carrière évangélique. La douleur lui arrachoit quelquefois des cris involontaires; i demandoit de la force au vieil apôtre, qui, ne pouvant plus parler, lui faisoit de douces inclinations de tête et sourioit avec ses lèvres mutilées pour encourager le jeune martyr; les fumées des bûchers montoient ensemble vers le ciel, et affligeoient et réjouissoient les anges. On fit un collier de haches ardentes au père Brébeuf;

1. Hist. de la Nouv.-France, t. I, liv. vi, p. 298.

2. CHARLEVOIX, t. I, liv. vii, p. 292.

on lui coupa des lambeaux de chair, que l'on dévora à ses yeux, en lui disant que la chair des François était excellente'; puis, continuant ces railleries : « Tu nous assurois tout à l'heure, crioient les barbares, que plus on souffre sur la terre, plus on est heureux dans le ciel : c'est par amitié pour toi que nous nous étudions à augmenter tes souffrances3. » Lorsqu'on portoit dans Paris des cœurs de prêtres au bout des piques, on chantoit: Ah! il n'est point de fête quand le cœur n'en est pas.

Enfin, après avoir souffert plusieurs autres tourments que nous n'oserions transcrire, le père Brébeuf rendit l'esprit, et son âme s'envola au séjour de celui qui guérit toutes les plaies de ses serviteurs.

C'étoit en 1649 que ces choses se passoient en Canada, c'est-à-dire au moment de la plus grande prospérité de la France et pendant les fêtes de Louis XIV: tout triomphoit alors, le missionnaire et le soldat.

Ceux pour qui un prêtre est un objet de haine et de risée se réjouiront de ces tourments des confesseurs de la foi. Les sages, avec un esprit de prudence et de modération, diront qu'après tout les missionnaires étoient les victimes de leur fanatisme: ils demanderont, avec une pitié superbe, ce que les muines alloient faire dans les déserts de l'Amérique. A la vérité, nous convenons qu'ils n'alloient pas, sur un plan de savants, tenter de grandes découvertes philosophiques; ils obéissoient seulement à ce maître qui leur avoit dit : « Allez et enseignez, Docete omnes gentes; » et sur la foi de ce commandement, avec une simplicité extrême, ils quittoient les délices de la patrie pour aller, au prix de leur sang, révéler à un barbare qu'ils n'avoient jamais vu... Quoi? Rien, selon le monde, presque rien : L'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme; DOCETE OMNES GENTES!

:

CHAPITRE IX.

FIN DES MISSIONS.

Ainsi, nous avons indiqué les voies que suivoient les différentes missions voies de simplicité, voies de science, voies de législation, voies d'héroïsme. Il nous semble que c'étoit un juste sujet d'orgueil pour l'Europe, et surtout pour la France, qui fournissoit le plus grand nombre de missionnaires, de voir tous les ans sortir de son sein des

1. Hist. de la Nouv.-France, p. 293 et 294.

2. Ibid., p. 294.

hommes qui alloient faire éclater les miracles des arts, des lois, de l'humanité et du courage, dans les quatre parties de la terre. De là provenoit la haute idée que les étrangers se formoient de notre nation et du Dieu qu'on y adoroit. Les peuples les plus éloignés vouloient entrer en liaison avec nous; l'ambassadeur du sauvage de l'Occident rencontroit à notre cour l'ambassadeur des nations de l'Aurore. Nous ne nous piquons pas du don de prophétie, mais on se peut tenir assuré, et l'expérience le prouvera, que jamais des savants dépêchés aux pays lointains avec les instruments et les plans d'une académie ne feront ce qu'un pauvre moine parti à pied de son couvent exécutoit seul avec son chapelet et son bréviaire.

FIN DU LIVRE QUATRIÈM B

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