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rappelle l'art romain ou grec. Ou je me trompe fort, ou il appartient complétement à l'art barbare. Mais sa forme générale n'est rien encore. Ce qui me frappe surtout, ce qui doit frapper tous ceux qui l'examineront avec attention, ce sont les détails de sa décoration intérieure, laquelle (j'appelle particulièrement l'attention sur ce point) n'est autre chose qu'un véritable cloisonnage formant un réseau irrégulier de triangles et de quadrilatères irréguliers de toutes formes, absolument semblable au cloisonnage qu'on observe dans les pièces les plus grossières de l'orfévrerie à incrustation de grenats.

» Bien entendu, nous ne trouvons ici aucune indication de la matière. Mais, je le répète, comme décoration, comme forme, l'identité est complète.

>> Une fois sur cette piste, certains détails des autres parties du bouclier m'ont également frappé, comme présentant des indices de même nature. Ainsi, l'un des cercles concentriques de l'umbo se compose de deux rangées de dents de loup alternantes, ainsi que cela se voit sur certaines grandes fibules anglo-saxonnes décorées de grenats en table. Le cloisonnage n'y est pas indiqué, il est vrai. Mais de même, sur plusieurs des fibules dont je parle, l'incrustation des verres ou grenats est faite par alvéoles triangulaires sans cloisonnage.

>> Enfin, pour revenir à notre bouclier, la même dent de loup se retrouve aussi formant double bordure le long des nervures du grand axe.

» N'y a-t-il pas quelque chose, Messieurs, au fond de tous ces rapprochements?

>> Pour mieux m'en rendre compte à moi-même, je me suis appliqué, je devrais presque dire je me suis amusé, à faire une nouvelle copie du bouclier provenant des trophées de la colonne trajane; et sur cette nouvelle copie, parfaitement pareille à la première, quant au trait, c'est-à-dire quant à ce que nous donne le monument original, j'ai entrepris, guidé par les indications que je viens de dire, j'ai entrepris de déterminer, au moyen de la couleur, les matières mêmes dont se composait le bouclier ou qui concouraient à sa décoration (toujours en supposant que

celle-ci consistait particulièrement en incrustations de grenats cloisonnés d'or). Quand je parle d'or, il ne peut s'agir ici évidemment que des parties décoratives en relief servant de sertissure ou de cloisonnage au grenat. Le reste du bouclier ne pouvait, dans cette hypothèse même, qu'être doré tout au plus.

>> Ma restitution ainsi faite, vous l'avouerai-je, Messieurs, je n'en ai pas été trop mécontent; mon bouclier ne m'a pas paru trop improbable. Et c'est pour cela que j'ose vous le soumettre.

» Il est sage, je le sais, de se tenir en garde contre les entraînements de l'imagination, en archéologie comme en toute autre matière. Aussi n'ai-je pas la prétention de donner comme un fait acquis ce qui n'est réellement qu'une conjecture. Toutefois j'ose dire qu'il y a certainement là quelque chose. Je sens, je le répète, que je suis sur une piste au bout de laquelle j'entrevois des faits intéressants se rattachant à ceux que nous connaissons déjà; mais l'éloignement et l'obscurité m'empêchent, quant à présent, de les définir avec certitude. Je ne puis pas dire « voyez ! » je me borne à dire « regardez avec moi, vous qui avez bonne vue ! Il me semble qu'il y a là-bas quelque chose d'intéressant à étudier.

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>> Ce n'est pas la matière employée qui pourrait fournir une objection sérieuse à mon hypothèse. Tout le monde sait que le grenat, et particulièrement le grenat en table, en minces lamelles, est très-commun dans la vieille Germanie et les pays limitrophes, y compris les monts Carpathes.

>> On ne peut guère m'objecter non plus cette espèce de contresens qui consiste à couvrir d'ornements si précieux et si fragiles une pièce d'armure destinée au combat; car on sait également que, de tout temps, les chefs barbares ont mis tout leur amourpropre à se couvrir des armes les plus riches, n'épargnant, à l'occasion, ni l'or, ni les pierreries, sans s'inquiéter aucunement de la fragilité d'une pareille décoration.

» J'en pourrais citer comme exemple, entre beaucoup d'autres, divers grands boucliers ovales, décorés d'émaux ou de verres

rouges, publiés dans les Horæ ferales de Kemble (1). Mais nous en avons d'autres preuves, qui trouvent encore mieux leur place ici, puisqu'elles nous sont précisément fournies par les monuments les plus connus de cette orfévrerie cloisonnée dont je recherche les origines.

» Les armes de Childéric trouvées dans le tombeau de Tournay, les armes non moins riches découvertes, il y a quelques années, à Pouhans, dans ces plaines de Champagne où vinrent se rencontrer, au Ve siècle, les Goths auxiliaires des Romains et les Huns d'Attila, sont toutes couvertes d'ornements en or cloisonné à incrustations de grenats. Enfin, le musée de Ravenne possède un magnifique spécimen encore inédit de la même orfévrerie, objet évidemment contemporain de Théodoric, où les antiquaires italiens n'ont pas hésité à reconnaître quelques parties de la décoration d'une cuirasse.

