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espèce d'infirmerie, qu'il recouvrit de paille, dans le dessein d'y retirer les esclaves qui manquoient d'abri. Il ne tarda pas à rencontrer une femme nègre, estropiée, abandonnée par son maître. Aussitôt le saint religieux charge l'esclave sur ses épaules, et, tout glorieux de son fardeau, il le porte à cette méchante cabane qu'il appeloit son hôpital. Il alloit courant toute la ville afin d'obtenir quelques secours pour sa négresse. Elle ne survécut pas longtemps à tant de charité, mais en répandant ses dernières larmes elle promit à son gardien des récompenses célestes, qu'il a sans doute obtenues.

Plusieurs riches, attendris par ses vertus, donnèrent des fonds à Bétancourt, qui vit la chaumière de la femme nègre se changer en un hôpital magnifique. Ce religieux mourut jeune; l'amour de l'humanité avoit consumé son cœur. Aussitôt que le bruit de son trépas se fut répandu, les pauvres et les esclaves se précipitèrent à l'hôpital pour voir encore une fois leur bienfaiteur. Ils baisoient ses pieds, ils coupoient des morceaux de ses habits; ils l'eussent déchiré pour en emporter quelques reliques, si l'on n'eût mis des gardes à son cercueil : on eût cru que c'étoit le corps d'un tyran qu'on défendoit contre la haine des peuples, et c'étoit un pauvre moine qu'on déroboit à leur

amour.

L'ordre du frère Bétancourt se répandit après lui; l'Amérique entière se couvrit de ses hôpitaux, desservis par des religieux qui prirent le nom de Bethleemites. Telle étoit la formule de leurs vœux : « Moi, frère......., je fais vœu de pauvreté, de chasteté et d'hospitalité, et m'oblige de servir les pauvres convalescents, encore bien qu'ils soient infidèles et attaqués de maladies contagieuses'. »

Si la religion nous a attendus sur le sommet des montagnes, elle est aussi descendue dans les entrailles de la terre, loin de la lumière du jour, afin d'y chercher des infortunés. Les frères Bethléémites ont des espèces d'hôpitaux jusqu'au fond des mines du Pérou et du Mexique. Le christianisme s'est efforcé de réparer au Nouveau-Monde les maux que les hommes y ont faits, et dont on l'a si injustement accusé d'être l'auteur. Le docteur Robertson, Anglois, protestant et même ministre presbytérien, a pleinement justifié sur ce point l'Église romaine : « C'est avec plus d'injustice encore, dit-il, que beaucoup d'écrivains ont attribué à l'esprit d'intolérance de la religion romaine la destruction des Américains, et ont accusé les ecclésiastiques espagnols d'avoir excité leurs compatriotes à massacrer ces peuples innocents comme des idolâtres et des ennemis de Dieu. Les premiers

1. HELYOT, t. III, p. 366.

missionnaires, quoique simples et sans lettres, étoient des hommes pieux; ils épousèrent de bonne heure la cause des Indiens, et défendirent ce peuple contre les calomnies dont s'efforcèrent de le noircir les conquérants, qui le représentoient comme incapable de se former jamais à la vie sociale et de comprendre les principes de la religion, et comme une espèce imparfaite d'hommes que la nature avoit marquée du sceau de la servitude. Ce que j'ai dit du zèle constant des missionnaires espagnols pour la défense et la protection du troupeau commis à leurs soins les montre sous un point de vue digne de leurs fonctions; ils furent des ministres de paix pour les Indiens, et s'efforcèrent toujours d'arracher la verge de fer des mains de leurs oppresseurs. C'est à leur puissante médiation que les Américains durent tous les règlements qui tendoient à adoucir la rigueur de leur sort. Les Indiens regardent encore les ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, dans les établissements espagnols, comme leurs défenseurs naturels, et c'est à eux qu'ils ont recours pour repousser les exactions et les violences auxquelles ils sont encore exposés'. »

Le passage est formel, et d'autant plus décisif, qu'avant d'en venir à cette conclusion le ministre protestant fournit les preuves qui ont déterminé son opinion. Il cite les plaidoyers des Dominicains pour les Caraïbes, car ce n'étoit pas Las Casas seul qui prenoit leur défense! c'étoit son ordre entier, et le reste des ecclésiastiques espagnols. Le docteur anglois joint à cela les bulles des papes, les ordonnances des rois, accordées à la sollicitation du clergé, pour adoucir le sort des Américains et mettre un frein à la cruauté des colons.

