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sirs, toutefois la conclusion du poëme laisse un sentiment profond de tristesse (1): on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d'Hector, la douleur d'Hécube et d'Andromaque au bûcher de ce héros, et l'on apperçoit dans le lointain la mort d'Achille et la chûte de Troie.

Le berceau de Rome, chanté par Virgile, est un grand sujet, sans doute; mais un poëme qui peint une catastrophe dont nous sommes nous-mêmes les victimes, et qui ne nous montre pas le chef de telle ou telle société, mais le fondateur du genre humain, offre encore quelque chose de plus grand. Milton ne vous entretient ni de batailles, ni de jeux funèbres, ni de camps,

(1) Ce sentiment vient peut-être de l'intérêt qu'on prend en Hector. Hector est autant le héros du poëme qu'Achille, c'est le grand défaut de l'Iliade. Il est certain que l'amour du lecteur se porte sur les Troyens, contre l'intention du poëte; parce que les scènes dramatiques, se passent toutes dans les murs d'Ilion. Ce vieux monarque, dont le seul crime est d'aimer trop un fils coupable; ce généreux Hector, qui connoît la faute de son frère, et qui cependant défend son frère; cette Andromaque, cet Astyanax, cette Hécube, attendrissent tous le cœur ; tandis que le camp des Grecs n'offre qu'avarice, perfidie et férocité. Peut-être aussi le souvenir de l'Enéïde agit-il secrètement sur le lecteur moderne et l'on se range, sans le vouloir, du côté des héros qu'a chantés Virgile.

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ni de villes assiégées; il se contente de vous retracer la première pensée de Dieu, manifestée dans la création du monde, et les premières pensées de l'homme au sortir des mains du Créateur!

Rien de plus auguste et de plus intéressant que cette étude des premiers mouvemens du cœur de l'homme. Adam s'éveille à la vie; ses yeux s'ouvrent; il ne sait d'où il sort. Il regarde le firmament; par un mouvement de desir, il veut s'élancer vers cette belle voûte, et il se trouve debout, la tête orgueilleusement levée vers le ciel. Il touche ses membres; il court, il s'arrête; il veut parler et il parle. Il nomme naturellement tout ce qu'il voit, il s'écrie : « O toi, soleil, vous, arbres, forêts, collines, vallées, animaux divers! » et tous les noms. qu'il donne sont les vrais noms des choses. Et pourquoi Adam s'adresse-t-il au soleil, aux arbres? Soleil, arbres, dit-il, savezvous le nom de celui qui m'a créé? Ainsi le premier sentiment que l'homme éprouve,

est le sentiment de l'existence d'un Etre suprême; le premier besoin qu'il manifeste, est le besoin de Dieu ! Que Milton est sublime dans ce passage, et qu'il est loin par delà les Homère et les Virgile! mais eûtil atteint ces hauteurs, s'il n'eût connu la véritable religion? Dieu se manifeste à Adam

la créature et le Créateur s'entretiennent ensemble; ils parlent de la solitude. Nous supprimons les réflexions. La solitude ne vaut rien à l'homme. Adam s'endort, Dieu lui ouvre le flanc, en détache une côte, et cette côte, façonnée par ses mains puissantes, devient une nouvelle créature. Adam se réveille, Dieu lui amène son épouse. « La » grace est dans sa démarche, le ciel dans » ses yeux, et la dignité et l'amour dans » tous ses mouvemens. Elle s'appelle la femme; elle est née de l'homme. L'homme » pour elle quittera son père et sa mère, » et il ne fera, avec son épouse, qu'une » chair et qu'une ame ». Malheur à celui qui ne sentirait pas là-dedans

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Divinité!

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toute la

Ces grandes vues de la nature humaine, cette sublime raison du christianisme continuent à se développer chez Milton. Le caractère de la femme est admirablement tracé dans la fatale chûte. Eve tombe par amourpropre; elle se vante d'être assez forte pour s'exposer seule; elle ne veut pas qu'Adam l'accompagne dans l'endroit solitaire, où elle cultive des fleurs cette belle créature, qui se croit invincible, en raison même de sa foiblesse, ne sait pas qu'un seul mot peut la subjuguer. Les anciens ont peu connu ce trait distinctif du caractère de la femme, la

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vanité: Juvénal en dit à peine quelques mots, et Simonide même, dans son abominable satyre, se contente d'appeler la femme une louve, une chienne (1), etc. Mais l'Ecriture, qui fait un si bel éloge de la femme forte, nous peint toujours la femme vaniteuse. Quand Isaïe menace les filles de Jérusalem: « Vous perdrez, leur dit-il, vos boucles d'oreilles, vos bagues, vos bracelets, vos voiles ». On a remarqué de nos jours, un exemple frappant de ce caractère. Telles femmes, pendant la Terreur, avoient donné des preuves multipliées d'héroïsme, de qui la vertu est venue depuis échouer contre un bouquet de fleurs, une fête ou une mode nouvelle. Ainsi s'explique une de ces grandes et mystérieuses vérités cachées dans les Ecritures. En condamnant la femme à enfanter avec douleur, Dieu lui a donné une force invincible contre la peine; mais en même temps, et en punition de sa faute, il lui a ôté toute puissance contre le plaisir. Milton, à qui l'étude de la Bible avoit découvert ces contrastes, appelle la femme, fair defect of nature; « beau défaut de la nature ».

La manière dont le poëte anglois a conduit la chûte de nos premiers pères, mérite d'être examinée. Un esprit ordinaire n'auroit

(1) Vid. Simoni. ap. poët. Græc. min.

pas manqué de renverser le monde au moment où Eve porte à sa bouche le fruit fatal. Milton s'est contenté de faire pousser un soupir à la terre, qui vient d'enfanter la mort; on est en effet beaucoup plus surpris, parce que cela est beaucoup moins surprenant. Quelles calamités, cette tranquillité de la nature ne fait-elle point entrevoir dans le lointain. Tertulien apporte à sa manière une raison sublime, de ce que l'univers n'est point dérangé par les crimes des hommes: cette raison est la PATIENCE DE DIEU.

Milton a suivi la même marche par rapport à Adam, lorsqu'Eve lui présente le fruit. Notre premier père ne se roule point dans la poudre, ne s'arrache point les cheveux, ne jette point des cris; un tremblement le saisit, il devient pâle, il reste muet, la bouche entr'ouverte, et les yeux attachés sur son épouse. Il apperçoit toute l'énormité du crime d'un côté, s'il désobéit il devient sujet à la mort; de l'autre, s'il reste fidèle, il garde son immortalité, mais il perd sa compagne, désormais condamnée au tombeau. Il peut refuser le fruit, mais peut-il. vivre sans Eve? Le combat n'est pas long : tout un monde est sacrifié à l'amour. Au lieu d'accabler son épouse de reproches, Adam la console, prend la pomme fatale,

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