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LIVRE CINQUIÈME.

ORDRES MILITAIRES DE CHEVALERIE

CHAPITRE PREMIER.

CHEVALIERS DE MALTE

Il n'y a pas un beau souvenir, pas une belle institution dans les siècles modernes que le christianisme ne réclame. Les seuls temps poétiques de notre histoire, les temps chevaleresques, lui appartiennent encore; la vraie religion a le singulier mérite d'avoir créé parmi nous l'âge de la féerie et des enchantements.

M. de Sainte-Palaye semble vouloir séparer la chevalerie militaire de la chevalerie religieuse, et tout invite au contraire à les confondre. Il ne croit pas qu'on puisse faire remonter l'institution de la première au delà du xe siècle : or, c'est précisément l'époque des croisades qui donna naissance aux Hospitaliers, aux Templiers et à l'Ordre Teutonique 2. La loi formelle par laquelle la chevalerie militaire s'engageoit à défendre la foi, la ressemblance de ses cérémonies avec celles des sacrements de l'Église, ses jeûnes, ses ablutions, ses confessions, ses prières, ses engagements monastiques 3, montrent suffisamment que tous les chevaliers avoient la même origine religieuse. Enfin, le vœu de célibat, qui paroît établir une différence essentielle entre des héros chastes et des guerriers qui ne parlent que d'amour, n'est pas une chose qui doive arrêter; car ce vœu n'étoit pas général dans les ordres militaires chrétiens. Les chevaliers de Saint-Jacques-de-l'Épée, en Espagne, pouvoient se marier', et dans l'ordre de Malte on n'est obligé de renoncer au lien conjugal

1. Mém. sur l'anc. chev., t. I, 11° part., p. 66.

2. HEN., Hist. de France, t. I, p. 167; FLEURY, Hist. ecclés., t. XIV, p. 387; t. XV, p. 604; HELYOT, Hist. des Ordres relig., t. III, p. 74, 143.

3. SAINTE-PALAYE, loc. cit., et la note 11.

4. FLEURY, Hist. ecclés., t. XV, liv. LXXI, p. 403, édit. 1719, in-4°.

qu'en passant aux dignités de l'ordre ou en entrant en jouissance de ses bénéfices.

D'après l'abbé Giustiniani, ou sur le témoignage plus certain, mais moins agréable, du frère Hélyot, on trouve trente ordres religieux militaires : neuf sous la règle de Saint-Basile, quatorze sous celle de Saint-Augustin et sept attachés à l'institut de Saint-Benoît. Nous ne parlerons que des principaux, à savoir : les Hospitaliers ou chevaliers de Malte en Orient, les Teutoniques à l'Occident et au nord, et les chevaliers de Calatrava (en y comprenant ceux d'Alcantara et de Saint-Jacques-de-l'Épée) au midi de l'Europe.

Si les historiens sont exacts, on peut compter encore plus de vingthuit autres ordres militaires qui, n'étant point soumis à des règles particulières, ne sont considérés que comme d'illustres confréries religieuses tels sont ces chevaliers du Lion, du Croissant, du Dragon, de l'Aigle-Blanche, du Lis, du Fer-d'Or, et ces chevalières de la Hache, dont les noms rappellent les Roland, les Roger, les Renaud, les Clorinde, les Bradamante, et les prodiges de la Table ronde.

Quelques marchands d'Amalfi, dans le royaume de Naples, obtiennent de Romensor, calife d'Égypte, la permission de bâtir une église latine à Jérusalem; ils y ajoutent un hôpital pour y recevoir les étrangers et les pèlerins: Gérard de Provence les gouverne. Les croisades commencent. Godefroi de Bouillon arrive, il donne quelques terres aux nouveaux Hospitaliers. Boyant-Roger succède à Gérard, RaymondDupuy à Roger. Dupuy prend le titre de grand-maître, divise les Hospitaliers en chevaliers, pour assurer les chemins aux pèlerins et pour combattre les infidèles; en chapelains, consacrés au service des autels, et en frères servants, qui devoient aussi prendre les armes.