» Une objection beaucoup plus sérieuse à mon essai de restitution pourrait être tirée du style de l'ornementation de notre bouclier. Certaines parties de cette ornementation, les guirlandes compactes de feuilles de laurier, les quatre palmettes, la décoration de la rondelle centrale se rattachent évidemment à l'art classique, mais jusqu'à un certain point seulement. En effet, l'élément le plus caractéristique de la décoration centrale affecte, ainsi que je l'ai dit, la forme de la pelte, de cet élégant petit bouclier attribué aux Amazones, qui était particulièrement celui des soldats mercenaires de la Thrace désignés par Xénophon sous le nom de Tελτaotaí (2), forme bien connue des Grecs et des Romains, mais qui n'en est pas moins d'origine barbare. Quant aux guirlandes compactes de feuilles de laurier, elles appartiennent bien sans doute à la décoration classique; mais la courbe irrégulière qu'elles affectent ici, cette espèce d'ellipse aplatie du bout ne se rencontrerait, je crois, dans aucun monument de pur style grec ou romain.

» Tout ce qu'on peut dire de la décoration de ce bouclier est

(1) Planches xiv et xv.
(2) Hellen., iv, 4; v, 12.

donc qu'il présente un certain mélange des éléments de l'art classique et du style barbare. On sent qu'il appartient à une époque et à un pays où la civilisation romaine débordait déjà par un contact habituel sur la barbarie dont elle était limitrophe. Nous n'avons certainement pas là un produit de l'industrie des barbares dans toute sa pureté (si tant est que ce dernier mot puisse s'appliquer à une industrie aussi incomplète), mais nous y pouvons trouver néanmoins quelques traits tout-à-fait caractéristiques de cet art sui generis; et l'un des plus marquants m'a paru être précisément cet ornement bizarre qui, dans le basrelief de la colonne trajane, porte l'indication si évidente d'un cloisonnage.

» Lors même qu'on me contesterait, comme dénuée jusqu'à présent de preuves suffisantes, l'hypothèse que cette pièce cloisonnée fût en orfévrerie incrustée de grenats, il n'en reste pas moins acquis un fait qui n'est pas, je crois, sans importance; c'est que, dans la contrée même d'où partirent plus tard les Goths pour envahir le midi de l'Europe, on trouve, dès le IIe siècle, la trace, sinon d'une industrie, au moins d'un style de décoration que ces mêmes peuples ont porté avec eux dans tous les pays sur lesquels s'étendirent leurs conquêtes.

>> N'avais-je donc pas raison, Messieurs, de dire que nous sommes là sur une piste intéressante, au bout de laquelle peuvent se rencontrer des révélations d'une grande valeur pour l'histoire d'une branche de l'art dont les origines ont été jusqu'ici fort obscures? >>

L'Académie se forme en comité secret.

Séance du vendredi 31.

PRÉSIDENCE DE M. RENIER.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et la rédaction en est adoptée.

M. le Sénateur, préfet de la Seine, écrit à l'Académie pour la remercier des observations qu'elle lui a présentées sur les in

scriptions destinées à consacrer les époques successives de l'Hôtel de ville et il lui adresse une rédaction nouvelle de la première de ces inscriptions, sur laquelle il appelle de nouveau son examen. - Renvoi de l'inscription à la Commission des inscriptions et médailles.

M. DE ROUGÉ, au nom de la Commission chargée de présenter des sujets de prix, lit à l'Académie les trois questions que la Commission propose à son choix pour le prix Bordin et fait connaître les motifs qui ont déterminé ses préférences.

1re Question: ETUDE DES CHIFFRES, DES COMPTES ET DES CALCULS, DES POIDS ET DES MESURES CHEZ LES ANCIENS EGYPTIENS.

N. B. Le Mémoire devra comprendre :

4° L'étude comparative des chiffres dans les diverses écritures hiéroglyphique, hiératique et sémitique.

2o L'exposition des méthodes suivies pour les comptes et particulièrement pour la comptabilité publique et l'étude des calculs de divers genres contenus dans les monuments.

3o La détermination de la valeur des poids et mesures et l'étude des procédés d'arpentage et de calcul des surfaces.

On appelle spécialement l'attention sur les renseignements fournis par les nombreux calculs reproduits sur les murailles d'Edfou, sur les registres de comptabilité publique conservés dans les divers musées et en général sur les papyrus et les oτρaxa contenant des calculs.

2e Question: Etude historique et critique sur l'Ecole des poëtes grecs qui a fleuri en Egypte depuis la fondation d'Alexandrie jusqu'à la prise de cette ville par les Arabes. Rechercher comment et jusqu'à quel point la poésie grecque a subi dans cette école l'influence des mœurs, des institutions et de la littérature égyptienne.

N. B. L'Académie recommande à l'attention des concurrents, outre les ouvrages de Théocrite, de Callimaque, de Coluthus, de Triphyodore, de Nonnus, et le Recueil des poésies orphiques, les nombreux poëtes épigrammatistes originaires de l'Egypte.

3 Question: Rechercher l'origine du soufisme,, déterminer les éléments étrangers à l'islamisme qui ont pu entrer dans sa forma

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