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l'Historia major et que des plumes étrangères ont travaillé à la compléter en même temps qu'à la continuer. Il se pourrait donc que les passages relatifs à Robert Grosse-Tête eussent été incomplétement rédigés par Ma-thieu Paris, d'après des documents qu'il n'avait pas vérifiés, ou même que ces passages eussent été, après coup, insérés dans le texte par la main d'un continuateur.

Quant aux manuscrits dans lesquels les trois documents que nous avons mentionnés sont attribués à l'évêque de Lincoln, nous nous bornerons à de courtes observations. Ces manuscrits ne nous sont personnellement connus que par les catalogues où ils sont indiqués, et par quelques descriptions qui en ont été données; mais la connaissance que nous en avons, tout indirecte et tout incomplète qu'elle est, nous suffit pour affirmer que les attributions qu'elles présentent sont équivoques, contradictoires, et qu'elles méritent peu de créance.

Ainsi n'est-il pas remarquable que la prétendue lettre de Robert de Lincoln à Innocent IV contre les empiétements de la cour de Rome ne se retrouve pas dans les manuscrits les plus anciens qui contiennent les lettres de ce prélat; que dans quelques-uns elle figure sur un feuillet séparé ou sur une page laissée en blanc; que, dans ce cas, elle soit écrite d'une autre main que le reste du manuscrit, comme une pièce ajoutée après coup? Je m'en réfère sur tous ces points à la notice qui accompagne la belle édition de la correspondance de Robert de Lincoln que M. Luard a donnée, il y a quelques années, dans le Recueil des documents relatifs à l'histoire de la Grande-Bretagne durant le moyenâge (1). J'ajoute que, dans un autre manuscrit, la lettre au pape Innocent IV se trouve confondue avec celles d'Adam de Marisco, sous le nom duquel M. Brewer l'a publiée sans la reconnaître (2) erreur d'autant plus excusable que, dans le manuscrit, elle ne portait aucune suscription. Ailleurs, la suscription est évidemment altérée. Elle se lit ainsi qu'il suit dans le texte publié par M. Luard: «Robertus Lincolniensis episcopus magistro Innocentio, domino papæ, salutem et benedictionem. » Jamais les évêques, s'adressant au pape, se sont-ils servis d'expressions semblables? Le pape n'est pas seulement un maître, magister; c'est un père; il envoie sa bénédiction aux fidèles, ses enfants; il ne la reçoit pas d'eux. Le corps de la pièce renferme, au reste, des expressions qui ne répondent pas à la suscription. On croirait que l'auteur l'écrit au souverain pontife; et néanmoins, quand il est sur le point de conclure il s'adresse à ceux qu'il appelle ses vénérés seigneurs. « C'est pourquoi, dit-il, vénérés seigneurs, reverendi domini, en vertu du devoir d'obéissance et de fidélité qui m'attache au Saint-Siége apostolique, etc. » La contradiction que présentent ces leçons, évidemment fautives, est levée, il est vrai, par d'autres manuscrits dans lesquels la lettre dont il s'agit est adressée, non pas au pape, mais à l'archidiacre de Cantorbéry et au scribe du pape, maître Innocent; Cantuariensi archidiacono et magistro Innocentio, domini papæ scriptori (3); ce qui explique l'expression Discretio vestra, et jusqu'à un certain point celle de reverendi domini, quoiqu'il semble étrange qu'un évêque qualifie de « nos seigneurs vénérés » un archidiacre et un scribe. Mais, dans

(1) Roberti Grosse-Teste episcopi quondam Lincolniensis epistola. Edited by Henry Richards Luard. London, 1864, in-8°.

(2) Ada de Marisco epistolæ, epist. ccxvi, dans le précieux recueil intitulé: Monumenta Franciscana, Londres, 1858, in-8°, p. 382 et s. (3) Brown, Appendix, etc., p. 400.

ce cas, la suscription donnée par le manuscrit est en opposition avec le texte de l'Historia major et de l'Historia minor où il est dit expressément que la lettre contre les abus de la cour de Rome fut adressée au pape lui-même : « Quum dominus papa Innocentius IV significasset per apostolica scripta, præcipiendo episcopo Lincolniensi Roberto quatenus quiddam faceret quod ei videbatur injustum et rationi absonum, rescripsit ei in hæc verba,» dit l'Historia major; « rescripsit eidem papæ Innocentio episcopus prædictus,» répète avec plus de précision l'Historia minor.

