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ce Despréaux, qui eût du génie à force d'avoir de la raison.

D'un pinceau délicat l'artifice agréable,
Du plus affreux objet, fait un objet aimable.

On sait assez généralement que les modernes, et sur-tout les François, ont peu réussi dans le genre pastoral (1). Cependant M. Bernardin de Saint-Pierre nous semble avoir surpassé tous les Bucoliastes de Rome et de la Grèce. Son roman, ou plutôt son poëme de Paul et Virginie, est du trèspetit nombre de ces livres, qui deviennent assez antiques en peu d'années, pour qu'on ose les citer sans craindre de compromettre son jugement.

(1) La révolution nous a enlevé un homme qui promettoit un rare talent dans l'églogue, c'étoit M. André Chénier. Nous avons vu de lui un petit recueil d'idylles manuscrites, où l'on trouve des choses dignes de Théocrite. Cela explique le mot de cet infortuné jeune homme sur l'échafaud; il disoit, en se frappant le front: mourir ! j'avois quelque chose là! C'étoit la Muse qui lui révéloit son talent au moment de la mort.

LB

CHAPITRE VI I.

SUITE DU

PRÉCÉDENT.

Paul et Virginie (1).

■ vieillard, assis sur la montagne, fait l'histoire des deux familles exilées. Il raconte les soucis, les joies, les travaux, les amours, les jeux de leur vie.

Paul et Virginie n'avoient ni horloges, ni almanachs, ni livres de chronologie, d'histoire et de philosophie. Les périodes de leur vie se régloient sur celles de la nature. Ils connoissoient les heures du jour, par l'ombre des arbres; les saisons, par les temps où ils donnent leurs fleurs ou leurs fruits; et les années, par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandoient les plus grands charmes dans leurs conversations. « Il est temps de dîner, disoit Virginie à la famille, les ombres des bananiers sont à leurs pieds», ou bien, « la nuit s'approche, les tamarins ferment leurs feuilles. Quand viendrez-vous nous voir? lui disoient quelques amis de voisinage. Aux cannes de sucre, répondoit Virginie.Votre visite nous sera encore plus douce et plus agréable, reprenoient ces jeunes filles ». Quand on l'interrogeoit sur son âge et sur celui de Paul: « Mon frère, disoit

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(1) Il eût peut-être été plus exact de comparer Daphnis et Chloé, à Paul et Virginie; mais ce roman est trop libre pour être cité dans un ouvrage tel que celui-ci.

elle, est de l'âge du grand cocotier de la fontaine, et moi de celui du plus petit. Les manguiers ont donné douze fois leurs fruits, et les orangers vingt-quatre fois leurs fleurs, depuis que je suis au monde ». Leur vie sembloit attachée à celle des arbres, comme celle des faunes et des dryades. Ils ne connoissoient d'autres époques historiques que celles de la vie de leurs mères, d'autre chronologie que celle de leurs vergers, et d'autre philosophie, que de faire du bien à tout le monde, et de se résigner à la volonté de Dieu

Quelquefois seul avec elle ( Virginie) il (Paul) lui disoit au retour de ses travaux : « Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse; quand du haut de la montagne, je t'apperçois au fond de ce vallon, tu me parois, an milieu de nos vergers, comme un bouton de rose

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Quoique je te perds de vue à travers les arbres, je n'ai pas besoin de te voir pour te retrouver : quelque chose de toi que je ne puis dire, reste pour moi dans l'air où tu passes, sur l'herbe où tu t'assieds

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Dis-moi par quel charme tu as pu m'enchanter. Est-ce par ton esprit? Mais nos mères en ont plus que nous deux. Est-ce par tes caresses? Mais elles m'embrassent plus souvent que toi. Je crois que c'est par ta bonté, Tiens, ma bien-aimée, prends cette branche fleurie de citronnier, que j'ai cueillie, dans la forêt. Tu la mettras la nuit près de ton lit. Mange ce rayon de miel, je l'ai pris pour toi au haut d'un rocher; mais auparavant, repose-toi sur mon sein, et je serai délassé ».

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Virginie lui répondoit : « O mon frère ! les rayons du soleil au matin, au haut de ces rochers me donnent moins de joie que ta présence.

Tu me demandes pourquoi tu m'aimes. Mais tout ce qui

a été élevé ensemble, s'aime. Vois nos oiseaux, élevés dans les mêmes nids, ils s'aiment comme nous; ils sont toujours ensemble comme nous. Ecoute comme ils s'appellent et se répondent d'un arbre à un autre. De même, quand l'écho me fait entendre les airs que tu joues sur ta flûte, j'en répète les paroles au fond de ce vallon . Je prie Dieu tous les jours, pour ma mère, pour la tienne, pour toi, pour nos pauvres serviteurs ; mais quand je prononce ton nom, il me semble que ma dévotion augmente. Je demande si instamment à Dieu qu'il ne t'arrive pas de mal! Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des fleurs? N'en avons-nous pas assez dans le jardin ! Comme te voilà fatigué! Tu es tout en nage » " et avec son petit mouchoir blanc, elle lui essuyoit le front et les joues, et elle lui donnoit plusieurs baisers.

Ce qu'il nous importe d'examiner dans cette peinture, ce n'est pas pourquoi elle est supérieure à l'Idylle de Galathée (supériorité trop évidente pour n'être pas reconnue de tout le monde), mais pourquoi elle doit son excellence à la religion, et en un mot, comment elle est chrétienne.

Il est certain que le charine de ce tableau consiste en une certaine morale mélancolique, qui se trouve fondue dans l'ensemble de Paul et Virginie, et qu'on pourroit comparer à cet uniforme éclat que la lune répand sur une solitude parée de fleurs. Or, quiconque a lu les évangiles, ne peut nier que ce soit là leur caractère distinctif. M. Bernardin de Saint-Pierre, qui, dans ses

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K

Etudes de la Nature, a cherché à justifier les voies de Dieu, et à prouver la beauté de la religion, a dû nourrir son génie de la méditation des écritures. Son églogue n'a tant de charmes, que parce qu'elle représente deux petites familles chrétiennes exilées, vivant sous les yeux du Seigneur, entre sa parole dans la Bible, et ses ouvrages dans le désert. Joignez-y l'indigence et les infortunes de l'ame, dont la religion est le seul remède, et vous aurez tout le sujet. Les personnages sont aussi simples que l'intrigue: ce sont deux beaux enfans, dont on apperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves, et deux pieuses maîtresses. Ces honnêtes gens ont un historien tout-à-fait digne de leur vie un vieillard demeuré seul dans la montagne, et qui a survécu à tout ce qu'il aima, raconte à un voyageur les malheurs de ses amis, sur les débris de leurs cabanes.

Ajoutons que ces australes bucoliques, sont pleines du souvenir des Ecritures. Là c'est Ruth, là Séphora, ici Eden et nos premiers pères ces sacrées réminiscences vieillissent les mœurs du tableau, en y jetant les antiques couleurs et les vieux costumes du primitif Orient. La messe, les prières, les sacremens, les cérémonies de l'Eglise, que l'auteur rappelle à tous momens, répandent leurs spirituelles beautés sur l'ou

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