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il passoit en sûreté dans toute la chrétienté. La forme de ces lettres varioit selon le rang et la profession du porteur, d'où on les appeloit formatæ. Ainsi, la religion n'étoit occupée qu'à renouer les fils sociaux que la barbarie rompoit sans cesse.

En général, les monastères étoient des hôtelleries où les étrangers trouvoient en passant le vivre et le couvert. Cette hospitalité, qu'on admire chez les anciens et dont on voit encore les restes en Orient, étoit en honneur chez nos religieux plusieurs d'entre eux, sous le nom d'hospitaliers, se consacrèrent particulièrement à cette vertu touchante. Elle se manifestoit, comme aux jours d'Abraham, dans toute sa beauté antique, par le lavement des pieds, la flamme du foyer et les douceurs du repas et de la couche. Si le voyageur étoit pauvre, on lui donnoit des habits, des vivres et quelque argent pour se rendre à un autre monastère, où il recevait les mêmes secours. Les dames, montées sur leur palefroi; les preux, cherchant aventures; les rois, égarés a la chasse, frappoient, au milieu de la nuit, à la porte des vieilles abbayes, et venoient partager l'hospitalité qu'on donnoit à l'obscur pèlerin. Quelquefois deux chevaliers ennemis s'y rencontroient ensemble et se faisoient joyeuse réception jusqu'au lever du soleil, où, le fer à la main, ils maintenoient l'un contre l'autre la supériorité de leurs dames et de leurs patries. Boucicault, au retour de la croisade de Prusse, logeant dans un monastère avec plusieurs chevaliers anglois, soutint seul contre tous qu'un chevalier écossois, attaqué par eux dans les bois, avoit été traîtreusement mis à mort.

Dans ces hôtelleries de la religion, on croyoit faire beaucoup d'honneur à un prince quand on lui proposoit de rendre quelques soins aux pauvres qui s'y trouvoient par hasard avec lui. Le cardinal de Bourbon, revenant de conduire l'infortunée Élisabeth en Espagne, s'arrêta à l'hôpital de Roncevaux, dans les Pyrénées; il servit à table trois cents pèlerins, et donna à chacun d'eux trois réaux pour continuer leur voyage. Le Poussin est un des derniers voyageurs qui aient profité de cette coutume chrétienne; il alloit à Rome, de monastère en monastère, peignant des tableaux d'autel pour prix de l'hospitalité qu'il rece voit et renouvelant ainsi chez les peintres l'aventure d'Homère.

CHAPITRE IX.

ARTS ET MÉTIERS, COMMERCE.

Rien n'est plus contraire à la vérité historique que de se représente les premiers moines comme des hommes oisifs, qui vivoient dans l'abondance aux dépens des superstitions humaines. D'abord cette abondance n'étoit rien moins que réelle. L'ordre, par ses travaux, pouvoit être devenu riche, mais il est certain que le religieux vivoit très-durement. Toutes ces délicatesses du cloître, si exagérées, se réduisoient, même de nos jours, à une étroite cellule, des pratiques désagréables et une table fort simple, pour ne rien dire de plus. Ensuite il est très-faux que les moines ne fussent que de pieux fainéants; quand leurs nombreux hospices, leurs colléges, leurs bibliothèques, leurs cultures et tous les autres services dont nous avons parlé, n'auroient pas suffi pour occuper leurs loisirs, ils avoient encore trouvé bien d'autres manières d'être utiles; ils se consacroient aux arts mécaniques et étendoient le commerce au dehors et au dedans de l'Europe.

La congrégation du tiers ordre de Saint-François, appelée des BonsFieux, faisoit des draps et des galons en même temps qu'elle montroit à lire aux enfants des pauvres et qu'elle prenoit soin des malades. La compagnie des Pauvres Frères cordonniers et tailleurs étoit instituée dans le même esprit. Le couvent des Hiéronymites, en Espagne, avoit dans son sein plusieurs manufactures. La plupart des premiers religieux étoient maçons aussi bien que laboureurs. Les Bénédictins bâtissoient leurs maisons de leurs propres mains, comme on le voit par l'histoire des couvents du Mont-Cassin, de ceux de Fontevrault et de plusieurs autres.