Nous ne prétendons pas attacher aux circonstances qui viennent d'être relevées plus d'importance qu'elles n'en ont; et quels que soient les doutes sérieux qu'elles suggèrent sur l'authenticité des écrits attribués à Robert Grosse-Tête, nous nous serions gardé d'insister, si le caractère apocryphe de ces écrits ne résultait pas pour nous d'un témoignage que nous mettons bien au-dessus et de celui des chroniqueurs, et des présomptions que peut fournir l'examen des manuscrits; nous voulons dire le témoignage de Robert de Lincoln lui-même: non que nous ayons à produire dans ce débat aucun document inédit d'où il résulterait que le pieux évêque eût désavoué la conduite qu'on lui prête et les libelles qui ont circulé sous son nom; mais entre sa correspondance authentique et ses lettres prétendues, entre les opinions qu'il a toujours professées et celles qu'on lui suppose, il y a de telles différences, un contraste si tranché, qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître que les traits de cette austère et sainte physionomie ont été gravement altérés par l'esprit de parti.

Nous possédons le recueil des lettres de Robert Grosse-Tête; il se compose de cent-vingt-six lettres dont l'authenticité n'est pas contestable. La plus grande partie a été insérée par Edward Brown dans l'appendice qu'il a joint à la compilation de l'allemand Graes, intitulée: Fasciculus rerum expetendarum et fugiendarum. Le recueil complet a été tout récemment publié, comme nous l'avons dit plus haut, par M. Luard, d'après d'anciens manuscrits des bibliothèques d'Oxford et de Cambridge.

Le premier éditeur, Edward Brown, était un curé anglican, très-attaché à sa foi religieuse et par conséquent adversaire exalté des papes et des ordres monastiques. Il éprouva une joie naïve à s'appuyer sur le témoignage de Robert Grosse-Tête contre la cour de Rome et à ranger le pieux évêque parmi les défenseurs de ce qu'il regardait lui-même comme la vérité. Cependant il ne pouvait lui échapper qu'en maint passage ce prétendu précurseur de la réforme exprimait des sentiments fort contraires à ceux de Luther; aussi cherche-t-il à l'excuser, imputant ses erreurs à la barbarie du temps, et même à la falsification de ses écrits par la main des moines. Nous n'avons pas les mêmes motifs que Brown de nous faire à nous-même illusion; et, étranger à l'esprit de secte qui l'animait, nous pouvons mieux apprécier que lui les sentiments intimes de l'évêque de Lincoln.

Quelle est, par exemple, l'opinion du savant prélat sur l'étendue des droits de la puissance spirituelle? Il est facile de s'en rendre compte en se reportant au passage suivant, extrait d'une lettre écrite à un officier du roi Henri III, Guillaume de Raleigh:

«Que nul, écrit-il (1), que nul ne commette la faute de croire que les princes séculiers puissent rien statuer, observer ou faire observer

(4) Epist. XXIII, p. 90 et s. : « Nec se decipiat quisquam credendo quod principes seculi possint aliquid statuere et quasi legem observare vel observari facere, quod obviet legi divinæ, seu constitutioni ecclesias

aucune loi, qui soit contraire à la loi divine et à la constitution de l'Eglise, sans par là même se séparer du corps de Jésus-Christ et de l'Eglise, sans s'exposer au feu éternel et au renversement de leur puissance. Les princes du siècle tiennent, selon l'ordre de Dieu, leur puissance et leur dignité de l'Eglise, les princes de l'Eglise tiennent l'autorité qu'ils exercent non pas des princes de la terre, mais immédiatement de Dieu. » Et plus loin: « Les princes du siècle doivent savoir que l'un et l'autre glaive, le glaive matériel et le glaive spirituel, est le glaive de Pierre. Les princes de l'Eglise qui tiennent la place de Pierre et qui le représentent se servent du glaive spirituel par eux-mêmes, et du glaive matériel par les mains et le ministère des princes séculiers, qui doivent tirer le glaive qu'ils portent et le remettre dans le fourreau sur le signe et par l'ordre des princes de l'Eglise. »>

C'est par un sentiment d'inébranlable fidélité à ces maximes que Robert de Lincoln est, à plusieurs reprises, entré en lutte avec le roi d'Angleterre. Tantôt on le voit soutenir contre les légistes de la couronne les droits des enfants nés hors mariage, mais légitimés par un mariage subséquent, et qu'une jurisprudence trop sévère, opposée à la loi canonique et à la loi naturelle, considérait comme des bâtards (1). Tantôt il écarte des fonctions sacerdotales les candidats, recommandés par le roi, qui ne remplissent pas les conditions d'âge et de savoir exigées par les lois de l'Eglise (2). Il maintient de tout son pouvoir la liberté des élections ecclésiastiques, et il conjure l'archevêque de Cantorbéry de ne rien négliger pour la défense d'un droit aussi précieux, que menacent l'intrigue, la violence et la captation (3). Il interdit aux prêtres de son diocèse, en fussent-ils requis par un ordre du prince, d'exercer les fonctions de

