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EXTRAITS CRITIQUES

DU

GÉNIE DU CHRISTIANISME

PAR M. DE FONTANES.

PREMIER EXTRAIT.

Cet ouvrage longtemps attendu, et commencé dans des jours d'oppression et de douleur, paroît quand tous les maux se réparent et quand toutes les persécutions finissent. Il ne pouvoit être publié dans des circonstances plus favorables. C'étoit à l'époque où la tyrannie renversoit tous les monuments religieux, c'étoit au bruit de tous les blasphèmes, et pour ainsi dire en présence de l'athéisme triomphant, que l'auteur se plaisoit à retracer les augustes souvenirs de la religion. Celui qui dans ce temps-là, sur les ruines des temples du christianisme, en rappeloit l'ancienne gloire, eût-il pu deviner qu'à peine arrivé au terme de son travail, il verroit se rouvrir ces mêmes temples? Certes, nous osons l'affirmer, la prédiction d'un tel événement eût excité la rage ou le mépris de ceux qui gouvernoient alors la France, et qui se vantoient d'anéantir par leurs lois les croyances religieuses que la nature et l'habitude ont si profondément gravées dans les cœurs. Mais, en dépit de toutes les menaces et de toutes les injures, l'opinion préparoit ce retour salutaire, et le nouvel orateur du christianisme va retrouver tout ce qu'il regrettoit. Du fond de la solitude où son imagination s'étoit réfugiée, il entendoit naguère la chute de nos autels. 11 Deut assister maintenant à leurs solennités renouvelées. La religion, lont la majesté s'est accrue par ses souffrances, revient d'un long exit dans ses sanctuaires déserts, au milieu de la victoire et de la paix dont elle affermit l'ouvrage. Toutes les consolations l'accompagnent, les haines et les douleurs s'apaisent à sa présence. Les vœux qu'elle formoit depuis douze cents ans pour la prospérité de cet empire seront

encore entendus, et son autorité confirmera les nouvelles grandeurs de la France, au nom du Dieu qui, chez toutes les nations, est le premier auteur de tout pouvoir, le plus sûr appui de la morale, et par conséquent le seul gage de la félicité publique.

On accueillera donc avec un intérêt universel le jeune écrivain qui ose rétablir l'autorité des ancêtres et les traditions des âges. Son entreprise doit plaire à tous et n'alarmer personne; car il s'occupe encore plus d'attacher l'âme que de forcer la conviction. Il cherche les tableaux sublimes plus que les raisonnements victorieux : il sent et ne dispute pas; il veut unir tous les cœurs par le charme des mêmes émotions, et non séparer les esprits par des controverses interminables; en un mot, on diroit que le premier livre offert en hommage à la religion renaissante fut inspiré par cet esprit de paix qui vient de rapprocher toutes les consciences.

On sent trop que le plan d'un pareil ouvrage doit différer suivant l'esprit des siècles, le genre des lecteurs et les facultés de l'écrivain. Le zèle et le talent peuvent prendre des routes opposées pour arriver au même but.

Le génie audacieux de Pascal vouloit abattre l'incrédule sous les luttes du raisonnement. Sûr de lui-même, il osoit se mesurer avec l'orgueil de la raison humaine; et, quoiqu'il sût bien que cet orgueil est infini, l'athlète chrétien se sentoit assez fort pour le terrasser. Mais le seul Pascal pouvoit exécuter le plan qu'il avoit conçu, et la mort l'a frappé malheureusement au pied de l'édifice qu'il commençoit avec tant de grandeur. Racine le fils s'est traîné foiblement sur le dessein tracé par un si grand maître. Il a mêlé dans son poëme les méditations de Pascal et de Bossuet. Mais sa Muse, si j'ose le dire, a été comme abattue en présence de ces deux grands hommes, et n'a pu porter tout le poids de leurs pensées. Il ébauche ce qu'ils ont peint; il n'est qu'élégant lorsqu'ils sont sublimes, mais il n'en est pas moins un versificateur très-habile, et plus d'une fois on croit entendre dans les vers du poëme de la Religion les sons affoiblis de cette lyre qui nous charme dans Esther et dans Athalie.

