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eut une lueur de politesse, qui fut probablement le fruit du voyage de Rome. »

C'est donc une chose assez généralement reconnue que l'Europe doit au saint-siége sa civilisation, une partie de ses meilleures lois et presque toutes ses sciences et ses arts. Les souverains pontifes vont maintenant chercher d'autres moyens d'être utiles aux hommes : une nouvelle carrière les attend, et nous avons des présages qu'ils la rempliront avec gloire. Rome est remontée à cette pauvreté évangélique qui faisoit tout son trésor dans les anciens jours. Par une conformité remarquable, il y a des gentils à convertir, des peuples à rappeler à l'unité, des haines à éteindre, des larmes à essuyer, des plaies à fermer et qui demandent tous les baumes de la religion. Si Rome comprend bien sa position, jamais elle n'a eu devant elle de plus grandes espérances et de plus brillantes destinées. Nous disons des espérances, car nous comptons les tribulations au nombre des désirs de l'Église de Jésus-Christ. Le monde dégénéré appelle une seconde publication de l'Évangile; le christianisme se renouvelle, et sort victorieux du plus terrible des assauts que l'enfer lui ait encore livrés. Qui sait si ce que nous avons pris pour la chute de l'Église n'est pas sa réédification! Elle périssoit dans la richesse et dans le repos; elle ne se souvenoit plus de la croix : la croix a reparu, elle sera sauvée.

CHAPITRE VII.

AGRICULTURE.

C'est au clergé séculier et régulier que nous devons encore le renouvellement de l'agriculture en Europe, comme nous lui devons la fondation des colléges et des hôpitaux. Défrichements des terres, ouverture des chemins, agrandissements des hameaux et des villes, établissements des messageries et des auberges, arts et métiers, manufactures, commerce intérieur et extérieur, lois civiles et politiques, tout enfin nous vient originairement de l'Église. Nos pères étoient des barbares, à qui le christianisme étoit obligé d'enseigner jusqu'à l'art de se nourrir.

La plupart des concessions faites aux monastères dans les premiers siècles de l'Église étoient des terres vagues, que les moines cultivoient de leurs propres main3. Des forêts sauvages, des marais impraticables, de vastes landes furent la source de ces richesses que nous avons tant reprochées au clergé.

Tandis que les chanoines Prémontrés labouroient les solitudes de la Pologne et une portion de la forêt de Coucy en France, les Bénédictins fertilisoient nos bruyères. Molesme, Colan et Citeaux, qui se couvrent aujourd'hui de vignes et de moissons, étoient des lieux semés de ronces et d'épines, où les premiers religieux habitoient sous des huttes de feuillages, comme les Américains au milieu de leurs défrichements. Saint Bernard et ses disciples fécondèrent les vallées stériles que leur abandonna Thibaut, comte de Champagne. Fontevrault fut une véritable colonie établie par Robert d'Arbrissel dans un pays désert, sur les confins de l'Anjou et de la Bretagne. Des familles entières cherchèrent un asile sous la direction de ces Bénédictins: il s'y forma des monastères de veuves, de filles, de laïques, d'infirmes et de vieux. soldats. Tous devinrent cultivateurs, à l'exemple des Pères, qui abattoient eux-mêmes les arbres, guidoient la charrue, semoient les grains et couronnoient cette partie de la France de ces belles moissons qu'elle n'avoit point encore portées.

La colonie fut bientôt obligée de verser au dehors une partie de ses habitants et de céder à d'autres solitudes le superflu de ses mains laborieuses. Raoul de la Futaye, compagnon de Robert, s'établit dans la forêt du Nid-du-Merle, et Vital, autre bénédictin, dans les bois de Savigny. La forêt de l'Orges, dans le diocèse d'Angers, Chaufournois, aujourd'hui Chantenois, en Touraine; Bellay, dans la même province; la Puie, en Poitou; l'Encloître, dans la forêt de Gironde; Gaisne, à quelques lieues de Loudun; Luçon, dans les bois du même nom; la Lande, dans les landes de Garnache; la Madeleine, sur la Loire ; Bourbon, en Limousin; Cadouin, en Périgord; enfin Haute-Bruyère, près de Paris, furent autant de colonies de Fontevrault, et qui pour la plupart, d'incultes qu'elles étoient, se changèrent en opulentes campagnes.