Au reste, le silence que la philosophie a gardé sur ce passage de Robertson est bien remarquable. On cite tout de cet auteur, hors le fait qui présente sous un jour nouveau la conquête de l'Amérique et qui détruit une des plus atroces calomnies dont l'histoire se soit rendue coupable. Les sophistes ont voulu rejeter sur la religion un crime que non-seulement la religion n'a pas commis, mais dont elle a eu horreur : c'est ainsi que les tyrans ont souvent accusé leur victime2.

1. Hist. de l'Amérique, t. IV, liv. vш, p. 142-3, trad. franç., édit. in-8°, 1780. 2. Voyez la note LVI, à la fin du volume.

On trouvera le morceau de Robertson tout entier à la fin de ce volume, ainsi qu'une explication sur le massacre d'Irlande et sur la Saint-Barthélemy; le passage de l'écrivain anglois étoit trop long pour être inséré ici. Il ne laisse rien à désirer, et il fait tomber les bras d'étonnement à ceux qui n'ont pas été accoutumés aux déclsmations des philosophes sur les massacres du Nouveau-Monde. Il ne s'agit pas de savoir si des monstres ont fait brûler des hommes en l'honneur des douze apôtres, mais si c'est la religion qui a provoqué ces horreurs, ou si c'est elle qui les a dénoncées

CHAPITRE III.

HOTEL-DIEU, SOEURS GRISES.

Nous venons à ce moment où la religion a voulu, comme d'un seul coup et sous un seul point de vue, montrer qu'il n'y a pas de souffrances humaines qu'elle n'ose envisager ni de misère au-dessus de

son amour.

La fondation de l'Hôtel-Dieu remonte à saint Landry, huitième évêque de Paris. Les bâtiments en furent successivement augmentés par le chapitre de Notre-Dame, propriétaire de l'hôpital, par saint Louis, par le chancelier Duprat et par Henri IV; en sorte qu'on peut dire que cette retraite de tous les maux s'élargissoit à mesure que les maux se multiplioient, et que la charité croissoit à l'égal des douleurs. L'hôpital étoit desservi dans le principe par des religieux et des religieuses sous la règle de Saint-Augustin, mais depuis longtemps les religieuses seules y sont restées. « Le cardinal de Vitry, dit Hélyot, a voulu sans doute parler des religieuses de l'hôtel-Dieu, lorsqu'il dit qu'il y en avoit qui, se faisant violence, souffroient avec joie et sans répugnance l'aspect hideux de toutes les misères humaines, et qu'il lui sembloit qu'aucun genre de pénitence ne pouvoit être comparé à cette espèce de martyre.

« Il n'y a personne, continue l'auteur que nous citons, qui, en voyant les religieuses de l'hôtel-Dieu non-seulement panser, nettoyer les malades, faire leurs lits, mais encore au plus fort de l'hiver casser la glace de la rivière qui passe au milieu de cet hôpital, et y entrer jusqu'à la moitié du corps pour laver leurs linges pleins d'ordures et de vilenies, ne les regarde comme autant de saintes victimes qui, par un excès d'amour et de charité pour secourir leur prochain, courent volontiers à la mort qu'elles affrontent, pour ainsi dire, au milieu de tant de puanteur et d'infection causées par le grand nombre des malades. >>

Nous ne doutons point des vertus qu'inspire la philosophie; mais elles seront encore bien plus frappantes pour le vulgaire, ces vertus, quand la philosophie nous aura montré de pareils dévouements. Et cependant la naïveté de la peinture d'Hélyot est loin de donner une idée complète des sacrifices de ces femmes chrétiennes : cet historien

à l'exécration de la postérité. Un seul prêtre osa justifier les Espagnols; il faut voir, dans ROBERTSON, comme il fut traité par le clergé et quels cris d'indignation il excita.

ne parle ni de l'abandon des plaisirs de la vie, ni de la perte de la jeunesse et de la beauté, ni du renoncement à une famille, à un époux, à l'espoir d'une postérité; il ne parle point de tous les sacrifices du cœur, des plus doux sentiments de l'âme étouffés, hors la pitié qui, au milieu de tant de douleurs, devient un tourment de plus.

Eh bien, nous avons vu les malades, les mourants près de passer, se soulever sur leur couche, et, faisant un dernier effort, accabler d'injures les femmes angéliques qui les servoient. Et pourquoi? parce qu'elles étoient chrétiennes! Eh, malheureux! qui vous serviroit, si ce n'étoit des chrétiennes? D'autres filles, semblables à celles-ci, et qui méritoient des autels, ont été publiquement fouettées, nous ne déguiserons point le mot. Après un pareil retour pour tant de bienfaits, qui eût voulu encore retourner auprès des misérables? Qui? elles! ces femmes ! elles-mêmes! Elles ont volé au premier signal, ou plutôt elles n'ont jamais quitté leur poste. Voyez ici réunies la nature humaine religieuse et la nature humaine impie, et jugez-les.