Quant au commerce intérieur, beaucoup de foires et de marchés appartenoient aux abbayes et avoient été établis par elles. La célèbre foire du Landyt, à Saint-Denis, devoit sa naissance à l'université de Paris. Les religieuses filoient une grande partie des toiles de l'Europe. Les bières de Flandre et la plupart des vins fins de l'Archipel, de la Hongrie, de l'Italie, de la France et de l'Espagne, étoient faits par les congrégations religieuses; l'exportation et l'importation des grains, soit pour l'étranger, soit pour les armées, dépendoient encore en partie des grands propriétaires ecclésiastiques. Les églises faisoient valoir le parchemin, la cire, le lin, la soie, les marbres, l'orfévrerie les manufactures en laine, les tapisseries et les matières premières

d'or et d'argent; elles seules, dans les temps barbares, procuroient quelque travail aux artistes, qu'elles faisoient venir exprès de l'Italie et jusque du fond de la Grèce. Les religieux eux-mêmes cultivoient les beaux-arts et étoient les peintres, les sculpteurs et les architectes de l'âge gothique. Si leurs ouvrages nous paroissent grossiers aujourd'hui, n'oublions pas qu'ils forment l'anneau où les siècles antiques viennent se rattacher aux siècles modernes; que sans eux la chaîne de la tradition des lettres et des arts eût été totalement interrompue : il ne faut pas que la délicatesse de notre goût nous mène à l'ingratitude.

A l'exception de cette petite partie du Nord comprise dans la ligne des villes anséatiques, le commerce extérieur se faisoit autrefois par la Méditerranée. Les Grecs et les Arabes nous apportoient les marchandises de l'Orient, qu'ils chargeoient à Alexandrie. Mais les croisades firent passer entre les mains des Francs cette source de richesses. « Les conquêtes des Croisés, dit l'abbé Fleury, leur assurèrent la liberté du commerce pour les marchandises de la Grèce, de Syrie et d'Égypte, et par conséquent pour celles des Indes, qui ne venoient point encore en Europe par d'autres routes'. >>

Le docteur Robertson, dans son excellent ouvrage sur le commerce des anciens et des modernes aux Indes orientales, confirme, par les détails les plus curieux, ce qu'avance ici l'abbé Fleury. Gênes, Venise, Pise, Florence et Marseille durent leurs richesses et leur puissance à ces entreprises d'un zèle exagéré, que le véritable esprit du christianisme a condamnées depuis longtemps2. Mais enfin on ne peut se dissimuler que la marine et le commerce moderne ne soient nés de ces fameuses expéditions. Ce qu'il y eut de bon en elles appartient à la religion, le reste aux passions humaines. D'ailleurs, si les Croisés ont eu tort de vouloir arracher l'Égypte et la Syrie aux Sarrasins, ne gémissons donc plus quand nous voyons ces belles contrées en proie à ces Turcs, qui semblent arrêter la peste et la barbarie sur la patrie de Phidias et d'Euripide. Quel mal y auroit-il si l'Égypte étoit depuis saint Louis une colonie de la France, et si les descendants des chevaliers françois régnoient à Constantinople, à Athènes, à Damas, à Tripoli, à Carthage, à Tyr, à Jérusalem?

Au reste, quand le christianisme a marché seul aux expéditions lointaines, on a pu juger que les désordres des croisades n'étoient pas venus de lui, mais de l'emportement des hommes. Nos missionnaires. nous ont ouvert des sources de commerce pour lesquelles ils n'ont

1. Hist. ecclés., t. XVIII, sixième disc., p. 20. 2. Vid. FLEURY, loc. cit.

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