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Notes sur quelques manuscrits de la bibliothèque de Tours.

La ville de Tours a hérité des anciennes bibliothèques de SaintGatien, de Saint-Martin et de Marmoutier. Il n'est donc pas étonnant qu'elle possède une riche collection de manuscrits, dont l'importance ne tardera pas à être bien connue, puisque le conservateur, M. Dorange, en fait imprimer un catalogue détaillé. En attendant la publication de ce catalogue, qui sera fort utile pour les études historiques et littéraires, je crois devoir entretenir l'Académie de manuscrits que j'ai particulièrement remarqués dans un récent voyage et dont M. Dorange a bien voulu me faciliter l'examen.

Je ne signalerai pas ici plusieurs manuscrits qui ont fourni depuis quelques années de précieux renseignements sur les origines de notre littérature nationale, comme le petit volume d'où M. Luzarche a exhumé le drame d'Adam, comme encore la chronique en vers des ducs de Normandie, qui peut être considérée comme l'un de nos plus anciens manuscrits français. Je ne parlerai pas non plus de différents textes sacrés, remarquables par leur antiquité, et au premier rang desquels je mettrai une portion de Bible qui a tous les caractères d'un livre copié sous le règne de Charlemagne, et qui pourrait bien être sorti de l'atelier de copistes institué par Alcuin dans le monastère de Saint-Martin de Tours.

Les manuscrits sur lesquels j'ai des observations à présenter sont beaucoup plus modestes; mais ils permettront de combler quelques lacunes dans nos annales du XIIIe siècle. A ce titre, ils méritent de sortir de l'obscurité dans laquelle ils semblent être plongés depuis longtemps.

Le manuscrit 572 est un bel exemplaire du Décret de Gratien, transcrit au XIIIe siècle : il fut vendu en 1288, pour une somme de 40 livres parisis (environ 900 fr. de notre monnaie), par un enlumineur qui s'appelait Honoré, et qui demeurait à Paris dans la rue Erembourg de Brie (1). Le propriétaire de ce volume, dont

(1)« Anno Domini M° CC LXXX octavo emi presens Decretum ab » Honorato, illuminatore, morante Parisius in vico Herenenboc de Bria, precio quadraginta librarum parisiensium... »

le nom a disparu, a tracé sur un des derniers feuillets une note assez précieuse pour l'histoire de l'enseignement du droit canon à l'université de Paris sous le règne de Philippe-le-Bel. C'est la liste des maîtres auxquels le chancelier de l'Eglise de Paris donna en 1290 la licence en droit canon. Ils étaient au nombre de huit; ils reçurent leur grade en présence de neuf maîtres qui professaient alors le droit canon dans les écoles de Paris. Voici le texte de cette note:

« Anno Domini M° CC° nonagesimo venerabilis vir magister Bertoldus, » magister in divina pagina, cancellarius ecclesie Parisiensis, dedit » licenciam in decretis mihi (nom gratté) et magistro Guillelmo, tunc officiali archidiaconi Guillelmi Parisiensis, et magistro >> Ricardo Britonis, et magistro Adam de Guire, et rectori ecclesie » Sancti Jacobi Parisiensis, et magistro Gace, canonico Laudunensi, >> et magistro Nicolao, canonico Brugensi, et magistro Radulpho, socio » prepositi de Insula, presentibus Girardo de Cutri, Jacobo Daci, » G., archidiacono Alperiensi (1), decano de Melduno, magistro Ricardo >> Normano, Johanne Britonis, Johanne de Legibus, Roberto de Fraccino, » Laurențio de Monte Forti, magistris in decretis et tunc regentibus >> Parisius in decretis. Et fuerunt hec acta in aula ipsius cancellarii, » hora tercia. »

On trouve encore, à la fin du même Décret, un discours sur le droit canon. L'auteur y parle avec enthousiasme d'un maître parisien qui jouissait alors d'une grande réputation et dont la postérité n'a pas même retenu le nom. C'était maître Guillaume Thepheneau, aussi distingué par sa naissance que par son instruction. Le Poitou devait s'enorgueillir d'un tel enfant; — la ville de Paris, d'un tel nourrisson; la France entière, d'un tel conseiller; la science canonique, d'un tel oracle.