La sœur grise ne renfermoit pas toujours ses vertus, ainsi que les filles de l'hôtel-Dieu, dans l'intérieur d'un lieu pestiféré; elle les répandoit au dehors comme un parfum dans les campagnes; elle alloit chercher le cultivateur infirme dans sa chaumière. Qu'il étoit touchant de voir une femme jeune, belle et compatissante, exercer au nom de Dieu, près de l'homme rustique, la profession de médecin! On nous montroit dernièrement, près d'un moulin, sous des saules, dans une prairie, une petite maison qu'avoient occupée trois sœurs grises. C'étoit de cet asile champêtre qu'elles partoient à toutes les heures de la nuit et du jour pour secourir les laboureurs. On remarquoit en elles, comme dans toutes leurs sœurs, cet air de propreté et de contentement qui annonce que le corps et l'âme sont également exempts de souillures; elles étoient pleines de douceur, mais toutefois sans manquer de fermeté pour soutenir la vue des maux et pour se faire obéir des malades. Elles excelloient à rétablir les membres brisés par des chutes ou par ces accidents si communs chez les paysans. Mais ce qui étoit d'un prix inestimable, c'est que la sœur grise ne manquoit pas de dire un mot de Dieu à l'oreille du nourricier de la patrie, et que jamais la morale ne trouva de formes plus divines pour se glisser Jans le cœur humain.

Tandis que ces filles hospitalières étonnoient par leur charité ceux même qui étoient accoutumés à ces actes sublimes, il se passoit dans Paris d'autres merveilles de grandes dames s'exiloient de la ville et de la cour et partoient pour le Canada. Elles alloient sans doute acquérir des habitations, réparer une fortune délabrée et jeter les fonde

ments d'une vaste propriété? Ce n'étoit pas là leur but: elles alloient, au milieu des forêts et des guerres sanglantes, fonder des hôpitaux pour des sauvages ennemis.

En Europe, nous tirons le canon en signe d'allégresse pour annoncer la destruction de plusieurs milliers d'hommes; mais dans les établissements nouveaux et lointains, où l'on est plus près du malheur et de la nature, on ne se réjouit que de ce qui mérite en effet des bénédictions, c'est-à-dire des actes de bienfaisance et d'humanité. Trois pauvres hospitalières, conduites par madame de La Peltrie, descendent sur les rives canadiennes, et voilà toute la colonie troublée de joie. « Le jour de l'arrivée de personnes si ardemment désirées, dit Charlevoix, fut pour toute la ville un jour de fête; tous les travaux cessèrent et les boutiques furent fermées. Le gouverneur reçut les héroïnes sur le rivage à la tête de ses troupes, qui étoient sous les armes, et au bruit du canon; après les premiers compliments il les mena, au milieu des acclamations du peuple, à l'église, où le Te Deum fut chanté...

« Ces saintes filles, de leur côté, et leur généreuse conductrice, voulurent, dans le premier transport de leur joie, baiser une terre après laquelle elles avoient si longtemps soupiré, qu'elles se promettoient bien d'arroser de leurs sueurs et qu'elles ne désespéroient pas même de teindre de leur sang. Les François mêlés avec les sauvages, les infidèles mêmes confondus avec les chrétiens, ne se lassoient point, et continuèrent plusieurs jours à faire retentir tout de leurs cris d'allégresse, et donnèrent mille bénédictions à celui qui seul peut inspirer tant de force et de courage aux personnes les plus foibles. A la vue des cabanes sauvages où l'on mena les religieuses le lendemain de leur arrivée, elles se trouvèrent saisies d'un nouveau transport de joie : la pauvreté et la malpropreté qui y régnoient ne les rebutèrent point, et des objets si capables de ralentir leur zèle ne le rendirent que plus vif: elles témoignèrent une grande impatience d'entrer dans l'exercice de leurs fonctions.

<< Madame de La Peltrie, qui n'avoit jamais désiré d'être riche et qui s'étoit faite pauvre d'un si bon cœur pour Jésus-Christ, ne s'épargnoit en rien pour le salut des âmes. Son zèle la porta même à cultiver la terre de ses propres mains pour avoir de quoi soulager les pauvres néophytes. Elle se dépouilla en peu de jours de ce qu'elle avoit réservé pour son usage, jusqu'à se réduire à manquer du nécessaire pour vêtir les enfants qu'on lui présentoit presque nus; et toute sa vie, qui fut assez longue, ne fut qu'un tissu d'actions les plus héroïques de la charité'. >>

A. Hist. de la Nouv.-France, liv. v, p. 207, t. I, in-4°.

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