Nous fatiguerions le lecteur si nous entreprenions de nommer tous les sillons que la charrue des Bénédictins a tracés dans les Gaules sauvages. Maurecourt, Longpré, Fontaine, le Charme, Colinance, Foici, Bellomer, Cousanie, Sauvement, les Épines, Eube, Vanassel, Pons, Charles, Vairville et cent autres lieux dans la Bretagne, l'Anjou, le Berry, l'Auvergne, la Gascogne, le Languedoc, la Guienne, attestent. leurs immenses travaux. Saint Colomban fit fleurir le désert de Vauge; des filles bénédictines même, à l'exemple des Pères de leur ordre, se consacrèrent à la culture; celles de Montreuil-les-Dames « s'occupoient, dit Herman, à coudre, à filer, à défricher les épines de la forêt, à l'imitation de Laon et de tous les religieux de Clairvaux'. »

1. De Miracul., lib. u, cap. XVII.

En Espagne, les Bénédictins déployèrent la même activité. Ils achetèrent des terres en friche au bord du Tage, près de Tolède, et ils fondèrent le couvent de Venghalia, après avoir planté en vignes et en orangers tout le pays d'alentour.

Le Mont-Cassin, en Italie, n'étoit qu'une profonde solitude: lorsque saint Benoît s'y retira, le pays changea de face en peu de temps, et l'abbaye nouvelle devint si opulente par ses travaux, qu'elle fut en état de se défendre, en 1057, contre les Normands, qui lui firent la guerre.

Saint Boniface, avec les religieux de son ordre, commença toutes les cultures dans les quatre évêchés de Bavière. Les Bénédictins de Fulde défrichèrent, entre la Hesse, la Franconie et la Thuringe, un terrain du diamètre de huit mille pas géométriques, ce qui donnoit vingt-quatre mille pas, ou seize lieues de circonférence; ils comptèrent bientôt jusqu'à dix-huit mille métairies, tant en Bavière qu'en Souabe. Les moines de Saint-Benoît-Polironne, près de Mantoue, employèrent au labourage plus de trois mille bœufs.

Remarquons, en outre, que la règle, presque générale, qui interdisoit l'usage de la viande aux ordres monastiques vint sans doute, en premier lieu, d'un principe d'économie rurale. Les sociétés religieuses étant alors fort multipliées, tant d'hommes qui ne vivoient que de poissons, d'œufs, de lait et de légumes, durent favoriser singulièrement la propagation des races de bestiaux. Ainsi nos campagnes, aujourd'hui si florissantes, sont en partie redevables de leurs moissons et de leurs troupeaux au travail des moines et à leur frugalité.

De plus, l'exemple, qui est souvent peu de chose en morale, parce que les passions en détruisent les bons effets, exerce une grande puissance sur le côté matériel de la vie. Le spectacle de plusieurs milliers de religieux cultivant la terre mina peu à peu ces préjugés barbares qui attachoient le mépris à l'art qui nourrit les hommes. Le paysan apprit dans les monastères à retourner la glèbe et à fertiliser le sillon. Le baron commença à chercher dans son champ des trésors plus certains que ceux qu'il se procuroit par les armes. Les moines furent donc réellement les pères de l'agriculture, et comme laboureurs eux-mêmes, et comme les premiers maîtres de nos laboureurs.

Ils n'avoient point perdu de nos jours ce génie utile. Les plus belles cultures, les paysans les plus riches, les mieux nourris et les moins vexés, les équipages champêtres les plus parfaits, les troupeaux les plus gras, les fermes les mieux entretenues se trouvoient dans les abbayes. Ce n'étoit pas là, ce nous semble, un sujet de reproches à faire au clergé.

CHAPITRE VIII.

VILLES ET VILLAGES, PONTS, GRANDS CHEMINS, ETC.

Mais si le clergé a défriché l'Europe sauvage, il a aussi multiplié nos hameaux, accru et embelli nos villes. Divers quartiers de Paris, tels que ceux de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain-l'Auxerrois, se sont élevés en partie aux frais des abbayes du même nom'. En général, partout où il se trouvoit un monastère, là se formoit un village; la Chaise-Dieu, Abbeville et plusieurs autres lieux, portent encore dans leurs noms la marque de leur origine. La ville de Saint-Sauveur, au pied du Mont-Cassin, en Italie, et les bourgs environnants, sont l'ouvrage des religieux de Saint-Benoît. A Fulde, à Mayence, dans tous les cercles ecclésiastiques de l'Allemagne, en Prusse, en Pologne, en Suisse, en Espagne, en Angleterre, une foule de cités ont eu pour fondateurs des ordres monastiques ou militaires. Les villes qui sont sorties le plus tôt de la barbarie sont celles mêmes qui ont été soumises à des princes ecclésiastiques. L'Europe doit la moitié de ses monuments et de ses fondations utiles à la munificence des cardinaux, des abbés et des évêques.