ticæ, nisi in divisionem sui ab unitate corporis Christi et ecclesiæ, et perpetuam adjectionem igni gehennæ, et justam subversionem suæ præposituræ. Principes enim seculi quidquid habent potestatis a Deo ordinatæ et dignitatis recipiunt ab ecclesia; principes vero ecclesiæ nihil potestatis aut dignitatis ecclesiastica recipiunt ab aliqua seculari protestate, sed immediate a Dei ordinatione... Debent principes seculi nosse quod uterque gladius, tam materialis videlicet quam spiritalis, gladius est Petri; sed spiritali gladio utuntur principes ecclesiæ qui vicem Petri, et locum Petri tenent per semetipsos; materiali autem gladio utuntur principes ecclesiæ per manum et ministerium principum secularium, qui ad nutum et dispositionem principum ecclesiæ, gladium quem portant debent evaginare et in locum suum remittere. »

(1) Epist. XIII, p. 77: « Hæc lex qua proles, nata ante matrimonium subsequens, post contractum matrimonium velut illegitima exhæredatur, lex est iniqua et injusta, juri naturali et divino, canonico quoque et civili contraria. »

(2) Epist. XVII, p. 63: « W. de Grana hac ratione sola ad curam pàstoralem non admittimus, quod ipse est minoris ætatis et literaturæ minus sufficientis, puer videlicet adhuc ad Ovidium epistolarum palmam porrigens; quali non possemus curam pastoralem committere nisi transgrediendo regulas sacræ paginæ et reverendas sanctorum patrum constitutiones. >>

(3) Epist. LXXXIII, p. 264 et 265: « Fama volitante per omnium ora, declamatur quod in electionibus faciendis jam incepit morbus gravis terroris, minarum et precum armatarum et seducentium blanditiarum fortiter invalescere... »

justicier que l'Eglise a déclarées incompatibles avec le caractère sacré de ses ministres. Il leur interdit de même, et il refuse personnellement de répondre à aucune citation devant des juges séculiers, n'admettant pas que le magistrat civil ait juridiction sur la personne des clercs (1). II n'ignore pas au reste à quels dangers il s'expose par une telle conduite; et il laisse entendre, avec une simplicité touchante, qu'il aimerait mieux ne pas avoir à les affronter. Mais il songe à son salut éternel, et cette pensée le rend invincible; car il aime mieux, dit-il, tomber entre les mains des hommes auxquelles on peut échapper avec la grâce de Dieu, qu'entre les mains du Dieu vivant, auxquelles nul ne saurait se soustraire (2).

En se portant le défenseur énergique, et quelquefois hautain, des immunités et des lois de l'Eglise contre le pouvoir royal, Robert Grosse-Tête se soumet humblement à l'autorité du Saint-Siége. Partout, dans sa correspondance, il témoigne la déférence la plus respectueuse pour le souverain Pontife. Il y représente la papauté comme la lumière des peuples chrétiens, comme la maîtresse des Eglises, comme le fondement sur lequel repose le monde. Il se déclare, quant à lui, fermement résolu à la servir et à lui obéir.

» De même que dans l'ordre visible, dit-il (3), le soleil dissipe les ténèbres du monde par l'éclat de sa lumière, et, selon l'opinion des sages du siècle, règle et tempère par son mouvement le mouvement des autres corps naturels, de même, dans l'ordre ecclésiastique, le souverain Pontife, qui en est le soleil, dissipe, par la lumière excellente de la doctrine et des bonnes œuvres, les ténèbres de l'erreur, répand la connaissance de la vérité, et par ses décrets ordonne, règle et gouverne les mouvements de l'Eglise universelle. Et de même que, selon la science profane, après le créateur et les célestes intelligences qui sont ses ministres, le monde

(1) Epist. xxvII, p. 406; xxvi, p. 408; LXXII, p. 205, et s.

(2) Epist. xxvi, p. 104 et 105: « Si secundum præscriptam formam domino regi rescribam, timeo incidere in manus Dei viventis si vero secundum præscriptam formam denegem me rescripturum, difficilis videtur evasio, quin incidam in manus hominum.... Confidenter incidendum est potius in manus hominum, de quibus Deus potest eripere, quam in manus Dei, de quibus non est qui possit eruere. »