L'Italie, l'Espagne, la France, l'Angleterre, l'Allemagne et la Grèce, qui, tour à tour ou toutes ensemble viennent aborder aux rivages de la Syrie, sont soutenues par les braves Hospitaliers. Mais la fortune change sans changer la valeur : Saladin reprend Jérusalem. Acre ou Ptolémaïde est bientôt le seul port qui reste aux Croisés en Palestine. On y voit réunis le roi de Jérusalem et de Chypre, le roi de Naples et de Sicile, le roi d'Arménie, le prince d'Antioche, le comte de Jaffa, le patriarche de Jérusalem, les chevaliers du Saint-Sépulcre, le légat du pape, le comte de Tripoli, le prince de Galilée, les Templiers, les Hospitaliers, les chevaliers Teutoniques, ceux de Saint-Lazare, les Vénitiens, les Génois, les Pisans, les Florentins, le prince de Tarente et le duc d'Athènes. Tous ces princes, tous ces peuples, tous ces ordres ont leur quartier séparé, où ils vivent indépendants les uns des

autres «En sorte, dit l'abbé Fleury, qu'il y avoit cinquante-huit tribunaux qui jugeoient à mort'. »

Le trouble ne tarda pas à se mettre parmi tant d'hommes de mœurs et d'intérêts divers. On en vient aux mains dans la ville. Charles d'Anjou et Hugues III, roi de Chypre, prétendant tous deux au royaume de Jérusalem, augmentent encore la confusion. Le soudan Mélec-Messor profite de ces querelles intestines, et s'avance avec une puissante armée, dans le dessein d'arracher aux Croisés leur dernier refuge. Il est empoisonné par un de ses émirs en sortant d'Égypte; mais avant d'expirer il fait jurer à son fils de ne point donner de sépulture aux cendres paternelles qu'il n'ait fait tomber Ptolémaïde.

Mélec-Séraph exécute la dernière volonté de son père : Acre est assiégée et emportée d'assaut le 18 de mai 1291. Des religieuses donnèrent alors un exemple effrayant de la chasteté chrétienne : elles se mutilèrent le visage, et furent trouvées dans cet état par les infidèles, qui en eurent horreur et les massacrèrent.

Après la réduction de Ptolémaïde les Hospitaliers se retirèrent dans l'île de Chypre, où ils demeurèrent dix-huit ans. Rhodes, révoltée contre Andronic, empereur d'Orient, appelle les Sarrasins dans ses murs. Villaret, grand-maître des Hospitaliers, obtient d'Andronic l'investiture de l'île, en cas qu'il puisse la soustraire au joug des Mahométans. Ses chevaliers se couvrent de peaux de brebis et, se traînant sur les mains au milieu d'un troupeau, ils se glissent dans la ville pendant un épais brouillard, se saisissent d'une des portes, égorgent la garde, et introduisent dans les murs le reste de l'armée chrétienne.

Quatre fois les Turcs essayent de reprendre l'île de Rhodes sur les chevaliers, et quatre fois ils sont repoussés. Au troisième effort, le siége de la ville dura cinq ans, et au quatrième, Mahomet battit les murs avec seize canons d'un calibre tel qu'on n'en avoit point encore vu en Europe.

Ces mêmes chevaliers, à peine échappés à la puissance ottomane, en devinrent les protecteurs. Un prince Zizime, fils de ce Mahomet II qui naguère foudroyoit les remparts de Rhodes, implore le secours des chevaliers contre Bajazet, son frère, qui l'avoit dépouillé de son héritage. Bajazet, qui craignoit une guerre civile, se hâte de faire la paix avec l'ordre, et consent à lui payer une certaine somme tous les ans, pour la pension de Zizime. On vit alors, par un de ces jeux si communs de la fortune, un puissant empereur des Turcs tributaire de quelques Hospitaliers chrétiens.

1. Hist. ecclés

Enfin, sous le grand-maître Villiers de l'Ile-Adam, Soliman s'empare de Rhodes après avoir perdu cent mille hommes devant ses murs. Les chevaliers se retirent à Malte, que leur abandonne Charles Quint. Ils y sont attaqués de nouveau par les Turcs; mais leur courage les délivre, et ils restent paisibles possesseurs de l'île sous le nom de laquelle ils sont encore connus aujourd'hui'.

CHAPITRE II.

ORDRE TEUTONIQUE.

A l'autre extrémité de l'Europe la chevalerie religieuse jetoit les fondements de ces États qui sont devenus de puissants royaumes.