Mais on dira peut-être que ces travaux n'attestent que la richesse immense de l'Église.

Nous savons qu'on cherche toujours à atténuer les services : l'homme hait la reconnoissance. Le clergé a trouvé des terres incultes : il y a fait croître des moissons. Devenu opulent par son propre travail, il a appliqué ses revenus à des monuments publics. Quand vous lui reprochez des biens si nobles et dans leur emploi et dans leur source, vous l'accusez à la fois du crime de deux bienfaits.

L'Europe entière n'avoit ni chemins ni auberges; ses forêts étoient remplies de voleurs et d'assassins; ses lois étoient impuissantes, ou plutôt il n'y avoit point de lois : la religion seule, comme une grande colonne élevée au milieu des ruines gothiques, offroit des abris et un point de communication aux hommes.

Sous la seconde race de nos rois, la France étant tombée dans l'anarchie la plus profonde, les voyageurs étoient surtout arrêtés, dépouillés et massacrés aux passages des rivières. Des moines habiles et courageux entreprirent de remédier à ces maux. Ils formèrent entre eux une compagnie, sous le nom d'Hospitaliers pontifes ou faiseurs de

1. Histoire de la ville de Paris.

ponts. Ils s'obligeoient, par leur institut, à prêter main-forte aux voyageurs, à réparer les chemins publics, à construire des ponts et à loger des étrangers dans des hospices qu'ils élevèrent au bord des rivières. Ils se fixèrent d'abord sur la Durance, dans un endroit dangereux appelé Maupas ou Mauvais-pas, et qui, grâce à ces généreux moines, prit bientôt le nom de Bon-pas, qu'il porte encore aujourd'hui. C'est cet ordre qui a bâti le pont du Rhône à Avignon. On sait que les messageries et les postes, perfectionnées par Louis XI, furent d'abord établies par l'université de Paris.

Sur une rude et haute montagne du Rouergue, couverte de neige et de brouillards pendant huit mois de l'année, on aperçoit un monastère, bâti, vers l'an 1120, par Alard, vicomte de Flandre. Ce seigneur, revenant d'un pèlerinage, fut attaqué dans ce lieu par des voleurs; il fit væeu, s'il se sauvoit de leurs mains, de fonder dans ce désert un hôpital pour les voyageurs et de chasser les brigands de la montagne. Étant échappé au péril, il fut fidèle à ses engagements, et l'hôpital d'Abrac ou d'Aubrac s'éleva in loco horroris et vastæ solitudinis, comme le porte l'acte de fondation. Alard y établit des prêtres pour le service de l'église, des chevaliers hospitaliers pour escorter les voyageurs et des dames de qualité pour laver les pieds des pèlerins, faire leurs lits et prendre soin de leurs vêtements.

Dans les siècles de barbarie, les pèlerinages étoient fort utiles; ce principe religieux, qui attiroit les hommes hors de leurs foyers, servoit puissamment au progrès de la civilisation et des lumières. Dans l'année du grand jubilé', on ne reçut pas moins de quatre cent quarante mille cinq cents étrangers à l'hôpital de Saint-Philippe de Néri, à Rome; chacun d'eux fut nourri, logé et défrayé entièrement pendant trois jours.

Il n'y avoit point de pèlerin qui ne revînt dans son village avec quelque préjugé de moins et quelque idée de plus. Tout se balance dans les siècles : certaines classes riches de la société voyagent peutêtre à présent plus qu'autrefois, mais, d'une autre part, le paysan est plus sédentaire. La guerre l'appeloit sous la bannière de son seigneur et la religion dans les pays lointains. Si nous pouvions revoir un de ces anciens vassaux que nous nous représentons comme une espèce d'esclave stupide, peut-être serions-nous surpris de lui trouver plus de bon sens et d'instruction qu'au paysan libre d'aujourd'hui.

Avant de partir pour les royaumes étrangers, le voyageur s'adressoit à son évêque, qui lui donnoit une lettre apostolique avec laquelle

1. En 1600.

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