(3) Epist. XXVI, p. 126 : «Quemadmodum, ut sentiunt hujus seculi exquisitores prudentiæ et intelligentiæ, mundi status, decor et ordo, post mundi conditorem angelicosque spiritus ad conditoris nutum administratarios, debent se soli visibili mundique cardinibus; sic, ut veraciter sentiunt qui quæ sursum sunt sapiunt, post mundi conditorem et redemptorem, curiamque cœlestem ex spiritibus beatis angelorum et sanctorum adunatam; status, decor et ordo universalis ecclesiæ debet se suo soli, suisque cardinibus, hoc est summo pontifici sibique assistentibus cardinalibus; ideoque sanctæ romanæ ecclesiæ debetur ab universis ecclesiæ filiis devotissima obedientia, honoratissima reverentia, ferventissimus amor, subjectissimus timor; et hæc et his similia ab eis debentur obligatius et fortius qui per sublimitatem gradus ecclesiastici fastigio ecclesiæ, id est, summo pontifici et cardinalibus adhærent proximius.... Quia igitur et ego, licet indignus, in dignitatis episcopalis gradum sim sublimatus, fateor me tanto arctius et obligatius subjectionis et obedientiæ summo pontifici sanctæque ecclesiæ romanæ constitutum debitorem, quo gradum adeptus sum altiorem. »

doit sa stabilité, sa beauté et l'ordre de ses parties au soleil visible et aux pôles de l'univers; de même, selon ceux qui possèdent la science des choses d'en haut, après le Créateur et le Rédempteur du monde, environné de la cour céleste que forment autour de lui les anges et les saints, la stabilité, la beauté et l'ordre de l'Eglise dépendent de son soleil et de ses pôles, je veux dire du souverain pontife et de ses cardinaux d'où il suit que tous les enfants de l'Eglise doivent à l'Eglise romaine obéissance, respect, amour fervent, crainte et soumission; et ces devoirs enchaînent chacun d'eux d'autant plus étroitement, qu'il occupe un rang plus haut dans la hiérarchie...... Moi donc qui, malgré mon indignité, me suis vu appelé aux fonctions de l'épiscopat, je me considère comme attaché au Saint-Siége par des liens d'autant plus étroits de sujétion et d'obéissance, je reconnais ma dette envers l'Eglise romaine pour d'autant plus grande, que ma charge est plus élevée. » *

Telle est la profession de foi de Robert Grosse-Tête ; elle est franche, elle est simple; elle ne tend pas à établir entre les bulles apostoliques des distinctions captieuses qui autorisent la désobéissance et la rébellion.

Dans son dévouement au Saint-Siége, l'évêque de Lincoln était résigné d'avance à tous les sacrifices d'argent et autres que, par le malheur du temps, la cour de Rome se trouvait réduite à réclamer. En 1246, le pape Innocent IV avait en Angleterre un légat, nommé maître Martin, qui cher chait depuis deux ans à recueillir des subsides pour le Saint-Siége, engagé dans une lutte formidable avec l'empereur d'Allemagne Frédéric II. Le roi Henri III qui avait lui-même besoin d'argent craignait d'appauvrir son royaume; exaspéré par les instances d'Innocent, il alla jusqu'à interdire provisoirement au clergé d'Angleterre de payer aucune taxe au légat (1). Il est vrai qu'il revint bientôt sur cette décision rigoureuse et accorda au pape la levée des six mille marcs que celui-ci réclamait. Quelle fut dans ces conjonctures l'attitude de Robert Grosse-Tête? Se prononça-t-il contre l'avidité des Italiens, contre les extorsions de la cour de Rome, ainsi qu'on pourrait le supposer d'après le caractère et les sentiments que la tradition lui prête ? Figura-t-il même à côté de ces prélats, faibles et indécis, que Mathieu Paris et d'autres historiens nous montrent remplis d'angoisses, incertains s'ils obéiront au Pontife ou au prince? Nullement. Son attitude, son langage furent bien autrement tranchés; il prit la défense du pape, et ne craignit pas d'adresser au roi la lettre suivante qui nous a été heureusement conservée (2).

(1) Mathieu Paris, Hist. major, p. 707, 716; Hist. minor, fol. 440

ro 2.

(2) Epist. cxix, p. 340 et suiv. « Scripsit nobis reverenda dominatio vestra vos mirari nos modicum et moveri super eo, quod tallagium de viris religiosis et clericis assidere et colligere ad opus domini papæ proponimus per nos ipsos. Noverit itaque vestræ sinceritatis discretio, quod nos nihil in hac parte per nos ipsos facimus, hoc est, nostra auctoritate, vel soli, cum venerabiles patres coepiscopi nostri id idem faciant, vel jam effectui mancipaverint, secundum formam a magistro Martino, doinini papæ nuncio, dum adhuc in his partibus moram traheret, eisdem traditam quos similiter ut nos ad id compellit summi pontificis auctoritas et præceptum, cui non obedire quasi peccatum est ariolandi et quasi scelus idololatriæ non adquiescere. Non igitur est admiratione dignum, quod coepiscopi nostri et nes in hac parte facimus; sed admira

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