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un palais magique, d'un palais magique à un camp, d'un assaut à la grotte d'un solitaire, du tumulte d'une cité assiégée à la cabane d'un pasteur; cet art, disons-nous, est tout admirable. La composition des caractères n'est pas moins savante. La férocité d'Argant est opposée à la générosité de Tancrède, la grandeur de Soliman à l'éclat de Renaud, la sagesse de Godefroi à la ruse d'Aladin ; il n'y a pas jusqu'à l'hermite Pierre (comme l'a remarqué M. de Voltaire), qui ne fasse un beau contrasté avec l'enchanteur Ismen. Quant aux femmes, la coquetterie se trouve dans Armide, la sensibilité dans Herminie, l'indifférence dans Clorinde. Le Tasse eût parcouru le cercle entier des caractères des femmes, s'il eût représenté la mère; Il faut peut-être chercher la source de cette omission dans la propre nature de son talent, qui avoit plus d'enchantement que de vérité, et plus d'éclat que de tendresse.

le

Homère semble avoir été particulièrement doué de génie, Virgile de sentiment, Tasse d'imagination. On ne balanceroit plus sur la place que le poëte italien doit occuper, s'il avoit une seule de ces grâces rêveuses, qui rendent si doux les soupirs du Cygne de Mantoue; car il lui est très-supérieur dans les caractères, les batailles, et

la composition. Mais le Tasse est presque toujours faux quand il fait parler le cœur ; et comme les traits de l'ame sont les véritables beautés, il demeure nécessairement au-dessous de Virgile.

Au reste, si la Jérusalem a une fleur de poésie exquise; si l'on y respire l'âge tendre, l'amour et les déplaisirs du grand homme infortuné, qui soupira ce chef-d'œuvre dans sa jeunesse, on y sent aussi les défauts d'un âge non assez mûr pour la grande entreprise d'une Epopée, qui doit être comme toute chenue de vieillesse. L'octave du Tasse n'est presque jamais pleine; son vers, souvent trop verbeux, trop vîte fait, ne peut être comparé au vers de Virgile, compact, vigoureux, et cent fois retrempé au feu des Muses, comme la foudre que ce même vers nous représente se forgeant aux antres de Lemnos. Il faut encore remarquer que les idées du Tasse ne sont pas d'une aussi belle famille que celles de Virgile. Les ouvrages des anciens se font reconnoître, nous dirions presqu'à leur sang. C'est moins chez eux, ainsi que parmi nous, quelques pensées éclatantes, au milieu de beaucoup de choses communes, qu'une belle troupe de pensées qui se conviennent, qui, toutes sorties du même père, ont toutes un air de parenté: c'est le groupe des enfans de Niobé, nuds, simples, pudi

ques, rougissans, se tenant par la main avec un doux sourire, et portant, pour seul ornement, une couronne de fleurs dans leurs cheveux bouclés.

Enfin, on peut dire qu'Homère est le soleil; que Virgile est l'astre qui répète les feux du jour, et dont la lumière est plus foible, mais plus mélancolique et plus tendre; que le Tasse est cette étoile du soir dont la course est moins longue, la grandeur moins apparente que celles des deux autres astres, mais qui remplit l'intervalle qui se trouve entre leurs empires, et dont le lever sur l'horizon, annonce l'heure de la volupté.

D'après la Jérusalem, on sera du moins obligé de convenir qu'on peut faire quelque chose d'excellent sur un sujet chrétien. Et que seroit-ce donc, si le Tasse cût osé employer toutes les grandes machines du christianisme? Mais on voit qu'il a manqué de hardiesse, et qu'il n'a touché, qu'en tremblant, aux, choses sacrées. Cette timidité l'a forcé d'user des petits ressorts de la magie; tandis qu'il pouvoit tirer un parti immense du tombeau de J. C. qu'il nomme à peine au commencement et à la fin de l'ouvrage, et d'une terre consacrée par tant et tant de prodiges. La même timidité l'a fait échouer dans son Ciel. Son Enfer a plusieurs

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traits de mauvais goût. Ajoutons qu'il ne s'est pas assez servi du Mahométisme, dont les rites sont d'autant plus curieux, qu'ils sont peu connus. Enfin, il auroit dû jeter quelques regards sur l'ancienne Asie, sur cette Egypte si fameuse, sur cette grande Babylone, sur cette superbe Tyr, sur le temps des Isaïe et des Salomon, Comment la Muse a-t-elle oublié la harpe de David, en parcourant Israël? N'entend - on plus la nuit, sur les sommets du Liban, la voix des ombres des prophètes? Ces grands fantômes n'apparoissent-ils pas quelquefois sous les Cèdres, et parmi les Pins? Les anges ne chantent-ils plus sur Golgotha, et le torrent de Cédron a-t-il cessé de gémir? On voit sur le Mont - Sinaï un monastère où

l'on monte par cent vingt marches taillées dans le roc; un poëte pouvoit trouver bien des choses dans un pareil lieu. Pourquoi Moïse n'y auroit-il pas laissé ou sa verge miraculeuse, ou quelque table antique? On est fâché que le Tasse n'ait pas donné un souvenir aux patriarches. Il nous semble que le berceau du monde dans un petit coin de la Jérusalem, feroit un assez bel effet.

CHAPITRE II I.

Paradis perdu.

On peut reprocher au Paradis perdu,

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ainsi qu'à l'Enfer du Dante, le défaut dont nous avons parlé; savoir que le merveilleux est le sujet et non la machine de l'ouvrage; mais on y trouve des beautés supérieures, qui tiennent essentiellement aux bases du christianisme.

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L'ouverture du poëme se fait aux enfers et pourtant ce début n'a rien qui choque la règle de simplicité prescrite par Aristote. Pour un édifice si étonnant, il falloit un portique extraordinaire, afin d'introduire toutà-coup le lecteur dans ce monde inconnu, dont il ne devoit plus sortir.

Milton est aussi le premier poëte qui ait terminé l'Epopée par le malheur du principal personnage, contre la règle généralement adoptée. Qu'on nous permette de penser qu'il y a quelque chose de plus intéressant, de plus grave, de plus semblable à la condition humaine, dans une histoire qui aboutit aux misères, que dans celle qui va finir au bonheur. On pourroit même soutenir que la catastrophe de l'Iliade est tragique. Car si le fils de Pélée atteint le but de ses de

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