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« Deinde regratior meis dominis et amicis et magistris, etc., decano » et doctoribus in decretis, magistro meo magistro Guillelmo Thephenelli, » viro illustri, geminata nobilitate pollenti, qui sue nobilitatis sanguinis » et originis nobile addidit incrementum ut faciat quod scriptum est in

(1) Le manuscrit porte Alpiensi, avec un signe d'abréviation sur la dernière syllabe, et un trait droit traversant le p.

» Autenticis, de immensis donationibus, I Responso, Collatione VII. Gau» deat igitur Pictavensis provincia talem habere filium. Gaubeat urbs » Parisiaca talem habere nutricium. Gaudeat tota Francia talem habere » consiliarium. Gaudeat canonica sapientia talem habere patricium. » Gaudeat collegium decretorum talem habere socium qui se habere >> docendi periciam facundiamque dicendi, interpretandi subtilitatem discendique copiam in hoc studio laudabiliter patefecit.... >>

En dehors du discours inséré dans le manuscrit 572 de la bibliothèque de Tours, je n'ai rencontré aucune mention de maître Guillaume Thepheneau. Le discours n'est pas daté; mais le caractère de l'écriture et la place qu'il occupe dans le volume montrent suffisamment qu'il a été copié à la fin du XIIIe siècle : c'est à la même époque qu'il a dû être composé. Maître Guillaume Thepheneau devait donc enseigner à Paris sous le règne de Philippe le Bel.

Il faut rapporter à la même date, ou environ, la rédaction d'un singulier recueil qui remplit le manuscrit 205 de Tours et dont je ne connais aucun autre exemplaire. Ce manuscrit 205 est un petit volume, in-folio, de 194 feuillets de papier, écrit au XVe siècle et qui était classé autrefois sous le n° 178 dans la bibliothèque de Saint-Martin de Tours. Au commencement du XVIIIe siècle, il fut remarqué par Baluze, qui prit la peine d'en coter les feuillets et qui en transcrivit des fragments étendus, aujourd'hui conservés à la Bibliothèque impériale dans le tome 77 de la collection Baluze, fol. 169 et suivants. Le manuscrit porte au dos un titre qui en indique assez bien la nature : COMPILATIO SINGULARIS EXEMPLORUM. C'est en effet un recueil de légendes, de fables, de contes et d'historiettes, puisées à différentes sources et que l'auteur a réunies, les unes pour l'édification, les autres pour l'amusement des lecteurs, ou pour mieux dire des auditeurs: car il n'est pas douteux que cette compilation n'ait été, au moins en partie, destinée à servir de manuel aux prédicateurs; elle appartient évidemment au même genre littéraire que le traité d'Etienne de Bourbon, mis si souvent à profit par M. Lecoy de la Marche, dans son livre sur la chaire française au moyen âge. L'ouvrage est divisé en neuf parties.