L'auteur du Génie du Christianisme n'a point suivi la même route que ses prédécesseurs. Il n'a point voulu rassembler les preuves théologiques de la religion, mais le tableau de ses bienfaits; il appelle à son secours le sentiment et non l'argumentation. Il veut faire aimer tout ce qui est utile. Tel est le plan, comme nous avons pu le saisir dans une première lecture faite à la håte. C'est ainsi qu'il s'explique lui-même :

« Nous osons croire, etc. » (Voyez p. 10).

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Les espérances que donne ce début ne sont point trompeuses. quelque page qu'on s'arrête, on est touché par d'aimables rêveries ou frappé par de grandes images. Il ne faut jamais oublier que cet ouvrage est moins fait pour les docteurs que pour les poëtes. Ceux qu'avoient prévenus les plaisanteries de l'incrédulité moderne s'étonneront de leur erreur en découvrant les beautés du système religieux: elles sont toutes développées par l'auteur.

Il considère, dans sa première partie, les mystères du cliristianisme. Plus une religion est mystérieuse, et plus elle est conforme à la nature humaine. Notre imagination aime surtout ce qu'elle devine, et croit découvrir davantage quand elle ne voit rien qu'à demi. Il montre ensuite les sacrements institués pour les divers besoins de l'homme, depuis la naissance jusqu'à la mort. C'est par eux que le chrétien communique sans cesse avec le ciel et qu'il voit tous les préceptes de la morale sous des images sensibles. Bravons de froids sarcasmes, et ne craignons point de citer, en présence d'une philsophie dédaigneuse, ces descriptions si nouvelles et si touchantes. Voici, par exemple, comme l'auteur peint le sacrement de l'ExtrêmeOnction.

(Voyez p. 44).

Les peintres avoient souvent représenté ces scènes religieuses; et mêmes les sacrements du Poussin sont au nombre de ses chefsd'œuvre. Les hommes les moins crédules aiment ces images dans la peinture elles doivent donc leur plaire aussi dans une description éloquente.

Continuons le développement de cet ouvrage, et que les lecteurs songent qu'un tel sujet a son langage propre et ses expressions consacrées.

Les mystères sont les spectacles de la foi. Les sacrements expliquent par des bienfaits visibles les propriétés cachées des mystères. En dernière analyse, tous les dogmes révélés ne servent qu'à confirmer ceux de l'immortalité de l'âme et de l'existence de Dieu, qui ne seroient point suffisamment attestées par les merveilles de la nature. Cependant l'auteur est loin de négliger les preuves qui se tirent des harmonies du ciel et de la terre; on croit même que cette partie de son ouvrage est une de celles qui auront le succès le plus universel. Il a du moins un avantage réel sur ceux qui décrivent ordinairement la nature. Au lieu des livres et des cabinets, il a eu pour écoles et pour spectacles les mers, les montagnes et les forêts du NouveauMonde. De là viennent peut-être la richesse et la naïveté de quelques-uns de ses tableaux, dessinés devant le modèle.

Mais si le christianisme, à travers la sainte obscurité de ses mystères, frappe si puissamment l'imagination, quels effets ne doit-il pas encore aux pompes de son culte extérieur! Ici les tableaux se succèdent en foule, et le choix seroit difficile.

Tantôt l'auteur remonte à l'antiquité des fêtes chrétiennes; tanto! il peint leur caractère sublime ou tendre, joyeux ou funèbre, consolant ou terrible, qui se varie avec toutes les scènes de l'année et de la vie humaine auxquelles il est approprié. Il suit les solennités religieuses dans la ville et dans les champs, dans les cathédrales fameuses et dans l'église rustique, sur les tombes de marbre qui remplissent Westminster ou Saint-Denis, et sur le gazon qui couvre les sépultures du hameau.