L'Ordre Teutonique avoit pris naissance pendant le premier siége d'Acre par les chrétiens, vers l'an 1190. Dans la suite, le duc de Massovie et de Pologne l'appela à la défense de ses États contre les incursions des Prussiens. Ceux-ci étoient des peuples barbares, qui sortoient de temps en temps de leurs forêts pour ravager les contrées voisines. Ils avoient réduit la province de Culm en une affreuse solitude et n'avoient laissé debout sur la Vistule que le seul château de Plotzko. Les chevaliers teutoniques, pénétrant peu à peu dans les bois de la Prusse, y bâtirent des forteresses. Les Warmiens, les Barthes, les Natangues subirent tour à tour le joug, et la navigation des mers du Nord fut assurée.

Les chevaliers de Porte-glaive, qui de leur côté avoient travaillé à la conquête des pays septentrionaux, en se réunissant aux chevaliers teutoniques leur donnèrent une puissance vraiment royale. Les progrès de l'ordre furent cependant retardés par la division qui régna longtemps entre les chevaliers et les évêques de Livonie; mais enfin tout le nord de l'Europe s'étant soumis, Albert, marquis de Brandebourg, embrassa la doctrine de Luther, chassa les chevaliers de leurs gouvernements, et se rendit seul maître de la Prusse, qui prit alors le nom de Prusse ducale. Ce nouveau duché fut érigé en royaume en 1701, sous l'aïeul du grand Frédéric.

Les restes de l'ordre teutonique subsistent encore en Allemagne, et c'est le prince Charles qui en est grand-maître aujourd'hui2.

1. VERT., Hist. des Chev. de Malte; FLEURY, Hist. eccl.; GIUSTINIANI, Īst. cron. dell' or. degli Ord. milit.; HÉLYOT, Hist. des Ord. relig., t. III.

2. SHOONBECK, Ord. milit.; GIUSTINIANI, 1st. cronol, dell' or. degli Ord. milit., HELYOT, Hist. des Ord. relig., t. III; FLEURY, Hisl. eccl.

CHAPITRE III.

CHEVALIERS DE CALATRAVE ET DE SAINT-JACQUES-DE-L'ÉPÉE, EN ESPAGNE.

La chevalerie faisoit au centre de l'Europe les mêmes progrès qu'aux deux extrémités de cette partie du monde.

Vers l'an 1147, Alphonse le Batailleur, roi de Castille, enlève aux Maures la place de Calatrave en Andalousie. Huit ans après les Maures se préparent à la reprendre sur don Sanche, successeur d'Alphonse. Don Sanche, effrayé de ce dessein, fait publier qu'il donne la place à quiconque voudra la défendre. Personne n'ose se présenter, hors un bénédictin de l'ordre de Cîteaux, dom Didace Vilasquès, et Raymond son abbé. Ils se jettent dans Calatrave avec les paysans et les familles qui dépendoient de leur monastère de Fitero; ils font prendre les armes aux frères convers, et fortifient la ville menacée. Les Maures étant informés de ces préparatifs renoncent à leur entreprise : la place demeure à l'abbé Raymond, et les frères convers se changent en chevaliers du nom de Calatrava.

Ces nouveaux chevaliers firent dans la suite plusieurs conquêtes sur les Maures de Valence et de Jaën: Favera, Maella, Macalon, Valdetormo, la Fresueda, Valderobbes, Calenda, Aqua-Viva, Ozpipa, tombèrent tour à tour entre leurs mains. Mais l'ordre reçut un échec irréparable à la bataille d'Alarcos, que les Maures d'Afrique gagnèrent en 1195 sur le roi de Castille. Les chevaliers de Calatrave y périrent presque tous avec ceux d'Alcantara et de Saint-Jacques-de-l'Épée.

Nous n'entrerons dans aucun détail touchant ces derniers, qui eurent aussi pour but de combattre les Maures et de protéger les voyageurs contre les incursions des infidèles'.

Il suffit de jeter les yeux sur l'histoire à l'époque de l'institution de la chevalerie religieuse pour reconnoître les importants services qu'elle a rendus à la société. L'ordre de Malte, en Orient, a protégé le commerce et la navigation renaissante, et a été pendant plus d'un siècle le seul boulevard qui empêchât les Turcs de se précipiter sur l'Italie; dans le Nord, l'Ordre Teutonique, en subjuguant les peuples errants sur les bords de la Baltique, a éteint le foyer de ces terribles éruptions qui ont tant de fois désolé l'Europe: il a donné le temps à la civilisation de faire des progrès et de perfectionner ces nouvelles

1. SHOONBECK, GIUSTINIANI, HÉLYOT, FLEURY et MAriana,

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