Les deux premières, presque entièrement relatives à la sainte Vierge et rédigées d'après les anciennes collections de miracles, n'offrent guère d'intérêt. On peut en dire autant de la troisième et de la quatrième, qui ont pour objet l'Eucharistie et les saints anges. Avec la cinquième, qui se rapporte à la prédication des croisades, nous entrons dans le domaine historique. La sixième nous fait passer en revue tous les rangs du clergé séculier : des chapitres spéciaux sont consacrés au pape, aux cardinaux et aux légats, aux archevêques, aux évêques, aux archidiacres, aux prêtres, aux simples clercs et aux jeunes gens qui se préparaient à passer leurs examens. Cette division se termine par une version des fables d'Esope et par deux séries d'anecdotes sur les médecins et les avocats. Dans la septième partie, l'auteur s'occupe du clergé régulier; il nous entretient successivement des abbés, des moines, des ermites, des novices et des convers, des abbesses, des nonnains et des béguines. Dans la huitième partie, qui est fort considérable, puisqu'elle remplit plus de 130 pages (fol. 111-176), nous nous trouvons en présence de la société civile et nous voyons défiler sous nos yeux, dans le plus naïf désordre, les empereurs, les rois, les comtes, les chevaliers, les écuyers, les juges, les bourgeois, les paysans, les enfants, les exécuteurs testamentaires, les aveugles, les jongleurs, les quêteurs, les usuriers, les voleurs, les champions, les fous, les hérétiques, les diables, les juifs, les païens, les blasphémateurs, les parjures, les excommuniés ; puis les reines, les comtesses, les dames nobles, les damoiselles, les femmes du peuple, les entremetteuses et les enchanteresses. La neuvième et la dernière partie est un fatras de proverbes latins et français, de plaisanteries en vers et d'épitaphes. Tel est le plan que l'auteur expose avec beaucoup de netteté dans une sorte d'épilogue intitulé: Ordinatio tractatus istius libri.

<< In isto libello exempla plurima sunt redacta super variis materiis » quarum quedam sunt ad edificacionem, quedam ad solacium, et » fuerunt conscripta prout in libellis exemplorum aliquorum extiterunt >> inventa seu ab narrantibus sunt audita et qui predicta exempla alibi » melius scripta invenerit vel diligentius audiverit ab aliquo edocente

>> secundum datam sibi gratiam poterit ulterius enarrare et dividitur >> tractatus iste in octo partes.

>> Primo inseritur ibi conceptus et origo et vita beate Virginis, cum » multis ejus miraculis et exemplis.

» Secundo ponuntur ibi epistole beati Ygnacii ad beatam Virginem » et ad beatum Johannem et rescriptum beate Virginis ad eundem, epistola regis Abgari ad Christum, et rescriptum Christi ad ipsum.

>> Tertio ponuntur ibi argumenta probancia veritatem Domini corporis >> efficaciter, et miracula plurima de eodem.

» Quarto ponuntur ibi exempla plurima angelorum.

» Quinto ponuntur ibi exempla et effectus predicabiles crucis trans>> marine.

» Sexto inseruntur ibi exempla multa de personis ecclesiasticis » secularibus, videlicet de papis, de cardinalibus et legatis, de archie» piscopis, de episcopis, de archidiaconis, de presbiteris, de clericis, de >> examinatis, de philosophis, de Ysopo et fabulis ejus, de phisicis, de >> advocatis.

Septimo ponuntur exempla multa de personis ecclesiasticis et religiosis, tam viris quam mulieribus, videlicet de abbatibus, de » monachis, de heremitis, de noviciis, de conversis. Sequitut de mulic>> ribus religiosis, et primo de abbatissis (1), de monialibus, de beguinis. << Octavo ponuntur exempla de multiplici genere hominum [in] statu >> seculari existencium, primo de imperatoribus, de regibus, de comitibus, de militibus, de armigeris, de judicibus, de burgensibus, de » ruralibus, de pueris, de executoribus, de cecis, de hystrionibus, de » questuariis, de usurariis, de latronibus, de pugilibus, de fatuis, de » hereticis, de dyabolis, de judeis, de paganis, de blasphemantibus, » de perjuris, de excommunicatis. Sequitur postea de mulieribus, de >> reginis, de comitissis, de dominabus nobilibus, de domicellis, de » mulieribus ignobilibus, de maquerellis, de carminatri[ci]bus.

>> Nono ponuntur versus de diversis materiis, et primo versus prover» biorum. Item versus Primati. Item versus sepulturarum. Item versus >> solaciosi. »

Toutes les parties de cette compilation ne sont pas d'une égale valeur. Toutes cependant méritent d'être étudiées avec attention. Au milieu des plus inutiles banalités se trouvera parfois un trait

(4) Abbatibus dans le manuscrit.

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