Les rites du christianisme sont souvent tournés en ridicule, et ceux du paganisme, au contraire, inspirent le plus vif enthousiasme. Cependant les plus belles cérémonies de l'antiquité se conservent encore dans notre religion, qui les a seulement dirigées vers une fin plus digne de l'homme. Tel est, par exemple, le jour des Rogations.

Ce jour rappelle absolument la fête de l'antique Cérès, qui rassembla, dit-on, les premiers hommes en société, autour de la première moisson. Tibulle a décrit en vers charmants cette pompe champêtre comme elle existoit chez les Romains. On trouve aussi la même description dans le Génie du Christianisme. Les gens de goût ne seront peut-être pas fâchés de comparer quelques traits des deux tableaux, et de juger ainsi l'esprit de deux cultes séparés par dixhuit siècles.

Tibulle invite d'abord Cèrès et Bacchus à ceindre leurs fronts d'épis dorés et de grappes rougies. Il veut que les champs reposent avec le laboureur.

Bacche, veni, dulcisque tuis et cornibus uva

Pendeat; et spicis tempora cinge, Ceres.

Luce sacra requiescat humus, requiescat arator, etc.

Et pourquoi commande-t-il ce repos sacré ? Parce que te est l'usage antique.

Ritus ut a prisco traditus exstat avo.

Remarquez bien que les chantres aimables de l'amour, comme les plus sages législateurs, attestent aussi les pratiques du vieux temps. Au reste, Tibulle est un casuiste très-sévère. Il veut qu'on vienne

avec un cœur chaste aux fêtes publiques. Il repousse d'un ton indigné tous ceux qui la veille n'ont pas oublié Vénus:

Vos quoque abesse procul jubeo, discedite ab aris,
Queis tulit hesterna gaudia nocte Venus.

Il nous apprend ailleurs que dans ces grandes solennités Délie se condamnoit à la retraite. Il la peint consultant tous les jours les prêtres d'Isis, les devins juifs, les augures latins: il parle autant de la piété crédule que de l'amour de sa maîtresse : et c'est pour cela qu'il la chérissoit peut-être. Dans tous les temps et dans tous les pays, le culte de l'Amour est un peu superstitieux; quand il cesse de l'être, tous ses enchantements sont finis.

« Dieux de nos pères ! s'écrie le poëte, nous purifions nos champs et nos pasteurs. Écartez tous les maux de nos foyers! >>

Dii patrii! purgamus agros, purgamus agrestes :

Vos mala de nostris pellite limitibus.

Mais, pour mériter la faveur des dieux des champs, il a soin de reconnoître et de chanter les bienfaits dont ils ont déjà comblé les hommes.

« Ces dieux instruisirent nos ancêtres à calmer leur faim par des aliments plus doux que le gland des forêts, à couvrir une cabane de chaume et de feuillage, à soumettre au joug les taureaux et à suspendre le chariot sur la roue. Alors les fruits sauvages furent dédaignés. On greffa le pommier, et les jardins s'abreuvèrent d'une eau fertile, etc. >>

His vita magistris

Desuevit querna pellere glande famem.
Illi etiam tauros primi docuisse feruntur
Servitium, et plaustro supposuisse rotam.
Tunc victus abiere feri, tunc insita pomus,

Tunc bibit irriguas fertilis hortus aquas.

Cette harmonie est pleine de grâce. Les vers de Tibulle retentissent doucement à l'oreille, comme les vents frais et les douces pluies de la saison qu'il décrit. Mais tant de gravité religieuse ne dure pas longtemps. Le poëte élégiaque reprend bientôt son caractère. Il place le berceau de l'Amour dans les champs, au milieu des troupeaux et des cavales indomptées. De là il lui fait blesser l'adolescent et le vieillard; et, cédant de plus en plus au délire qui l'emporte, il peint la jeune fille qui trompe ses surveillants et qui, d'une main incertaine et

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